• Cauchemar de Décembre

    Une page qui se tourne.<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" />    

    " Linda ? "

     

    J'ai senti mes doigts se serrer plus fort autour des hanses des sachets plastiques des courses, et mes yeux se clore, en se crispant.

    J'aurais dû faire demi-tour, et refermer sans bruit la porte derrière moi. Est-ce qu'il l'aurait seulement remarqué ? Non, il se serait rendormi, et tout serait resté sain.

     

    Odeur d'alcool, de cigarettes, obscurité. Rideaux tirés. Comme s'il avait décidé de ne plus voir le jour. Comme s'il n'était qu'une silhouette dans un coin, silhouette qui ne se lève plus, silhouette ivre, à l'âme présente semi-morte, écrasée sous le poids de l'âme passée, et qui n'a plus la volonté de se relever pour reprendre sa demi-vie vide.

     

    " Linda, c'est toi ? "

     

    J'aurais dû, comme toutes les autres fois, prendre un air dégagé, peut-être même faire mine d'en rire, j'aurais dû, comme les autres fois, répondre " Non. Tu vois bien que c'est moi. ".

     

    Qu'est ce qui m'a poussée à rentrer dans ce jeu où la raison côtoie la folie, où la raison danse avec elle sa toute dernière danse, avant que la folie ne l'écrase au sol ? Qu'est ce qui m'a poussée à répondre oui, dans ce minuscule espace de noirceur au milieu de la lumière, alors que le soleil, à quelques mètres derrière moi, derrière la porte, et les rires des petits, et l'insouciance des autres m'appelaient et ne me commandaient que de faire demi-tour ?

     

    "Oui."

     

    Je voulais savoir ce qui se passerait, si je répondais "oui". Curiosité stupide. Curiosité malsaine.

    Je voulais, aussi, qu'il soit soulagé, car, dans sa question, il y avait une telle envie d'entendre "oui", comme réponse, que je m'en voulais chaque fois d'avoir à dire ce "non" qui ré-éteignait son visage. Et.... simplement... je voulais savoir.

    Savoir.

     

    Dialogue de fous dans un monde de fous, où plus personne ne sait s'il est sain ou plus, où le cœur explose dans la poitrine, où les mains et les jambes et les lèvres tremblent à ne plus pouvoir être contrôlées, où l'esprit pense si vite, et si lentement à la fois, que les pensées n'ont plus de sens, que les pensées tournent dans la noirceur, au rythme de l'angoisse.

    Dialogue de fous qui se poursuit quand tout en soi lui demande de se taire, quand tout en soi crie au secours, quand tout en soi réclame une aide qui ne viendra pas.

     

    " Est-ce que je suis morte ?"

     

    Dialogue de fous noyé dans des larmes qui se font lentes et silencieuses, et balayées, car dérangeantes.

     

    " Non, tu n'es pas morte. Tu ne serais pas là, si tu étais morte. "

     

    Dialogue de fous où l'ignorance se partage sans même en avoir conscience, où les barrières de certitude explosent. On pensait que les faire exploser soulagerait, mais les larmes redoublent. C'est encore plus affreux, et l'on préfèrerait continuer à croire que l'autre sait ce que l'on ne sait pas, pour pouvoir continuer à le haïr de se taire. D'ailleurs, dans la semi-folie qui suivra, on s'invente un monde où l'ignorance n'est plus qu'à nous, où l'ignorance n'est pas partagée. On se donne ainsi le droit à un peu de rancune, car la rancune paraît plus douce que la tristesse.

     

    " Je suis où ? "

      Il rit. Il rit, et tout meurt en moi.  

    " Là, devant moi. Qu'est ce qui t'arrive, Linda ? "

     

    Je veux avoir le droit de hurler que je ne suis pas Linda, mais moi. Je veux avoir le droit de le hurler, mais je me tais, car il faut que je sache.

    Je suis si près, si près de savoir.

     

    "Rien du tout."

     

    Je passe mes doigts sur sa joue, il les embrasse, et le doute s'échappe de ses yeux rougis par l'alcool.

     

    " J'étais où, alors ? "

     

    "Qu'est ce que j'en sais, moi ?"

     

    Ignorance partagée. Encore. Et larmes, discrètes, muettes. Encore.

     

    " Linda..."

     

    Ces cheveux, ces yeux.... Pourquoi ? Pourquoi cette ressemblance ? Pourquoi aussi fort ? Je veux que l'on me gomme, et que l'on me redessine. Je ne veux pas rester ainsi. Je ne veux pas.

     

    " Linda ... ? "

     

    Oui. Oui, à chaque fois, oui.

    Car ce serait trahir mes chances de savoir, que de dire non.

    Et pourtant, je sais bien, j'ai bien compris, au fond de moi, que je ne saurai pas. Que le jeu de fous ne donnera rien. Alors....pourquoi ?

     

    Oui. Et la folie qui me gagne. La folie qui s'insinue partout en moi, dans mes veines, dans mes pleurs, dans le rythme désordonné de mon cœur, la folie qui est là, toujours là. La folie, qui, parfois, m'empêche de retrouver la raison, m'empêche de rester consciente que tout ça n'est qu'un jeu de fous. Des dialogues de fous. Deux fous, dans le noir, qui prononcent des mots de fous, qui n'ont de sens que pour les fous.

     

    La folie, en elle-même, est terrifiante. Mais tant qu'on peut la cacher, tant qu'on peut feindre de ne pas être fou, la dissimuler sous les sourires, sous un simulacre de raison hypocrite et souriante, alors il peut encore paraître que la raison existe, ou qu'elle ré-existera, et l'on a encore l'impression d'avoir gagné, un tout petit peu, contre la folie. Puisque la folie est cachée, et que les autres l'ignorent, puisque la raison existe encore, au moins dans les yeux que les autres portent sur nous, alors on a encore l'énergie de se battre intérieurement contre elle, ou, à défaut de se battre, de garder espoir qu'un jour, elle s'arrêtera, et même, qu'on l'oubliera.

      

    Le jour où cette folie se dévoile, ce jour là, il vaudrait mieux mourir.

    Ce jour là a la texture déchirée d'un brouillard givrant de décembre et le souffle nuageux créé par le froid devant les lèvres.... les lèvres qui balbutient, les lèvres qui voient la folie, et essaient de la prononcer, de la nommer... alors qu'elles n'en comprennent même pas le tiers... La colère. Une colère sourde, dans des yeux noirs qui se détournent.

    Ce jour là crée des envies de fuite dans l'esprit du seul qui est resté "sain", et des envies de mort dans celui de celle qui s'est laissée aller à la folie.

     

    " Non. Non. J'en peux plus, moi, d'ici. Vous êtes tous barges. Tous barges. J'en peux plus. C'est pas possible ici. J'en peux plus, de vous. De vous tous. Je veux me barrer d'ici."

     

    Les mots se noient dans sa gorge, et moi, ce sont mes larmes, qui me noient. Mes doigts le retiennent, ma voix supplie. J'ai si peur, peur à en crever, qu'il s'en aille.

    Ne t'en vas pas. Tu es le seul à ne pas être fou. Ne pars pas. Ne me laisse pas seule avec notre folie. Ne pars pas, toi aussi.

     

    C'est quand ceux que l'on aime parlent de partir que l'on réalise vraiment à quel point on les aime.

     

    Un bras me balaie, et m'envoie sur le sol. Je sens le sang sous mes paumes, et la boue sous le tissu de mes vêtements. Je lis "toi aussi" dans ses yeux. "Toi aussi, tu es barge."

     

    Ce jour là, le jour où cette folie se dévoile, il vaudrait mieux mourir. Car elle a gagné, la folie. Même ceux qui vous croyaient saine savent. Et l'espoir est mort.

        

    Devant le miroir, je rase mes cheveux. Je ne ressemble plus à rien, mais je ressemble à moi, et à personne d'autre. Ma silhouette est celle d'une morte, une morte sans cheveux. Je suis si laide que je ne peux plus me regarder. Mais, au moins, je suis moi.

     

    La folie s'est éloignée, tout doucement.

    Je n'ai pas eu besoin de hurler. Juste de raser.

     

    "nina ? c'est toi ?"

     

    Je souris.... Oui. C'est moi.... C'est bien moi. Et, même ivre, il ne me confond plus.

     

    La vie n'autorise personne à s'arrêter. On voudrait. S'arrêter. S'arrêter, et pleurer un bon coup. Mais non. La vie, elle continue. Et, à nouveau, il faut laver la vaisselle, laver le linge, sécher le linge, consoler les petits, emballer, déballer, remballer, et re-déballer encore. Et la vie court, si vite.

    La vie sans cheveux, mais, toujours, avec le regard de celui qui sait braqué sur mon âme.

    Car on a beau vouloir partir, le vouloir à en crever, on ne le peut pas toujours.

    Ce regard, braqué sur mon âme, jour après jour. Et mes yeux qui apprennent à fuire.

             

    La fête. Les rires. Les camions, dont les cabines clignotent des couleurs fluos des guirlandes électriques de Noël. Un monde, sur l'aire d'autoroute plongée dans le noir, mais illuminée par les phares, silencieuse, mais agitée de leurs rires, et de leurs sourires.

    Un monde où les têtes tournent. Et où les langues se délient.

     

    "Linda?"

    Ma peau qui s'électrise, mon cœur qui s'emballe.

    Un regard, rieur.

    Des années, à croire qu'il avait oublié. Mais non.

    Je fixe ces yeux. Ils rient. C'est bien ça ? Vraiment ? Ou c'est moi qui ne comprends pas ?

    Ils rient ? Oui. Alors, je ris aussi. Un fou rire, commun.

    Fou rire.... Fou rire de fous ? Qui, pour moi, se termine en pleurs. A force d'en rire, mon âme en pleure. Le pleur du fou-rire, puis le pleur du sanglot. Le vrai. Et pourtant, j'en ris encore.

    Mes mots, au travers de mes pleurs, de mes rires, rient et pleurent notre folie. " On a fait une drôle de connerie, pas vrai ?"

     

    Il n'a pas cessé de rire.

    "Non. Tu as fait une drôle de connerie. Moi, j'étais trop bourré pour penser. Ta connerie, tu l'as faite seule". Et il rit, encore...

      Il rit. Il rit, et tout meurt en moi.   

    Le temps a passé, et je sais, désormais que la vie n'autorise personne à s'arrêter. On voudrait. S'arrêter. S'arrêter, et pleurer un bon coup. Mais non. La vie, elle continue.

    Elle ne me prend plus en traître, aujourd'hui, car je le sais.

    Il n'y a pas plusieurs choix.

    Je l'ai cru, longtemps, mais c'était faux. Il n'y a qu'un seul choix, un seul :

      Une page qui se tourne.   

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