• C'est en m'appuyant sur l'extérieur de la grille pour reprendre mon souffle que l'onde de douleur m'est montée du bas des reins jusqu'à la nuque.

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    Tant que j'étais à l'intérieur, je n'ai pas réalisé, mais, en sortant, la douleur m'a prise sans prévenir, d'un seul coup, remontant tout le long de ma colonne vertébrale.

     

    je ne crois pas que ce soit une douleur due au choc, c'est simplement une douleur de contraction, à cause du coup de peur.

     

    Arizo me regarde avec un air vide, de l'autre côté de la grille.

     

    Ses dents étaient il y a moins d'une minute à deux centimètres de mon visage, et ses énormes pattes plaquaient mes épaules contre le mur.

     

    j'ai beau faire ma forte, je dois bien avouer que j'ai eu peur. Très peur. Il n'y avait plus personne nulle part depuis une bonne demie-heure, et, si elle avait décidé de me bouffer, il n'y aurait eu personne pour me tirer de là.

     

    je la regarde en me disant que si je parle, elle est morte.

    Ils ont bien prévenu : encore une, une seule manifestation d'agressivité, et on la pique.

     

    C'est normal, et ils ont raison. Elle pourrait s'en prendre aux petits, elle pourrait faire mal à l'un deux.

    Simplement... je ne veux pas être responsable de sa mort.

     

    Elle n'est pas méchante, simplement folle.

    Il y a quelque chose dans son esprit qui casse, et elle agresse. Sans prévenir.

     

    je ne dirai rien. Pas cette fois. Pas encore. Même si j'ai eu très peur.

     

    je m'éloigne vers les bureaux et le parking en grimaçant à chaque pas. Mon dos est en miettes. j'ai mal à en pleurer.

     

    Arrivée à la maison, je mords fort dans mon poing en espérant faire passer la douleur. Mais la douleur est là, et bien là. Elle reste, s'insinue entre chacune de mes côtes, et, me croyant seule, je gémis doucement.

      

    "Qu'est ce qu'il y a ma pépette ?"

     

    je relève la tête, surprise qu'Il soit déjà là. Surprise, mais soulagée.

     

    "je me suis fait mal."

     

    je lui dis que je me suis fait mal au dos au travail, sans parler d'Arizo. je n'ose pas lui dire que j'ai voulu faire ma maligne en rentrant dans les grilles après le départ des autres, et que c'est elle qui m'a broyé le dos en essayant de me bouffer. j'ai peur qu'Il me reproche, comme souvent, de, toujours, jouer avec le risque. j'ai peur qu'Il me reproche de ne jamais faire attention à rien, de n'être pas assez adulte.

     

    je croise ses yeux, je comprends, et je soupire de douleur.

    "Non Raphaël. Pas aujourd'hui. Pas ce soir. j'ai trop mal. Si tu me touches, je vais mourir."

     

    Il me sourit, me souffle à l'oreille : "Tout de suite les grands mots..." et me prend dans ses bras.

    Sa simple étreinte me coupe le souffle de douleur. Comme si mes os étaient fracturés de l'intérieur.

     

    Lorsqu'il me soulève, la douleur se décuple, et j'enfonce mes doigts dans son dos.

     

    "Raphaël, s'il te plaît... je me suis Vraiment fait mal. S'il te plaît..."

     

    "Tais-toi."

     

    Il me pose dans Notre pièce, et, comme je n'ai plus le droit de parler, je le supplie du regard.

    je ne veux pas. je ne peux pas.

    Pas ce soir.

     

    Il défait les liens qui étaient noués entre eux.

     

    "Raphaël, non..."

     

    Il pose ses doigts sur mes lèvres une dernière fois, et je me tais.

    j'ai peur.

     

    Pendant qu'il entoure les liens autour de mes poignets et de mes chevilles, je mets ma respiration au ralenti, pour être plus forte que le mal, dans tout mon dos.

     

    Il serre à peine les liens, et, au milieu d'eux, je prends la position qui me fait le moins mal.

     

    "Ouvre."

    Il présente un petit cachet blanc devant mes lèvres, dont je ne vois pas la forme, mais je ne veux pas.

     

    "Non Raphaël. je n'ai pas le droit. Pas de mélanges. j'ai déjà pris les autres, et au centre, ils ont dit que..." Il serre le bas de mon visage entre ses doigts, et je ne finis pas ma phrase.

    "Ouvre."

     

    j'essaie de me débattre, mais il me tient fermement, et me contracter pour essayer de lui échapper relance si fort la douleur dans mon dos que je finis par m'immobiliser de moi-même.

     

    "Arrête. je ne veux pas. je ne veux pas prendre le risque de retourner là-bas. La dernière fois..."

    j'ai parlé en serrant les dents, pour que le cachet ne puisse pas entrer dans ma bouche, mais la force de ses doigts autour de ma mâchoire a eu vite fait de lui permettre d'entrer.

     

    "Avale."

     

    je fais non avec la tête. j'ai peur.

    je ne veux pas retourner là-bas. je ne veux pas faire de mélanges, et retourner là-bas.

     

    "Avale nine. tu me fais confiance ou non ?"

     

    Le goût âcre du cachet se diffuse sur ma langue, et je sens les larmes me monter aux yeux.

    Ce n'est pas juste. Ce n'est pas juste que je sois obligée de prendre des risques pour lui prouver que j'ai confiance.

    Même si j'ai confiance.

     

    Entre deux sanglots, le cachet s'enfonce dans ma gorge, et j'ai peur.

     

    "Raphaël, s'il te plaît..."

     

    je ne sais pas à quoi ça sert que je le supplie, puisque c'est trop tard. Le cachet est en moi, se diffusant sans doute déjà dans mon organisme, et si je dois faire une réaction, si je dois perdre pied, perdre souffle, perdre vie, et être à nouveau dépendante des autres pour savoir si je peux respirer ou non, je ne peux plus rien y faire. C'est trop tard.

    Et c'est la faute de mon Maître.

    Et je lui en veux.

     

    "Ne me fais pas ces yeux là nine."

     

    Au ton ferme de sa voix, je me doute que mes yeux doivent trahir mon état d'esprit, qu'ils doivent être haineux, et je les détourne.

    Pour qu'Il ne les voit plus.

    Il m'empoisonne, et Il ne veut pas que je Lui en veuilles ?

     

    Quand Il s'éloigne de moi, je panique, dans mes liens.

    je ne veux pas qu'Il parte. je ne veux pas qu'Il me laisse.

     

    Il revient avec entre ses doigts la casserole d'eau bouillante, fumante.

    Celle qui sert généralement à clore nos jeux les plus passionnés.

     

    Si j'étais Passion, je serais souriante. Mon corps se tendrait déjà vers les brûlures à venir, tremblant d'envie.

    Mais ce soir, je ne suis pas passion.

    Ce soir, j'ai mal, et j'ai peur du cachet qui est en train de fondre en moi.

    j'ai mal et j'ai peur.

     

    La chaleur se rapproche de moi, et je me dis que, si je me contorsionne sous l'effet des brûlures, mon dos va se briser.

    Que je ne le supporterai pas.

     

    je ferme les yeux. Pourquoi est-ce qu'Il ne m'écoute pas ? Pourquoi ?

     

    je sens la chaleur se rapprocher de mes reins, et je gémis avant même qu'elle ne m'ait effleuré, me tendant, crispant tous mes muscles.

     

    Mais, étrangement, la chaleur ne ressemble pas à celle de d'habitude.

    C'est la main chaude de mon Maître qui s'est plaquée dans mes reins, s'appuyant contre ma peau, sans brûler.

     

    j'entrouvre les yeux, et vois la casserole, qui n'a pas bougé de la surface où elle est posée.

     

    Lorsque la main de mon Maître s'éloigne, je regrette son contact.

    je le vois se rapprocher de la casserole, et positionner sa main juste au-dessus de la surface de l'eau, dans la fumée blanche.

    je suis persuadée que la chaleur doit le brûler, et j'ai mal à l'idée que mon Maître puisse avoir mal.

     

    Il reste de longues secondes immobile, sa main au-dessus de la chaleur, me regardant calmement, sans me parler, puis revient à moi, et plaque à nouveau sa main sur mon dos, doigts écartés, contre ma peau.

     

    Il déplace lentement sa main, remontant presque jusqu'à ma nuque, la plaquant fort contre moi chaque fois qu'elle s'immobilise, et j'ai l'impression que la douleur dans mon dos suit sa chaleur, se déplace avec elle, se décuplant au point de me faire gémir, puis s'effaçant, comme si mon Maître pouvait la faire fondre en moi.

     

    je relève les yeux, et réalise que mes liens ne sont plus tendus autour de moi, que je m'y suis complètement laissée aller, comme si la peur m'avait quittée.

     

    Combien d'aller et retour, entre la casserole d'eau fumante et mon dos ?

     

    je ne sais pas...

    chaque fois, Sa main est revenue plus chaude encore sur ma peau, et, chaque fois, j'ai senti la douleur se dissiper un peu plus...

     

    Mon dos est bouillant, mais il n'y a plus de douleur.

    j'ai beau la chercher, je ne la trouve plus.

     

    Lorsque mon Maître me détache, je me relève, défais mes derniers liens, et cherche encore la douleur.

     

    Il me regarde d'un air secret, souriant, et je me demande par quel miracle il a pu faire sortir la douleur de moi avec la simple chaleur de l'eau sur ses mains.

     

    "Comment est-ce que tu as fait ?"

     

    Il rit, me murmure "Magic System", en roulant des yeux, et fait mine de faire trois pas de zouk, en s'éloignant vers la porte, alors qu'il n'y a pas de musique.

    je pouffe de rire.

     

    je me sens bête à présent, seule debout au milieu de la pièce, à côté de mes liens emmêlés sur le sol. Bête de ne pas lui avoir fait confiance. Bête, aussi, d'avoir fait tant de cinéma, de ne pas avoir été plus courageuse, alors que... ce n'était rien, ce dos, en fait.

    Et pourtant... je ne suis pas folle... je sais bien que j'avais mal à en pleurer, quand je suis rentrée à la maison. Comment a t'il fait? Comment ? Par quelle magie ?

     

    je passe à côté du petit meuble, et vois la plaquette de cachets ouverte. Par curiosité, je la prends entre mes doigts. Il manque un quart de cachet de Doliprane 250mg dans l'alu.

    Un quart sur du 250 mg.

    Rien, pour ainsi dire...

    Que j'ai été bête...

     

    Mais... comment est-ce que ça aurait pu suffire à faire passer la douleur?

     

    Mon Maître est devant son ordinateur, et il pianote.

    "ça va mieux ?"

     

    je rougis. je me sens si stupide.

    "Oui."

     

    je n'ai pas envie de le déranger, mais...

     

    "Raphaël ?"

     

    "Quoi ?"

     

    Il me sourit, et m'écoute. ça fait tout bizarre. D'habitude, Il n'écoute pas.

     

    "Comment est-ce que tu as fait ?"

     

    "Comment est-ce que j'ai fait quoi ?"

     

    Il sait très bien de quoi je parle, mais je crois que la situation l'amuse beaucoup.

     

    "Comment est-ce que tu as fait, pour faire partir la douleur ?"

     

    Sans me répondre, il me fait signe de m'approcher, et, lorsque je suis à sa portée, il tire doucement mes cheveux vers le bas.

     

    je n'oppose aucune résistance, et je prends ma position favorite, le visage sur ses genoux, sa main caressant ma joue, et ma nuque contre son ventre, pouvant sentir chaque mouvement de sa respiration.

     

    je cherche une dernière fois la douleur, essayant d'inspirer très fort, gonflant mes poumons d'air, pour voir si elle n'est pas cachée au fond, mais... elle a Réellement disparu.

     

    Une immense sérénité, presque comme une terrible envie de dormir, m'enveloppe.

     

    Et, alors que mes yeux se ferment contre la peau tiède de mon Maître, ses gestes, si précis, si mesurés, au-dessus de la casserole fumante, et le long de mon dos, me reviennent en mémoire. Son air secret, aussi, ce drôle de petit sourire, dont je n'ai pas compris le tiers...

     

    J'utilise ma dernière énergie, avant que le sommeil ne m'emmène, pour sourire, contre sa cuisse.

    Sourire, parce que j'ai l'impression de m'endormir contre un sorcier vaudou, ou un magicien, ou un Ange, dont la magie n'est simplement pas explicable, et que j'adore l'idée de m'endormir contre cette personne là.


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  • "Qu'est ce que tu fais, avec ces réveils ?"

     

    "je les règle."

     

    "fais voir."

     

    je m'écarte, pour qu'il voie, en lui souriant.

    je lui expliquerais bien, mais il ne comprendrait pas.

    Alors je lui souris.

     

    "Mais ils sont réglés, ces réveils, nine."

     

    "Oui oui..."

     

    je lui dis oui, doucement, mais mes doigts, au millième de centimètre près, continuent de régler les réveils.

    Il rit.

     

    "T'es une drôle de fille, tu sais."

     

    j'aime son regard sur moi, lorsqu'il s'éloigne vers la cuisine en haussant les épaules. Une boule d'amour m'entoure, à cause de son regard sur moi.

     

    "Tu t'en vas à quelle heure ?"

     

    "Dès que j'ai fini de régler les réveils."

     

    Il secoue la tête de droite à gauche, moqueur, sans comprendre.

     

    "Tu reviens ?"

     

    Mes doigts s'immobilisent... j'espère. j'espère que je reviens.

     

    "J'ai envie que tu reviennes"

     

    "j'ai envie aussi."

     

    Ses jambes amorcent plusieurs fois le geste de s'éloigner de moi, mais ne le terminent jamais, et, finalement, Il se rapproche.

    Si près.

     

    Ses bras m'enserrent, par derrière, et ses lèvres sont si près de ma peau que je sens la tiédeur de son souffle dans ma nuque.

     

    "Si tu reviens..."

     

    Ses doigts se serrent sur mes seins, tellement fort, Il pourrait les broyer, s'Il serrait juste un petit peu plus. Et ses dents s'enfoncent dans mon épaule nue.

    Je ferme les yeux de douleur et d'envie.

    D'envie, surtout.

     

    je sens mes jambes trembler et le bas de mon ventre bouillir, d'envie.

     

    j'ai passé deux jours à demander. Deux jours à demander qu'Il soit mon Maître, à demander, par tous les moyens possibles.

    Il a fait mine de ne pas comprendre. Il m'a même fait l'amour n'importe comment, sans serrer, sans frapper, sans mordre, sans gifler, et j'en suis ressortie plus vide encore qu'avant.

    Il sait bien, pourtant, qu'avec moi, ça ne sert à rien.

    Et c'est maintenant, à une minute de partir, que ses doigts et ses dents se serrent.

     

    je suis sûre qu'Il l'a fait exprès.

    Exprès pour être sûr que je revienne.

     

    S'Il m'avait donné ma "dose" avant que je m'en aille, je serais revenue moins vite.

    Mais là, tout mon corps L'appelle, et, sans être partie encore, je ne pense déjà plus qu'à revenir.

     

    Si tu reviens...

    Sa voix est menaçante, grave, terrifiante, elle laisse deviner l'intensité du délice des douleurs à venir, sans avoir besoin de les nommer.

     

    Lorsqu'Il me lâche, et que mes yeux se réouvrent, je sens que la base de mes cuisses est trempée, et que mes joues sont pourpres.

     

    Il rit, en s'éloignant, ravi de son coup, et certain de ses conséquences.

    ça se voit dans ses yeux sur moi qui brillent d'une lueur que seule cette certitude leur donnent. j'aime cette lueur.

    j'aime cette lueur, tellement.

     

    Et cette lueur me suit pendant de longues minutes, alors que je m'éloigne.

     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     

    "Je m'en doutais, que tu m'emmènerais ici."

     

    je lui souris, en regardant autour de nous, détaillant chaque recoin de la grande pièce.

    Les petites volutes de fumée près du bar, les grosses fesses de Josy qui se dandinent adorablement, le labrador obèse qui quémande d'une table à l'autre avec des yeux larmoyants, le carrelage décoloré devant la porte, le faux lierre en plastique vert clair qui a pris la poussière, la lumière du fond, à droite, qui vacille depuis des années sans jamais s'arrêter.

     

    "j'aime bien, ici."

     

    "Je croyais que tu n'aimais pas."

     

    "Si, j'aime bien."

     

    "Bon..."

     

    "Quoi?"

     

    "Tu le déballes, ou pas, ton cadeau du lendemain de la fête des pères ? Tu me dis que tu veux me voir pour le cadeau, et tu le déballes pas."

     

    Je ris. Il a une impatience de gosse. j'adore, quand il est comme ça. j'aimerais pouvoir cramer sa boîte, pour qu'il n'y reste plus jamais, et qu'il soit toujours comme ça.

     

    je prends le paquet mal fait ( pourquoi le dernier rouleau de scotch tombe t'il toujours en panne quand on veut emballer un cadeau important ? Pourquoi ? ), et le lui tends, par dessus la petite table.

     

    "waow..."

     

    Il est moqueur. Il sourit. ça fait si longtemps, qu'il n'avait pas souri.

    Il faut dire que le cadeau a vraiment une forme pitoyable.

     

    je rougis... "je sais... mais y'avait plus de scotch."

     

    Quelle couillonne.

    C'est pas grave.

     
     

    Il aligne les trois petits réveils devant lui.

     

    je pouffe doucement de rire.

     

    Il scrute les aiguilles, même les aiguilles des secondes, pendant de longues minutes.

    Et, après que le labrador obèse ait changé de table au moins quatre fois, après que Super Josy ait tiré sur le bas de sa jupe deux fois, après que les aiguilles aient fait au minimum sept ou huit tours de cadran, il relève un air comblé vers moi. 

     

    "Comment tu as fait ?"

     

    "j'en ai chié."

     

    Nos deux rires, il n'y a que nous pour les entendre. Discrets. Un peu honteux. Personne ne comprendrait.

     

    Comment comprendre des coups de peur dans le noir parce que des aiguilles ne tournent pas au même rythme ? Comment comprendre des crises d'angoisse et des coups de colère à taper dans les murs parce que de simples aiguilles ne sont pas synchronisées d'un bout à l'autre de la pièce ? Qui d'autre peut comprendre ? Qui ?

    Personne.

     

    "Merci."

     
     

    Il me demande pardon avec les yeux, mais je n'écoute pas.

     

    "Tu vas jeter celles que tu avais, pas vrai ? Sinon, ça ne sert à rien."

     

    "Oui. D'accord."

     

    Il a tellement honte.

    j'ai mal, qu'il ait si honte.

    je voudrais lui dire que ce n'est rien. Que j'ai eu peur, mais que c'est passé, maintenant. Que je ne lui en veux pas. Que je sais que c'est le manque, et seulement le manque, qui fait ça. Que ses poings n'ont pas fini sur moi, mais sur le mur, et que, donc, il n'y a finalement rien de si grave. Que seuls lui et moi savons, et que personne d'autre des gens qu'il croisera ne saura jamais.

     

    Qu'il n'y a rien de grave.

     

     

     

    Super Josy, et le chien, et les rires des fumeurs du bar, et les allées et venues à la porte, nous sauvent. Il range les petits réveils dans son sac, discrètement, et je fais mine de ne pas voir son geste.

     

    "Il faudra que tu me ravitailles."

     

    je me crispe. Il dit ça pour changer de sujet, pour détendre nos deux visages, mais ça ne marche pas.

     

    je murmure "non."

     

    "Quoi ? "

     

    "Non."

     

    "Pourquoi ?"

     

    je ne réponds pas.

     

    "Tu préfères que je conduise, c'est ça ?"

     

    "Non."

    j'hésite... j'ai peur. je suis vraiment une pute. Une salope.

    Même pas. Une merde de pute.

     

    Que j'ai honte...

     

    Mais il le faut.

     

    "L'hyper est à 3 kilomètres, et... t'es pas infirme, j'crois."

     

    " OK... je vois..."

     

    Comme il m'en veut... C'est grave, comme il m'en veut...

     

    " Pour l'argent, je peux te dépanner."

     

    Ses lèvres se crispent.

     

    "Ou à la limite, donner ta part à Maria, pour quand elle y va, si tu as peur.

    Mais je crois que ce serait mieux si tu te débrouillais. Que ce serait mieux si tu y allais. Il y a même une ligne de bus qui peut te prendre à mi-route, j'ai regardé."

     

    Il me fixe, et je n'arrive pas à soutenir son regard.

     

    "ça te coûte pourtant pas grand chose."

     

    "C'est pas pour ce que ça me coûte."

     

    "C'est pourquoi, alors ? Pour le plaisir de me foutre dans la merde ? Pour le plaisir de me voir emmerdé ?"

     

    Il ressort les réveils du sac, et les pose devant moi, sur la table.

     

    "Tiens, tu peux les garder."

     

    Mes tripes se tordent.

     

    Avant qu'il ne s'éloigne, j'ai la force, même si mes yeux sont trempés, à l'intérieur, sans qu'aucune larme ne s'en échappe.

     

    "C'est pour toi."

     

    j'ai parlé fort, et j'ai peur que les autres nous regardent. Mais personne n'a fait attention.

    je tremble des pieds à la tête, sur ma chaise.

     

    Il se retourne, et me regarde.

    je ne vais pas baisser les yeux. Si je les baisse maintenant, rien ne va changer.

    je ne vais pas les baisser.

     

    Il se rassoit, en silence, ses yeux toujours dans les miens.

     

    Plusieurs minutes passent, avant qu'il ne répète "Pour moi ?"

    Il murmure presque. je n'ai pas l'habitude.

     

    je fais oui avec la tête.

    Plus aucun mot ne sortira, l'intérieur de ma gorge s'est noué sur lui-même, et l'air ne peut plus passer.

     

    Sur la route de Memphis remplit le silence entre nous deux, et, au dernier couplet, il reprend les réveils entre ses doigts, et les ramène à lui, avec douceur, pour ne pas décaler les aiguilles.

     

    C'est lui qui baisse les yeux.

    Juste à temps, avant que l'eau dans les miens ne puisse plus y tenir.

     

    "Merci."

     

    Il se lève.

    j'ai juste eu le temps d'effacer les larmes sur mes joues, avec mon poignet, avant qu'il ne me regarde à nouveau.

     

    "Tu me ramènes, ou là aussi, je dois marcher à pieds ?"

     

    Son regard est rieur, et je ris aussi.

     

    "Bien sûr, que je te ramène."

     
     

    Merci papa.

    Merci de m'aider à t'aider, même si ça va doucement.

    Merci d'avoir fait demi-tour, au lieu de t'en aller.

    Merci merci merci merci, d'avoir fait que, pour le petit déjeuner du lendemain de la fête des pères, les choses bougent un petit peu. Merci.

     
     
     
     
     
     
     
     

    "Tu es revenue?"

     

    je suis bouillante, dans mon ventre, dans mes joues, entre mes cuisses, partout...

    je suis vivante et bouillante.

     

    "Bin oui."

    je ris.

    "Tu avais dit que, si je revenais..."

     

    je n'ai pas le temps de finir ma phrase.

    Ses doigts s'entourent autour de mes cheveux, qu'il tire en arrière.

     

    Il tire fort, en arrière, et vers le bas, et mes jambes flanchent sous moi.

     

    Mon corps à genoux sous le sien est cambré en arrière. Mon cœur bat la chamade. Il ne m'a pas encore touchée, mais, déjà, ma poitrine se secoue de spasmes de désir, et mes lèvres gémissent à chacun de mes souffles.

     

    je souris de plaisir, lorsque ses doigts déboutonnent mon haut, puis mon soutien-gorge, et que ses ongles griffent ma nuque, mes seins, et mon ventre.

     

    Il me dit d'être nue, et mes mains font glisser le tissu si vite que je ne m'en rends même pas compte.

    Pas avant le premier coup sur mes cuisses, puis le deuxième sur mes fesses.

     

    Sa main plaque le haut de mon corps sur le sol, puis s'engouffre entre mes cuisses, pressant tellement fort que je me mords la lèvre pour ne pas crier.

    je suis si trempée que j'ai l'impression d'être en train de me vider de plaisir sur ses doigts, qui appuient, qui massent, qui pincent, qui tirent, qui s'engouffrent, qui se retirent, et qui s'engouffrent encore.

     

    Son autre main frappe, et, plus elle frappe fort, plus mes fesses se tendent.

    Et, plus mes fesses se tendent, plus sa main entre mes cuisses se fait brutale, et plus je sens mon plaisir brûlant s'écouler, traînées brûlantes le long de ma peau, jusqu'au pli de mes genoux.

    je ne suis plus que douleur et plaisir.

    je ne suis plus que Soumise, entre ses doigts, et tellement de plaisir envahit mon corps que je ne suis plus capable de ne pas trembler, que je ne suis plus capable de ne pas gémir, et gémir encore.

    Gémir à chaque coup, à chaque caresse, à chaque douleur...

     

    La peau de mes fesses est brûlante, mais pour rien au monde je ne voudrais que la douleur cesse, et je murmure "merci" chaque fois que sa main claque plus fort sur ma peau.

     

    Il retire sa main chaque fois que mes reins se cambrent, faisant traîner le supplice, le délice, plus longtemps encore, et, chaque fois, je le supplie de continuer, en gémissant, en remerciant, en me tendant plus encore vers ses doigts.

     

    Lorsqu'il m'attrape à nouveau par les cheveux, et me retourne, mon dos claquant sur le sol, je croise ses yeux brillants, si brillants, et lui souris.

     

    je le vois se saisir du martinet, et je réalise à quel point Il m'a manqué, à quel point son sadisme se déversant sur ma peau m'a manqué, à quel point le manque s'enfuit de moi, à chaque coup, et à quel point c'est bon.

     

    De moi-même, j'écarte les cuisses, lui offrant ce qu'il aime le plus rougir, marquer, malmener, sensibiliser au maximum, pour pouvoir se délecter de la douleur qui en résulte, des jours après encore, sans même avoir besoin de frapper à nouveau.

    je crie à chaque coup, autant de plaisir que de douleur, et me tends davantage à Lui à chaque coup, remerciant, encourageant, suppliant du regard.

     

    Lorsque, enfin, les coups cessent, mon corps continue à se crisper régulièrement, comme si la douleur n'avait pas cessé de l'assaillir toutes les 10 secondes, et il faut de longues minutes avant que mon esprit réalise qu'il n'a plus besoin de se bloquer comme ça, puisque la douleur a cessé.

     

    Mon Maître me soulève, et, au moment où Il s'enfonce en moi, un dernier spasme me secoue des pieds à la tête, libérant avec lui le reste des douleurs liées au manque, qui m'avaient faite souffrir depuis si longtemps, il me semble...

     

    A peine nos deux corps séparés, je réalise qu'il n'y a plus de peur, en moi.

    Plus de peur, plus de tristesse, plus de mal-être, plus rien.

    Rien d'autre que du soulagement, et de l'amour.

    Juste ça.

     

    Et je remercie le Ciel de m'avoir donné le droit de savoir ce que c'est que d'être une Soumise.

     
     
     
     

     


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  • "Qu'est ce que ça va changer, hein, que tu restes assise là comme le chien sur la tombe de son Maître ? Viens avec nous. De toutes façons, je ne te laisse pas le choix. On a besoin d'aide."
    Elle me tire par le bras, et je sens mon corps qui était accroupi et affamé se soulever, se relever de force.
    Un instant, l'idée de résister me prend. Parce que j'ai l'impression d'avoir vraiment envie de rester assise devant cette porte, à quelques mètres d'elle, jusqu'à ce qu'elle s'ouvre, même si en réalité, je n'en ai pas envie, parce que c'est trop long, le temps qu'elle s'ouvre.
    Mais à peine debout, je lui suis reconnaissante, de le relever de force, mon corps.
    Parce que je sais bien qu'elles n'ont pas tant besoin d'aide que ça. je sais bien qu'elles sont accoutumées à se débrouiller seules, et qu'elles n'ont besoin de personne.
    je sais bien que si elle relève mon corps de force, c'est pour mon bien, parce qu'elle m'aime.
    Et c'est bon, si bon, de se sentir aimé.

    Avant que le moteur démarre, je me souviens, d'avant, de ces moments là, et je panique un petit peu. Craignant d'avance que la réponse soit non, je propose ce qui manque.
    j'enrage en moi-même quand le non redouté me saute au nez, traînant derrière lui son chariot de ce qui ressemble à de la rancœur, absurde et non justifiée.

    Sur la route, j'entends à peine les petits. Sa phrase me revient et me reste en mémoire, m'empêchant d'entendre le reste. S'y accroche fort, sans la lâcher, ma mémoire.
    "Comme le chien sur la tombe de son Maître."

    je pense un instant à mon Maître. Le vrai. Dans cette autre vie qu'elles ne me connaissent pas. j'ai envie de sourire, mais ça passe avant que je n'aie le temps de le faire, parce que je me dis que, dans l'histoire, le chien sur la tombe de son Maître, il s'est laissé mourir. Il s'est couché en rond immobile sur la dalle grise unie de béton rectangulaire, et il s'est laissé mourir.
    Et si quelqu'un l'avait soulevé, lui, il aurait montré les dents, et il aurait continué à se laisser mourir. Par amour.
    C'est pour ça qu'il est si beau, le chien. Même s'il est noir sans reflets, et qu'il est trop maigre, et que c'est un bâtard.
    Si un jour je suis couchée sur une tombe, et que quelqu'un me tire par le bras, est-ce que je montrerai les dents ? Ou est-ce que je serai reconnaissante, encore, comme aujourd'hui, à la main qui me soulèvera?
    je crois que je serais plus belle, si je montrais les dents. Belle comme le chien bâtard.

    j'ai envie de pleurer, parce que j'ai envie d'être belle, mais que je ne veux pas mourir.
    Mais je n'en ai pas le temps, de pleurer.
    "Go ! Go ! Go !"
    Elle font les commandants qui font descendre leurs parachutistes du Jumpy en opération commando, et les petits rient à s'en briser les côtes, en me bousculant pour que je saute de l'aile plus rapidement.
    Je me surprends à rire, comme eux, en atterrissant à pieds joints sur le parking, et je culpabilise, en entendant le claquement de mes pieds sur le béton, le béton comme la tombe, de l'avoir imaginée, cette tombe, puisqu'il n'y a pas encore de tombe.
    Et qu'il n'y en aura pas.
    Comment est-ce qu'il pourrait y avoir une tombe au milieu de ces rires? Comment quelque chose pourrait oser abîmer ces rires là?
    Il n'y aura pas de tombe.

    "Porte A. Porte B."

    Elle font en souriant de grands mouvements de bras, et les trois équipes de copilotes se séparent d'un bout à l'autre du parking en suivant leurs indications.
    Avec une discrétion qui me surprend.
    Une organisation peu commune.
    Des ombres parmi les ombres, qui, comme par miracle, se fondent dans la masse comme si elles n'existaient pas, et ne sont pas remarquées, malgré les étouffements de rires des moins de 1 mètre 10.
    Les clins d'œil se font de loin, d'une allée à l'autre, à travers les vitrines, sur la pointe des pieds, éphémères et discrets, au-dessus de tous les autres visages, qui ne savent pas, au nez et à la barbe des vigils, avec leur talkies-walkies qui grésillent pour rien, puisqu'ils ne voient rien.

    Une main se serre fort dans la mienne, m'obligeant à ralentir, à m'arrêter, presque.
    "Regarde! Ils l'ont oubliée !"
    Son regard, relevé vers le haut, est immobile. Emerveillé.
    Je lève les yeux comme lui pour chercher ce qu'il a vu.
    C'est une boule de Noël, en papier mâché, oubliée accrochée au dessus de nos têtes, que je n'aurais jamais vue, si sa main ne s'était pas serrée fort autour de la mienne. Que personne n'aurait jamais vu, si nous n'étions pas passé.
    Je n'aurais pas vu non plus, sans son regard à lui, que le plafond est en vitres, et qu'il laisse voir la forme des nuages.
    Personne ne voit.
    Je baisse la tête et lui souris.
    "Oui. C'est encore Noël, ici."
    "C'est pour ça, qu'ils ont une salle de bains de princes ?"
    Un instant, je me demande s'il se moque de moi. Il me paraît si grand, déjà, pour y croire encore. Mais peut-être que le temps ne passe pas aussi vite que je le crois.
    Parce que ses yeux ne mentent pas. Qu'il ne fait pas semblant. Et qu'il y croit vraiment.
    "Oui, c'est pour ça."
    Il paraît si heureux.
    Je passe une main dans ses cheveux. C'est tellement simple, de mentir. Simple comme ses cheveux sont fins.
    C'est presque mal.
    Mais pas tellement.
    Parce que tant qu'il y croira, il sera Vraiment un Prince.

    Le QG est au fond du couloir carrelé du milieu de la galerie, et je presse le pas, en tirant derrière moi mon Prince au regard flemmard. Les équipes se rejoignent, en étouffant leurs rires.
    "Chut! Chut ! "

    Elles leur disent "chut", mais elles rient aussi, de les voir rire.
    Le grenat sombre, impersonnel, et les joints gris des carreaux, me rappellent ma honte. Ma honte de la fin, quand je ne croyais plus aux princes mais qu'il n'y avait pas le choix.
    Il aurait fallu que ça s'arrête avant. Mais ça ne pouvait pas.
    je ne leur en veux pas, à elles, de ne pas avoir su que quand on n'est pas encore un adulte physiquement, mais que l'on n'est plus un enfant mentalement, le droit à la pudeur est important. je ne leur en veux pas de ne pas avoir su à quel point c'était important, et à quel point j'ai eu honte.
    j'en veux au grenat des carreaux et au gris des joints, c'est tout.

    Mon éponge danse dans les tourbillons humides, sous des petits yeux gris, brillants, ravis.

    Je remercie le ciel que nous soyons seuls.

    L'odeur du Vivel-Dop Fraise-cerise s'élève rapidement autour de nous, enrobant nos esprits. Les petits rient et mes complices ne cessent de murmurer "chut!", en jetant à la dérobée des coups d'œil inquiets à la porte mi-close derrière nous.
    Et puis... arrive ce qui devait arriver. Ce qui arrivait une fois sur deux.
    Mon ventre se noue, se retourne, pour les petits.
    Se retourne pour moi. Se retourne pour tout. Je ferme les yeux et me sens défaillir. Mais il ne faut pas. Si je perds pied, je vais lâcher mon prince, et il va tomber des carreaux glissants, et il va se casser.
    Ils paraissent si insouciants. Ils ne voient pas les regards.
    Ils croient qu'ils sont des princes.
    Ils n'ont pas honte comme j'avais honte.
    je ne sais même pas s'ils ont remarqué que nous ne sommes plus seuls.

    Après les regards, comme si mon ventre n'était pas déjà assez noué, les mots suivent.

    je ne sais plus les mots. je ne m'en rappelle plus vraiment. je crois que je les ai oubliés volontairement.
    je ne me rappelle que du "ça", pour désigner nos Princes.

    Un bisou entre les deux yeux, sur le front, là où la peau est la plus douce, et le petit ver luisant à la fraise-cerise Vivel Dop se retrouve sur ses pieds.
    Il râle. "tu fais chier, c'est mal rincé."

    j'ai envie de lui dire de ne pas parler mal. Mais j'ai tellement la haine que je parlerais dix fois plus mal que lui, si je desserrais les dents.

    Une paume de main rapide sur mes lèvres, pour en retirer la mousse du bisou. Un regard de pardon à mon prince, parce que c'est mal rincé.
    Et cette même paume qui descend jusqu'à ma poche, sur la lame de Marco. La lame dont les reflets d'argent ont dansé joyeusement dans la nuit, hier, sous les étoiles.
    Mais qu'est ce que je fais ?

    Elle me jette un regard noir pour me retenir. Elle a compris. Comment ? je ne sais pas.
    Bien sûr, elle ne sait pas pour la lame, mais elle a compris pour le reste.
    Seulement, son prince à elle aussi va glisser, si elle le lâche.
    Et moi mon ventre est à l'envers.
    Bien sûr, j'ai honte. Mais mon ventre est à l'envers.
    je ne sais plus mes mots. je ne m'en rappelle plus. je crois que je les ai oubliés volontairement. Parce qu'ils n'ont pas traduit le quart de mon mal-être. Ni même le huitième. Ni rien. Tout est resté.

    La lame, sous ma main tremblante, n'a pas quitté ma poche. Et ma voix s'est brisée. je ne suis même pas sûre d'avoir parlé dans la bonne langue. Ni d'avoir parlé assez fort pour qu'elles m'entendent.

    Leurs deux culs ont roulé sur eux-même dans leurs jupes serrées quand elles ont rejoint la galerie marchande et leurs roulements de cul ont eu quelque chose de méprisant.

    Seule au milieu du couloir, plus petite que jamais, j'ai regretté du plus profond de moi-même qu'elles n'aient pas vu la lame.

     

     J'ai des larmes de mal-être dans les yeux, et le Jumpy n'est plus un avion, et j'ai perdu mon parachute, et mes doigts caressent distraitement la lame dans ma poche, et mes yeux se perdent sur le dehors qui défile, et mes bras repoussent les petits.

    Le Jumpy, sur les dernières routes, celles de campagne, prend les flaques d'eau à fond, et les Princes ont peur des crocodiles, et le bateau va couler, et leurs hurlements de joie ne suffisent pas à enlever mes larmes au coin de mes yeux.

    "S'il te plaît, fais un effort. Pour eux."
    Sa voix est basse. Si douce. Presque un murmure. Il n'y a que moi qui peux l'entendre. je me demande même une seconde si je ne l'ai pas imaginée.
    Il y a tant de patience et d'amour dans son murmure.
    Tant de sacrifice de sa propre haine, de son propre mal-être, qu'elle a appris depuis si longtemps à faire taire pour nos Princes, comme elle veut que je le fasse à présent.
    Ma haine fond quand mes yeux croisent les siens. je croyais que c'était impossible, qu'elle fonde. Pourtant, elle fond.
    Raison.
    Résignation. je ne sais pas... Beauté.
    Elle est si belle, avec son regard presque triste, qui insiste dans le mien.
    J'ai envie de pleurer d'amour.
    De pleurer d'amour.

    je regarde les bras et les jambes de nos princes qui s'agitent dans tous les sens dans leur lutte contre les crocodiles.
    je la regarde à nouveau.
    Son regard a changé. Si peu. A peine. Elle a simplement compris que ma haine est en train de se taire tout doucement.
    Elle sait que j'ai envie de lui ressembler.
    Et, ça elle ne le sait pas, mais ma main, dans ma poche, ne pense plus qu'à une chose à présent: rendre sa lame à Marco. M'en débarrasser.

    Elle me sourit. D'un sourire à travers le rétroviseur, dont il me manque le bas, mais dont je sais l'existence, à cause des petites rides aux coins des yeux qui ne sont pas des rides de vieillesse.

    Je prends une grande bouffée d'air dans laquelle Vivel Dop s'impose de toutes ses forces, et je me force.
    je pousse un cri aigu, un cri hippie de chasseuse de crocodiles, qui en déclenche d'autres, autour de moi, et je retire d'un coup la baguette de bois qui retenait la fenêtre de la péniche fermée, et l'eau de la flaque, non, pardon, le courant de la rivière, s'engouffre à l'intérieur, arrosant les visages ravis de nos Princes, qui se penchent au dessus du vide, en hurlant joyeusement leur douleur d'être dévorés vivants par les crocodiles.
    Elle me jette un faux air de reproche, pour la fenêtre, mais elle ne me reproche rien, et sa poitrine se soulève doucement d'un soupir de soulagement lorsque ses yeux reprennent leur place sur la route, après avoir vu sur mes lèvres un sourire triste, à la fois forcé et voulu, dont la tristesse ressemble étrangement à la beauté de son regard, une demie-minute plus tôt.

    Le même soupir de soulagement que lorsque j'ai fini d'écrire.
    Un instant, l'idée que c'est parce que Elles, que je soupire de soulagement lorsque je finis d'écrire me prend.
    C'est parce que Elles.
    Elles qui inventent un monde pour les Princes lorsque rien ne ressemble à un monde de princes. Elles qui s'oublient derrière des histoires pour faire naître des sourires.
    Elles qui maîtrisent en faisant mine de ne pas maîtriser. Elles qui sont Actrices la moitié du temps en n'en ayant qu'à moitié conscience.
    Assise sur mes fesses, inutile avec mon stylo qui danse, je suis Actrice comme Elles, même si, comme elles, je n'en ai qu'à moitié conscience.
    Je reprends ma demie conscience manquante aujourd'hui, un instant, à peine, dans le Jumpy, au milieu de la rivière des crocodiles, au milieu des rires des Princes, un instant, à peine, juste après le regard qu'Elle vient de me montrer, et, déjà, j'ai oublié. J'ai oublié et, de transparente, ma conscience redevient opaque, et tellement moins jolie.


    Sur le sable, je tends sa lame à Marco, et son air sur moi se fait moqueur, puis déçu. Déçu, parce qu'il m'a appris, dans les étoiles, au milieu des reflets argentés, pour que je sois plus forte, pour rien.
    Déçu, et tout mon être se remplit du besoin de soumission.
    j'ai besoin de me soumettre à mon Maître. Puisque je ne me bats pas, puisque je choisis de ne pas me battre, j'ai besoin de me soumettre. C'est soit je me bats, soit je me soumets. Mais entre les deux, c'est trop dur. Entre les deux, ça ne vaut pas la peine.
    Et moi je ne veux plus de cette lame.
    Et moi je ne veux pas me battre.



    "Pourquoi tu pleures, petite châtaigne?"
    Je pouffe de rire sur le sable, parce que "petite châtaigne", ça fait vraiment débile, et que j'ai envie que mon Maître m'insulte.

     

    Il a le visage de celui qui est content mais ne veut pas trop montrer qu'il est content.
    A peine un petit sourire, et je me fonds immédiatement contre sa chaleur.
    "Soumets-moi. Soumets-moi."

    Je le sens se crisper contre moi dans mes murmures et, un instant, je me demande si "soumets-moi", ça se dit ou non, parce que j'aurais honte, si ça ne se disait pas, mais que je ne sais pas comment dire autrement, et que j'ai tellement besoin de demander, j'ai tellement besoin.

    Il me repousse sans me faire mal, et referme la porte derrière nous, en passant son bras au-dessus de mon épaule.
    A peine le dernier rai de lumière sur nos peaux évadé, je m'agenouille à ses pieds, et le fixe, pour qu'Il comprenne. Que c'est urgent. Que j'ai besoin de mon Maître.

    Mais Lui aussi, comme Marco ce matin, il me regarde avec un air déçu de moi, et son air me fait mal.

    je baisse les yeux, mais ce n'est pas pour le jeu. C'est parce que, vraiment, j'ai honte. Tellement honte.
    Honte de réaliser qu'en réalité mes "Soumets-moi" ne me mettent pas mal à l'aise parce que j'ai peur qu'ils ne se disent pas, mais parce que j'ai peur qu'ils ne veuillent plus dire autant qu'avant.

    Lorsque je relève à nouveau les yeux, il me regarde, et, sans qu'aucun mot ne franchisse ses lèvres, je comprends.
    je comprends que ma peur est justifiée.
    Justifiée, puisque ses yeux me disent que l'étrangère à genoux devant lui n'est pas sa soumise, pas autant qu'elle l'a été, et que ce décalage entre avant et maintenant lui fait mal.

    S'Il me soumet maintenant, ça ne ressemblera pas à avant.
    ça n'égalera pas avant.

    Parce qu'Il n'a pas choisi cette nuit si je devais dormir à ma place ou à côté de Lui. Parce qu'Il ne m'a pas forcée à manger ni aujourd'hui, ni hier, ni avant-hier. Parce qu'Il ne m'a pas dit si les vêtements que je porte sont ceux qu'Il voulait pour moi aujourd'hui ou non. Parce qu'Il ne m'a pas demandé à quelle heure je rentrais, et qu'Il n'a pas commencé à s'inquiéter cinq minutes avant l'heure dite, et que je n'ai pas commencé à stresser cinq minutes avant l'heure dite de peur d'être en retard. Parce qu'Il n'a pas décidé pendant combien d'heures je souffrirais de son absence, ni pendant combien d'heures je sourirais de sa présence, et cela depuis trop d'heures. Parce qu'Il n'a pas levé la main au-dessus de moi pour me faire trembler, et finir par m'embrasser, une fois ma peur assez forte. Parce qu'Il ne m'a pas dit "je t'aime" avec les yeux, comme seuls ceux qui ne parlent pas savent le faire, après m'avoir laissée sans savoir pendant assez longtemps pour que ça me réchauffe d'un seul coup. Parce qu'Il ne m'a pas regardée avec cet air secret qui dit qu'Il est le seul à savoir comme je suis faible, mais qu'Il ne le répétera pas, promis. Parce que les marques de Lui sur ma peau ne sont pas rose soutenu, mais beige pâle. Parce qu'Il n'a pas consolé mon cauchemar de la nuit dernière.

    je sens les larmes me monter aux yeux, parce que, à genoux devant Lui, je ne me sens plus aussi belle pour Lui qu'avant, et que, s'Il me soumet maintenant, nous savons tous les deux que ça ne sera pas aussi beau que ça l'a été tant de fois avant.
    je sens les larmes me monter aux yeux, parce que je vois dans les siens que nous sommes tous les deux en train de penser la même chose, et que ça nous fait mal.

    je sens les larmes me monter aux yeux, parce que s'il décide de ne pas me soumettre, je vais m'éteindre tout doucement, puisque j'ai choisi de ne pas me battre, et que, entre me battre et me soumettre, je ne vois rien. Rien de vivant. Que du gris.

    Du gris comme les joints des carreaux, entouré de grenat.

    Mes lèvres articulent sans prononcer les sons "soumets-moi", une dernière fois.
    Mais la déception n'a pas quitté ses yeux, et ses bras me relèvent.

    De force.

    Comme le bras de ce matin.


    j'ai peur du gris.


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