• Devant sa porte, mes doigts, comme si souvent, ont du mal à pousser la poignée.

    Je ferme doucement les yeux, pour me donner du courage, et je serre un petit peu plus fort mes doigts autour des paquets, entre mes mains.

    Dans mon esprit, la musique, et la fête, et les rires ne se sont pas encore tout à fait tus, et il me semble encore les sentir valser autour de moi.

     

    Lorsque, enfin, la chaleur de l'intérieur se diffuse sur ma peau, ses bras m'enserrent presque aussitôt, et un large sourire traverse mon visage.

     

    "Tu m'as manqué mon chou, tu m'as manqué."

     

    Il y a un tel empressement dans ses mots, dans ses gestes... Je ne me souviens pas d'un retour auprès de lui qui m'ait réchauffé autant le cœur que celui de cet après-midi. Je rends chaque baiser, retiens chaque caresse, je réalise même qu'il n'y a pas assez de place, entre ses baisers, pour m'agenouiller à ses pieds, ou pour lui témoigner ma soumission. Sa tendresse ne m'en laisse pas la place.

    Son corps m'entraîne avec le sien, son corps voudrait me faire l'amour, mais ses mots se bousculent entre ses lèvres, et son corps perd ses droits.

    Il me raconte, et les images me viennent, dansant dans ma tête... Le bébé qui a grandi, déjà, le bouchon de la bouteille qui n'a pas été retrouvé, et le sapin, qui était plus grand que le nôtre, et plus beau, et la route, qui glissait... et.... et je ne sais plus, parce que je ne vois, déjà, plus que son sourire, et ses yeux qui pétillent, et les mouvements joyeux de ses mains, qui accompagnent sa voix.

     

    " Et toi nine, tu me racontes ? ça a été ?"

    Je ris, et me moque de lui, lui disant que s'il se tait plus d'une minute, j'arriverai peut-être à lui raconter.

    Et je lui raconte. Tout dans le désordre. L'immense cuisine en formica gris brillant avec la porte à double battant , et les femmes, qui passent et repassent, en riant, et les plats, qui passent de mains en mains, et la décoration, qu'on a faite en moins de deux heures mais qui était magnifique, qu'on a faite en montant sur l'échelle, mais l'échelle a cassé, et je suis tombée, regarde !"

    Il voit le bleu, sur la peau de ma fesse, et il rit, c'est à lui, à présent, de se moquer de moi.

     

    Et les gens, qui parlaient pas la même langue que nous, mais tu sais, c'est vrai, ça existe, la magie de Noël, parce que juste pour Noël, ils sont venus avec nous quand même, et les petits, ils ont joué ensemble, et les nôtres ils savent presque parler leur langue, du coup, et les leurs, ils parlent presque la notre! C'est dingue! je te jure! C'est Noël, tu sais, qui a fait ça !"

     

    Il rit... "T'es conne nina !" et je ris aussi... "Je sais."

     

    "Et même que tu sais, le soir, en plein milieu de la nuit, on a désembourbé les camions, juste pour que les autres, qui parlent pas la même langue que nous, ils se rapprochent de nous quand même, parce que c'était Noël ! Et on était tous plein de boue, dans la nuit, et on a tellement ri qu'après on pouvait plus s'endormir, et mon père, il a eu honte de leur avoir fait la misère, et de les avoir forcés à rester à l'autre bout du terrain, et après, il leur a dit qu'ils resteraient pas dans la boue, même après Noël, et moi j'étais heureuse, tu sais, tellement heureuse que les choses se désembourbent, pour ceux des deux langues, comme on désembourbe les camions, grâce à Noël."

     

    A force de raconter, je finis par perdre le souffle, et je viens cacher mon visage contre Lui, pour me faire taire un peu, parce que j'ai honte, d'avoir parlé autant, comme ça, et de tout, comme si j'avais pas pu parler pendant des semaines, et aussi, parce que j'arrive au moment de Noël que je peux pas raconter à mon Maître, alors je me tais.

     

    Il a l'air si heureux, en m'aidant à ordonner les paquets, il me vole un baiser chaque fois que mes lèvres passent près des siennes, et sa chaleur me fait un bien fou.

    Il faudra encore quelques heures, et presque le coucher du soleil, pour que nos mots se tarissent, et que nos corps, l'un contre l'autre, aient enfin le droit de savourer leurs retrouvailles.

    Son souffle, apaisé et silencieux, réchauffe régulièrement mes seins, et mes doigts jouent avec les plus petits de ses cheveux, mes préférés, ceux qui prennent vie juste au-dessus son oreille, qui sont plus clairs que les autres, et qui ne sont pas assez longs pour s'entourer autour de mon index.

    Ses lèvres rejoignent mes doigts, et les embrassent.

     

    Lorsque je sens ses caresses s'interrompre d'un seul coup, je ne comprends pas. Je vois son regard s'arrêter sur mes mains, et les fixer.

    Puis ses yeux finissent par lâcher mes mains, et se relèvent vers les miens. Je ne soutiens pas ce regard plus d'une minute, et je détourne le mien tout de suite.

    Discrètement, je jette un coup d'œil à mes mains, et je vois, à la base de mes pouces, les arcs de cercle dessinés par les ongles de mes index, enfoncés dans ma peau. Ces arcs de cercle, encore...qui prennent vie à cet endroit là de mon corps, lorsque la peur me fait serrer les poings.

    Je referme mes doigts, pour les dissimuler, ces marques, si petites, et pourtant si présentes, mais c'est déjà trop tard, et le sourire sur le visage de mon Maître s'estompe doucement.

     

    Ni lui ni moi n'ouvrons la bouche, pas un son ne sort de nos lèvres, mais je sais, à son regard, ce qu'il est en train de penser, et il sait, à cause de mon souffle qui s'est arrêté, que je redoute les mots qu'il pourrait dire.

     

    Au bout de longues minutes, mes doigts se rapprochent des cheveux de Lui que je préfère, tremblants, espérant avoir encore le droit de lui dire que je l'aime.

    Mais il se recule, et mes doigts retombent dans le vide, lorsque son corps s'éloigne du mien.

     

    Mon corps se resserre sur lui-même, à côté du sien, qui me tourne presque le dos, et je sens mes dents mordre le tissu de notre drap, pas bien fort, mais juste assez pour m'empêcher de pleurer.

     

    Je murmure "Je t'aime, Raphaël."

     

    Le silence qui suit mes mots me fait trembler plus fort que le froid, et je n'ose pas me rapprocher de Lui.

     

    Je murmure, plus doucement encore "Monsieur, je vous aime."

     

    Je vois le muscle de son épaule se contracter, et je sais qu'il serre, lui aussi, le tissu du drap qui est de son côté.

     

    Mes paupières se referment sur elles-même, et je ne dis plus rien.

     
     

    "Si seulement tu pouvais me parler nina..."

     

    Les minutes de silence qui suivent, faisant écho à l'absence de mots, dans ma bouche, me paraissent être les minutes les plus longues que l'on peut tenir, si glaciales, alors qu'il y a moins d'un quart d'heure, le corps de mon Maître et le mien brûlaient encore l'un contre l'autre...

     

    Il se retourne vers moi, me regarde...non... pire... me fixe... et attend... et tandis qu'il attend, en me fixant, il me semble que je m'efface, il me semble que je meurs... puis, devant mes lèvres closes, il se lève, s'éloigne, et referme la porte derrière lui. Le silence ne s'est pas brisé. Et les minutes glaciales gèlent toujours mon corps.

     

    Seule dans notre lit, je suis incapable de faire le moindre geste, incapable de me lever, incapable de remuer mes jambes, pour qu'elles cessent de trembler, incapable, même, de cligner des yeux. Mais, hélas, pas incapable de penser.

     

    Ce moment de Noël, que je m'étais promis d'oublier aussi longtemps qu'il me sera possible de l'oublier, alors que je prenais sur moi pour ne plus avoir peur, devant la porte de mon Maître, avec mes paquets entre les bras, et ma main, immobile, sur la poignée, ce moment est en train de revenir en moi, sans que je choisisse si je veux ou non qu'il ait existé.

     
     
     
     
     
    "T'as vu, nina ?"
     
    On est assis tous les deux sous les étoiles, sur le tabouret de devant chez lui. Noël est encore tout chaud, autour de nous, chaud des rires des petits, chaud de son sourire, à lui, chaud des couleurs des robes des femmes, chaud de la chaleur que les cuisines ont laissé sur nos peaux, un Noël tout chaud, si chaud que je me dis que j'ai été bien bête de le redouter autant, ce jour.
     
    Il me montre la petite bouteille de Cristalline, entre ses doigts.
    Et je lui souris.
     
    "Oui. J'ai vu."
     
    "Et tu es heureuse?"
     
    "Oui. Bien sûr que oui papa."
     
    Et c'est vrai, que je suis heureuse. Même si je n'ai pas tout à fait confiance, parce que ce moment , je l'ai déjà vécu plusieurs fois, et que chaque fois, les choses sont revenues comme avant.
     
    "C'est pour toi, tu sais."
     
    Il tend sa main libre devant moi, et je vois qu'elle tremble, et je sais que c'est le manque qui lui fait ça.
    Je sens mon corps se crisper.
     
    "C'est surtout pour toi, non ?"
     
    "Pour toi aussi, mon petit rat. Pour toi aussi."
     
    Je baisse les yeux, et je murmure "alors, merci."
     
    "Tu reviendras, n'est-ce pas, si j'y arrive?"
     
    Je reste silencieuse.
     
    Il guette mes lèvres, longtemps, trop longtemps, puis se lève, faisant culbuter le tabouret, sous nos cuisses, tourne en rond autour de moi, et je ne vois plus les étoiles. Je reste assise sur mes chevilles, le dos contre le fer blanc de la taule, et je fixe la terre humide, derrière ses jambes.
     
    Je sens chaque parcelle de mon corps trembler. Ce moment, je l'ai redouté, et le voilà. J'ai l'impression que mon cœur va exploser, que mon ventre va se rompre, tellement il est noué.
    Ma gorge est tellement serrée, que je crois bien que plus un mot n'en sortira.
    A mesure que je sens la pression monter, dans son être, à lui, mon énergie, à moi, et ma volonté, et mon espoir, semblent m'abandonner.
     
    "Tu reviendras, ou non? Sinon, c'est pas la peine."
     
    Ses doigts se sont écartés, autour de la base de la bouteille d'eau, qui ne tient entre eux que par la pression entre son index et son pouce. Son regard me transperce.
     
    Dans ma tête, je n'arrête pas de répéter "Raphaël... Raphaël..."
     
    Et je m'entends dire "Oui. Si tu y arrives, je reviendrai. "
    "Alors promets-le."
    "Je te le  promets."
    Et ses doigts se ré entourent tous autour du plastique de la petite bouteille.
    Et mes ongles trouent la base de mes pouces.
     
    Je l'entends me parler de "ma place", et j'hoche la tête, et murmure "oui", à tout ce qu'il me dit. Je suis redevenue incapable de dire non. Incapable de ne pas prendre chaque mot qui sort de ses lèvres comme une vérité. Et, dans mon ventre, je sens une douleur qui se propage dans tout mon corps, qui me persuade qu'il a raison, et que c'est ma place, et que tout ce qu'il dira à partir de cet instant sera vérité.
    Il entoure ses doigts autour de mon visage, et sèche mes larmes. Dans le quasi-silence autour de moi qui m'oppresse, juste assourdi par ses mots qui me semblent presque lointains, je ne les avais pas senties venir.
    Je croyais être une adulte. Je croyais être plus forte, maintenant, plus forte que ça. Mais je crois que le temps pourra passer autant qu'il voudra, si je me retrouve encore entre ses mains, je redeviendrai une folle, une folle dont les lèvres meurent d'envie de prononcer des mots qui sont incapables d'en sortir, et qui ne peut qu'hocher la tête, dire oui, et sourire derrière ses larmes.
     
    "Allez, viens, petit rat, on va rejoindre les autres."
     
    La musique, les rires, les petits, la fête, et les couleurs autour de moi ont raison de mes larmes, et je finis même par sourire pour du vrai. Et, au milieu de leurs rires, je me dis que ce moment, là-bas, dans le silence, sous les étoiles, que cette promesse que je viens de faire, ils n'existent pas, et que tant que je me persuade qu'ils n'ont pas existé, alors je tiendrai.
    Je tiendrai le temps de profiter, au jour le jour, de mon Maître, de mon Raphaël, de ses sourires, et de sa chaleur.
     
     

    Je ne pensais pas qu'il me faudrait les revivre en moi-même si vite, à cause du regard inquiet de mon Maître, sur mes pouces, mon Maître qui ne comprend pas, et qui m'en veut, et qui me tourne le dos, et qui me laisse seule dans notre lit.

     
     
     

    Combien de temps, avant que je ne retrouve l'usage de moi-même? Je ne sais pas.

    Je repousse notre drap, je traverse pieds nus le couloir, je passe devant la petite commode, et y saisis notre cravache, entre mes doigts, puis je pousse la porte que mon Maître a poussé avant moi, pour le rejoindre.

    A genoux devant lui, je lui tends notre cravache.

     

    Les minutes se font longues.

    Mes pensées se bousculent, dans ma tête, alors que je fixe le sol devant moi, les yeux baissés...Tu m'en veux, mon Maître, hein ? Je sais comme tu m'en veux. Tu m'en veux de ne pas savoir te parler, tu m'en veux pour mon silence... Tu m'en veux de mes sourires, lorsque tu voudrais connaître ce qu'il y a derrière. Moi aussi, je m'en veux, tu sais. Mais si tu savais comme je t'aime. Si tu savais comme je t'aime. Prends-la, cette cravache, prends-là, je t'en supplie.

     

    Ses doigts se joignent enfin aux miens, et je sens le cuir de notre cravache passer de moi à lui. Je retrouve mon air, je sens une larme de soulagement rouler sur ma joue, silencieuse, et j'attends.

     

    Lorsque je finis enfin par relever la tête, je vois la cravache, posée à côté de lui, séparée de sa main, et qu'il ne regarde pas.

    Moi non plus, il ne me regarde pas.

     

    Je murmure "Monsieur..."

    Mais il ne me laisse pas le temps de terminer...

     

    "Qu'est ce que tu veux ? C'est ça que tu veux ?"

    Il me désigne la cravache. Je fais oui avec la tête.

     

    "Alors ne compte pas sur moi."

     

    Je murmure "Pourquoi?"

     

    Il ne me répond pas.

     
     
     

    Les minutes à ses pieds, en sentant qu'il fait tout pour ne pas me regarder, sont si longues que j'ai l'impression qu'elles ne se termineront jamais. Et si c'était toujours comme ça? Et s'il ne me regardait plus? Je sens mon corps trembler, je mors ma lèvre, pour m'empêcher de pleurer.

     

    J'entends ma voix, à peine audible, chuchoter "Raphaël, par pitié, punis-moi, ou aime-moi, mais ne me laisse pas comme ça."

     

    Ses yeux croisent les miens.

    "Ne me laissez pas comme ça, Monsieur, s'il vous plaît ."

     

    Il me détaille pendant si longtemps que j'ai l'impression qu'il peut lire dans mon âme. J'ai tellement honte. Tellement honte que je ne peux pas soutenir son regard,. Je baisse les yeux, alors que je voudrais tant être capable de garder les miens dans les siens.

     

    "Viens-là nine."

     

    Son bras s'entoure autour de ma taille, il me soulève du sol, et, d'un geste, me serre contre lui. Je love mon visage dans son odeur, et ne la laisse plus, pendant de si longues minutes. Je ne réalise pas tout de suite que ma poitrine s'est secouée du sanglot que je retenais, quand j'étais par terre, à ses pieds.

     

    Sa main cajole mes cheveux, et la base de mes épaules... Il me murmure "C'est rien ma nine, c'est rien, arrête de pleurer."

     

    Pour la deuxième fois de la soirée, il me fait l'amour, et je cesse de pleurer.

     

    Et lorsque, allongée contre lui, je pense à tout ce qu'il m'a donné, à tout ce qu'il me donne, jour après jour, à tout ce qu'il est, pour moi, je me dis qu'il faut à tout prix que je sois capable de lui rendre au moins autant. Juste au cas où. Mais je ne sais pas comment faire... Comment faire pour l'aimer autant qu'il m'aime. Comment faire pour lui rendre autant qu'il me donne.

     

    Et, pendant que je pense, la solution me vient, claire comme une évidence, et je souris... J'ai peur, et je souris.

     

    "Monsieur..."

     

    Un baiser, contre ma nuque, et je sais qu'il ne dort pas, et qu'il m'entend...

     

    "Si vous voulez toujours... pour Patrick... "

     

    Son corps se contracte derrière moi... Bien sûr, qu'il veut toujours...

    Il reste silencieux, et moi je me souviens...

     

    La toute première fois, derrière cette porte grise, quand il m'avait "présentée". Comme j'étais terrifiée. Je me souviens de mon refus, de ma culpabilité, de tout.

    Et puis, la deuxième fois, je me souviens de ce regard, ce regard sur moi, qu'avait mon Maître, alors que Patrick frappait, ce regard dans lequel j'ai lu "plus à moi que tu ne l'as jamais été", ce regard dans lequel j'ai trouvé la force de ne pas crier. Et puis.... cette soirée.... où cet homme était chez nous, quand je suis rentrée. Là encore, ma terreur, et puis, dans la nuit, mon air qui m'était revenu, juste parce qu'il m'avait dit "je suis fier de toi."

    Et puis... ce matin gelé, au milieu des champs, ce jour où j'ai eu si peur qu'il me laisse, chez Patrick, ce jour interminable où l'eau glacée est entrée, et sortie de moi, et entrée encore, jusqu'à ce que je tombe, et que mes mots, pour mon Maître, incohérents, soient ma seule bouée.

    Et cette soirée, à Marseille, cette soirée où il m'a tenue, cuisse écartées, entre ses doigts, et où les doigts de ces autres hommes m'ont fait tant de mal, et tant de bien, cette soirée où j'ai senti son sexe durcir sous moi, à mesure que la honte me paralysait contre lui. Je me souviens de ma douleur, et de ma terreur, lorsqu'il m'a offerte, réellement, pour la première fois, et que j'ai cru mourir, car moi je ne voulais que Lui. Et.... de la fierté qui a suivi cette presque-mort, fierté d'avoir été capable de lui offrir un plaisir si intense, fierté d'avoir fait taire mon envie, et de m'être simplement offerte. Pour du vrai. En taisant ma peur.

    Je me souviens du regard excité comme jamais de mon Maître, sur moi, dans le jardin de Patrick, alors que mon corps se cabrait encore et encore sous la badine, réclamant plus de douleur, en se nourrissant de ses yeux.

    Je me souviens, aussi, du mépris qu'a Patrick pour moi, mépris si humiliant, que je n'ai jamais connu en mon Maître. Mépris qui me fait me sentir sale, et sans valeur, et que je ne supportais que pour le plaisir de mon Maître.

    Et puis, je me souviens, du jour où Patrick est allé trop loin, où ses mots m'ont fait tant de mal que j'ai supplié mon Maître de ne me garder que pour lui. Je me souviens de sa déception, je me souviens de sa rancœur contre moi, parce que je n'avais pas eu le courage de lui dire avant que c'était trop dur, qu'il me prête, et.... je me souviens de ses caresses, de ses câlins, de sa patience, pour me consoler des larmes que me donnait la honte de l'avoir supplié de ne plus me prêter.

     
     

    Je sens ses bras me retourner vers lui, et ses yeux me fixent.

    "Qu'est ce qui a changé, depuis que tu ne voulais plus, nina?"

     

    Je réfléchis....Je n'en sais rien... Je ne sais pas ce qui a changé. Je sais juste que maintenant je veux lui donner le plus possible. Le plus possible. Au-delà de mon plaisir et de ma volonté. Je veux lui donner tout ce qui peut le combler, et je sais que me prêter le comble. Je ne sais pas pourquoi, mais c'est ainsi, et, au final, je crois que j'en tirais quand même de la fierté.

    Je veux Tout lui donner. Juste au cas où.

     

    Je murmure " Je sais pas, Monsieur."

     

    "Alors essaie de trouver, parce que je ne te prêterai pas si rien n'a changé en toi."

     

    Je ferme les yeux.

     

    Je t'aime tellement, Raphaël...

     

    Nos sourires sont revenus, puis nos rires, puis nos mots à propos de son Noël à lui, et de mon Noël coloré, à moi. Et c'est Noël, à nouveau, entre ses bras, et j'ai réussi à oublier à nouveau le moment de mon Noël où tout a été silencieux, et mon corps gelé se réchauffe de sa chaleur, à lui. Lui, lui, lui , juste lui, et ces minutes brillantes de notre sapin, juste derrière nous, dont les couleurs luisent et scintillent, autour de nos peaux, ces minutes précieuses et magiques, à déguster de toutes mes forces.

    Nos minutes.

    Mon Maître.

     
     
     

    Je vais essayer de trouver, ce qui a changé d'autre, à part le fait que j'ai peur, tellement peur, plus peur qu'avant, de te perdre, ce qui a changé d'autre, et qui pourrait te donner prétexte à me prêter à nouveau. Car tu mérites tant. Tu mérites tellement. Et moi je t'aime si fort.

     

    Oui. Tu me prêteras encore. Tu me prêteras, et tes yeux brilleront. Je ne sais pas encore comment, mais tu auras ce bonheur là, mon Maître, je te le promets.

     

    Je me le promets.


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  • Lorsque j'ouvre les yeux, je suis surprise de sentir le moelleux de notre lit sous ma peau, et la chaleur de ses bras autour de mon corps. Je m'étais endormie "à ma place", à côté du petit anneau de fer vrillé au mur, au pied de notre lit, je m'étais endormie, en imaginant son sourire, s'il rentrait avant le matin, et voyait que je restais sienne, même pendant son absence.

    A présent, c'est moi qui souris. Dans son sommeil, je l'admire. C'est gênant, de l' "admirer", quand il est éveillé. Le moment où il me demande ce qu'il y a vient très vite, et je détourne les yeux, en disant "rien." . Je me vois mal lui dire " Je t'admire.". Ce sont des choses qui se pensent, mais qui ne se disent pas. Et pourtant, je pourrais passer des heures à contempler son visage. Au début, je l' "admirais" pour être sûre de ne pas oublier ses traits. Je me disais "Si un jour je le perds, et que je ne peux plus contempler son visage, au moins, je pourrai me le réciter, par cœur, et ce sera comme s'il était là, avec moi.". Maintenant, je ne l'admire plus pour l'apprendre par cœur, car je le connais déjà par cœur. Je l'admire, juste pour le plaisir de l'admirer. Juste parce que, quand mes yeux se posent sur son visage endormi, le matin, ils ne peuvent plus s'en détacher. Ils sont "subjugués". Subjugués par chacun de ses traits.

    L'endroit sur lequel mes yeux reviennent sans cesse, c'est son menton. Il l'appuie, en dormant, sur sa main refermée sous son visage, et le contraste entre la peau tirée son poing , et celle, un peu plissée, du bas de son visage, me fascine. Alors que je l'admire, un sourire se dessine en moi.

    Je l'imagine, rentrant au cœur de la nuit, me détachant sans un bruit, et soulevant mon corps endormi entre ses bras, pour me prendre contre lui, jusqu'au matin. Je ne m'en suis même pas rendue compte.

    J'ai envie de le réveiller, pour qu'il me sourie, et, aussi, parce que j'ai envie de lui. Est-ce qu'il s'en rendra compte, lui ? Je me dégage tout doucement de son bras, et pose un baiser sur ses lèvres. Dans son sommeil, il sourit, mais le contact de mes lèvres contre les siennes ne l'a pas réveillé. J'ai tellement envie de lui...

    Je sais que, si je reste contre lui, je ne vais pas pouvoir résister à la tentation de le réveiller, juste pour qu'il me fasse l'amour. Je sais aussi que j'aurai une petite pointe de scrupule, au fond de moi, à le réveiller.

    Je pose un second baiser sur ses lèvres, un baiser qui l'effleure à peine, et, silencieusement, je referme la porte derrière moi, et m'éloigne.

    Dehors, tout est encore endormi, et le ciel a cette couleur de voile rose pâle qui n'existe que pendant quelques minutes, à la naissance du matin. J'ai le visage de mon Maître au creux de l'esprit, et l'envie de sourire à tout le monde qui en découle, sur les lèvres. Comme il n'y a personne, je souris aux nuages, au-dessus des immeubles, et je souris au chien du balcon du coin de la rue.

    La chaleur, l'odeur du sucre, et celle du pain qui cuit, me sortent tout à fait du sommeil.

    "Tiens, ça faisait longtemps qu'on vous avait pas vue. Avec ma femme, on s'était dit que la p'tite demoiselle du croissant du samedi matin elle avait quitté le quartier, tiens."

    Le gras sucré du croissant traverse la fine texture du sachet qui l'enveloppe, et réchauffe mes doigts qui l'entourent.

    " En tout cas, z' êtes bien matinale, hein, aujourd'hui ! z'avez vu l'heure ?!"

    L'heure... Non. Je ne l'ai pas vue. Je n'ai vu que mon Maître. Et si je suis là si tôt, c'est parce que j'avais trop envie de lui pour ne pas le réveiller, si je restais près de lui. Je souris au boulanger. Et je baisse les yeux. S'il savait ce que je suis en train de penser...

    "Bonne journée, hein, Mad'moiselle! à samedi prochain ?"

    Je dis oui. Je pense "peut-être". Je lui souris. Il a une bonne bouille, lui. Avec son accent du Sud trop prononcé, on dirait qu'il sort tout droit d'un film de Marcel Pagnol. Il manque plus que les collines Aubagnaises, derrière lui, et on s'y croirait presque.

    Quand je passe devant la place de l'Eglise, pour rentrer, un bruit s'élève entre les hautes parois de la petite rue. C'est un bruit qui va en s'intensifiant, un bruit de battements d'ailes désordonné et précipité. Je m'approche de la petite fontaine devant laquelle les pigeons semblent paniquer. Ils s'y posent et s'en envolent les uns après les autres, et leur danse respire l'inquiétude et l'incompréhension. Lorsque j'arrive à leur niveau, les battements d'ailes résonnent plus fort, et ils s'alignent sur la gouttière du toit juste au-dessus de moi. Ils n'y rentrent pas tous, et ils ont un air pataud, presque un peu stupide, à se battre à grand coups d'ailes bruyantes, comme si aucun d'eux ne voulait être celui qui n'aura pas de place, sur la gouttière. Je jette un coup d'œil à la fontaine, et réalise que quelqu'un a dû oublier de la fermer, car un morceau de glace vertical est planté comme un stalactite entre la bouche entrouverte de l'ange de pierre qui la compose et la surface de l'eau, gelée, de la coupole.

    C'est pour ça que les pigeons ont cet air étonné et déçu, dans leur danse, ce matin. Ils ne comprennent pas pourquoi on leur a pris leur eau. Ils ne savent pas comment boire, ni se laver. C'est le premier matin où il gèle aussi fort, et, d'une année sur l'autre, ils oublient que l'hiver leur sera dur. Je souris aux pigeons, mais mon sourire est triste. Je pense, à travers les pigeons, aux gens pour qui l'hiver sera dur, aux gens auxquels d'autres gens reprennent l'eau, aussi, parfois, juste pour qu'ils partent. Et qui restent sans eau, puisqu'ils ne savent pas où aller d'autre, aussi vite, aussi imprévisiblement. Aux gens que l'arrivée de l'hiver et du manque surprend, et qui ont l'air incrédule et pataud des pigeons, sur leurs visages. Je souris aux pigeons, et j'ai envie de pleurer.

    Mais il ne faut pas.

    Il ne faut pas. Car le croissant est encore chaud entre mes doigts. Et que j'ai le visage de mon Maître dans la tête...

    Mon Maître... Un sourire...

     

    Si je rentre chez Lui maintenant, je sais que je vais le réveiller, pour ne pas rester seule. Non... je ne vais pas rentrer tout de suite. Il dormait trop bien, quand je l'ai laissé.

    Mes yeux se lèvent vers l'église, au-dessus de moi, et je pousse la lourde porte qui claque derrière moi. Il y fait aussi froid que dehors. Il n'y a personne, juste les "anges" , sur les murs, qui sourient d'un sourire immobile. J'essaie de me persuader que je suis "protégée". C'est bon, de s'en persuader, parfois. On n'a plus peur,  quand on se croit "protégé". Je crois que l'approche de Noël me remplit encore plus de ce besoin de me sentir "protégée". Comme dans les films, où les histoires finissent toutes forcément bien. Mais... les sourires figés des anges, sur les murs de l'église, sont décidément un peu trop figés pour que je n'ai pas peur, et, à force d'y laisser courir mes yeux, le sentiment de protection dont je cherchais à me remplir est en réalité en train de me quitter. Il me quitte, et me laisse vide. Je baisse vite les yeux, pour ne plus les voir, ces anges, immobiles et sans âme. Mon regard se pose sur le "cahier des prières". Je ne sais pas si c'est comme ça qu'il faut l'appeler. Mais... moi, c'est comme ça que je l'appelle. Je crois que personne ne lit le "cahier des prières". Beaucoup de gens l'écrivent, mais peu le lisent. Je le saisis entre mes doigts, et j'ai l'impression que c'est un petit trésor, que j'ai dans les mains. Je commence par la dernière page. Les écritures sont toutes différentes. Celle-ci, c'est quelqu'un de vieux, j'en suis sûre. Sa main a sans doute tremblé, quand elle a écrit. Celle-ci, c'est un enfant. Les lettres sont toutes attachées avec soin les unes aux autres, comme on nous l'apprend, quand on est enfant. Celle-ci demande protection pour elle-même. Celle-ci demande protection pour ses enfants. Celle-ci demande à vivre, à survivre à la maladie. Mes yeux courent de pages en pages. Sans m'en rendre compte, je me suis assise sur le dernier banc de l'église, et ai posé le "cahier des prières" entre mes genoux. Mes yeux ne peuvent plus se détacher de ses pages. Mon cœur bat un peu trop vite. C'est sans doute un peu "barge", peut-être même un peu "immoral", de lire tous ces mots. Mais... j'y prends un plaisir que je ne m'explique pas. C'est comme si les mots de tous ces gens, que je ne connais même pas, remplissaient le vide qui m'a envahie, lorsque les sourires figés des anges ont tourné froidement autour de moi.

    "Protège ma fille". "Protège-moi.". "Protège mes parents, qui sont auprès de toi.". Protège, protège, s'il te plaît, protège nous, protège-les....

    Les larmes me montent aux yeux, et je pleure, mais je ne sais pas pourquoi je pleure. C'est comme si un immense soulagement m'envahissait, à cause des mots du livre des prières. La preuve que tous ceux qui m'entourent, quelques soient leurs actes et leurs mots, ont ce même besoin de protection, ce même sentiment d'amour tendu à l'extrême vers je ne sais même pas quoi , au fond d'eux. La preuve, la preuve que, comme dans les films, je suis "protégée", et que tout se terminera bien. Une de mes larmes s'échappe de ma joue, et dessine sur la dernière page du cahier un rond humide, au cœur duquel l'encre qui a servi à écrire les dernières lignes s'auréole d'un bleu clair.

    Lorsque je repose le cahier à l'entrée de l'église, je lui murmure "à bientôt, petit trésor.", car je sais très bien au fond de moi que je ne résisterai pas, un jour où le vide reviendra en moi, et où je repasserai devant cette porte, à l'étrange envie de le réouvrir, ce livre, assise au dernier rang de l'église, pour y chercher, encore, la chaleur qu'il m'apporte. En fait... je crois que le "livre des prières" est le plus beau livre que je n'ai jamais ouvert.

    La porte se claque lourdement derrière moi, et les pigeons, encore, se battent sur le rebord de la petite fontaine.

    "T'es là ma nine !"

    Je suis surprise, et je sursaute. Un sourire immense m'envahit, et j'efface discrètement les petites larmes au coin de mes yeux, à cause de l'église. Il me serre dans ses bras, et m'embrasse. Je lui tends le croissant.

    "Pour toi !"

    Il rit... "T'es tombée du lit ou quoi?"

    Je rougis. S'il savait....

    "Non."

    "Alors... ( il prend cet air moqueur qui m'énerve autant que je l'adore ) ... t'as été prise d'une foi soudaine?"

    Je rougis plus fort encore... Il m'a vue sortir de l'église... J'ai un peu honte. Il a mis dans le mot "foi" plus de moquerie que dans ses autres mots. Je sais bien que je suis un peu stupide, parfois.

    "Mais non..." Je suis gênée, et cache mon visage dans son manteau.

    Je murmure "En fait... j'avais tellement envie que tu me fasses l'amour, que si j'étais restée avec toi, j'aurais pas pu m'empêcher de te réveiller. Et tu dormais si bien que je voulais pas te réveiller, tu comprends?"

    Il m'écarte un peu de lui, et me regarde, avec la malice de l'envie dans les yeux.

    Voilà : C'est exactement le genre de moments où je suis heureuse de lui être soumise. Car ma soumission me permet de détourner mes yeux des siens, et de les baisser. Si je n'étais pas soumise, je commencerais à l'admirer, et je ne pourrais plus m'arrêter, et il ne comprendrait pas.

    Je sens sa main glisser sous ma fesse, ses doigts relever un peu ma jupe, et, à travers le tissu fin de mes bas opaques, écarter la base de mes cuisses, et presser doucement. Je ne peux pas m'empêcher de gémir d'envie de lui et je blottis mon visage contre lui, pour que mon gémissement reste silencieux. Par dessus son épaule, je jette un regard inquiet autour de nous, mais, heureusement, la rue est déserte. Contre ma peau, je sens son sexe, qui a envie de moi, et, dans ma poitrine, je sens mon cœur qui s'accélère.

    Il me pousse contre le mur, et je ferme les yeux. Pourvu que personne ne vienne, pourvu que personne ne vienne... Je n'ose plus regarder l'angle de la rue, de peur d'y voir une silhouette.

    Sa main, entre mes cuisses, me donne un plaisir de plus en plus violent, qu'elle interrompt brutalement, chaque fois que mon corps se tend vers elle.

    Chaque fois que le plaisir monte dans mon ventre, il le stoppe, au moment où je sens que je ne vais plus pouvoir m'empêcher de gémir. Et, chaque fois, je sens la température de mon corps monter d'un degré, dans le froid humide de ce matin gelé.

    Lorsque ses doigts, pour la énième fois, font mine de me laisser pantelante de désir sous ses baisers, après m'avoir presque amenée au plaisir, je sens, malgré moi, un gémissement de frustration m'échapper, et je sens ma taille se cambrer vers lui, pour faire continuer la caresse, je sens mon corps s'affoler contre ses doigts, sans plus pouvoir s'arrêter.

    "T'es vraiment qu'une petite chienne nina." A peine ses mots prononcés, je sens ses doigts saisir mes cheveux, et tirer mon visage vers l'arrière, augmentant encore la cambrure de mon corps qui se tend vers ce plaisir au compte-goutte qu'il m'offre, et qui me maintient, depuis de si longues minutes, dans cet état, haletante et brûlante, suppliante sous la moindre onde de plaisir accordée par ses doigts. Ses lèvres, qui m'embrassaient il y a à peine une minute, sont à présent en train de maltraiter les miennes, qu'il mord, pince, et tord entre ses dents. Je les lui offre de bon cœur, puisque chaque torture sur mes lèvres rapproche ses doigts de mon intimité, qui ruisselle le long de mes cuisses, trempant le tissu de mes bas, qui sont si tendus que je les sens près à se déchirer. Une petite chienne. Oui. C'est vrai. Il a raison. C'est ce que je suis, en ce moment. Je pense, pendant un instant fugitif, au cahier des prières, à l'église, qui nous surplombe, à son clocher qui semble presque avoir un regard sévère sur moi, à la "presque-foi" qui m'a prise, en lisant les mots des croyants, j'y pense, et je me vois, là, aux premières heures du matin, dans la rue, sous cette même église, en train de me frotter comme une chienne contre la peau de mon Maître, juste pour me donner du plaisir, juste pour satisfaire le feu qu'il a fait naître en moi.

    Lorsqu'il retire sa main, et me lâche, d'un seul coup, je crois que quelqu'un arrive, je sens mon visage s'empourprer, et mes mains rabaisser rapidement le jean court de ma jupe contre mes cuisses. Je sens tout mon corps trembler de honte, et je cherche du regard cette silhouette si redoutée, je la cherche à chaque extrémité de la rue. Mais... il n'y a personne. Je relève un regard apeuré vers mon Maître, et croise ses yeux, qui paraissent si amusés par mon trouble que, un instant, je pourrais presque le haïr.

    Je sens une tape sur ma fesse, et son bras qui entoure ma taille.

    "Allez, ma pépette, on y va."

    Je pense au chemin à parcourir encore, avant d'arriver à notre porte, avant que, enfin, il ne me fasse l'amour, et... et je ne suis pas sûre de pouvoir tenir. Tout mon ventre est brûlant de désir de lui, la peur d'être vue, étrangement, semble même avoir encore intensifié mon désir.

    Je murmure "J'en peux plus."

    Et il rit.

    "T'es vraiment qu'une petite chienne."

    Ses mots font palpiter mon intimité plus fort encore, c'est comme si mon pouls ne battait plus que dans mon ventre. Je ferme les yeux, et je mords ma lèvre inférieure, rendue douloureuse par les morsures de mon Maître. Un instant, je pense, en moi-même, que si quelqu'un me disait que je pourrais être dans cet état là, en pleine rue... ou même n'importe où d'autre, être dans cet état là, tout simplement, je ne le croirais pas. Il n'y a que sur le moment que je réalise à quel point j'ai envie de mon Maître, une fois le plaisir passé, je me demande même si c'est vraiment moi qui ai pu être aussi... chienne.

    Lorsque nous passons devant la fontaine gelée, je sens mon désir descendre d'un petit cran.

    Je murmure "Attends". Je me dégage doucement de mon Maître, m'approche du rebord de la fontaine, et, du bout de mes doigts encore brûlants, comme le reste de mon corps, du désir de mon Maître, je brise la couche de glace qui volait l'eau aux pigeons.

    "Qu'est-ce que tu fais, mon chou?"

    Je ne lui réponds pas. Je lui souris, et je l'embrasse.

    Un bruit se fait entendre sur la surface libérée de l'eau. C'est l'épais morceau de glace qui reliait le visage de l'ange au socle de la fontaine qui vient de se briser, et de tomber dans l'eau gelée.

    Il nous éclabousse un peu, l'eau est si froide que les lèvres de mon Maître quittent les miennes.

    Il se retourne, et regarde le morceau de glace. J'entends un rire s'échapper de ses lèvres.

    Du bout des doigts, il récupère le morceau de glace, et me le montre.

    "Regarde, nine ! C'est exactement ce qu'il faut pour calmer les petites chiennes comme toi !"

    Il retourne la glace entre ses doigts, et je frémis, à l'idée de ce qu'il pourrait me faire avec.

    Je croise ses yeux. Je crois qu'il a vu que j'avais peur, et je décide de prendre sur moi pour ne pas lui faire ce plaisir là. Je lui tire la langue, et m'éloigne.

    "Pfff... il sera fondu avant qu'on arrive, ton truc."

    Il me rejoint sans hâte.

    "Tu crois?"

    Il pose un baiser sur ma joue, et je sais, à son air ravi, que notre retour à la maison ne commencera pas, comme je l'espérais, par mon plaisir. Il finira sans doute par mon plaisir, mais mon Maître prendra le sien avant.

    Le long du chemin, je guette le morceau de glace, espérant qu'il puisse fondre, au moins un petit peu. Allez, fonds, toi ! fonds ! s'il te plaît...

    Son contour brille entre les doigts de mon Maître, et je sens mon cœur s'accélérer. Il avait sans doute raison, en disant avoir trouvé le jouet idéal pour "calmer sa petite chienne", puisqu'il me suffit de le regarder, pour que mon désir laisse sa place à ma crainte.

    A peine la porte refermée derrière nous, j'entends la voix sans appel de mon Maître prononcer "Allez."

    Un mot, un seul, et je sais ce que j'ai à faire. Je retire mes vêtements, ne gardant que mon collier, signe de mon appartenance, et suis sans un mot mon Maître dans Notre pièce, en fuyant son regard.

    Il ne m'a pas encore fait face que je suis déjà à ses pieds, le regard baissé, prête à assouvir chacun de ses désirs, prête à lui être aussi soumise que j'en suis capable, pendant aussi longtemps qu'il le voudra, et aussi intensément qu'il le décidera. Je sens une onde de plaisir me traverser. Un plaisir mêlé de crainte, mêlé de honte, mêlé de tout. De tout ce qui fait que je prends tant de plaisir à être sienne. Que je prends tant de plaisir à imaginer son regard qui parcourt mon corps, son jouet, en prenant tout son temps, parce qu'il sait que le temps ne fait qu'augmenter mon trouble, et ne m'offre que davantage encore à Lui.

    Lorsqu'il me soulève, je sens ses doigts contre ma peau, et ils sont glacés. Glacés d'avoir gardé entre eux, pendant le chemin, le morceau de glace qui va maintenant me faire me tordre sous ses doigts, entre mes liens.

    Sur la table, il me positionne à quatre pattes, et je sens, entre mes cuisses entrouvertes, le fruit de mon désir tremper l'intérieur de mes cuisses.

    Je sens les liens serrer mes poignets, et les tirer, réunis, vers l'avant, plaquant mes seins contre le bois froid, et mon visage contre l'intérieur de mes coudes. Je sens d'autres liens entourer ma taille, et tirer, tirer aussi fort que mon corps peut le supporter, vers le haut, cambrant mes reins, et offrant mes fesses, décollant presque mes genoux du bois. Les derniers liens écartent et immobilisent mes chevilles, mais c'est presque inutile. Le plus petit mouvement de mon corps resserre si fort la corde autour de ma peau qu'elle comprime mon sang, me faisant gémir de douleur, et me convaincant facilement de rester immobile. 

    J'ai à peine eu le temps de le chercher du regard que je sens, déjà, les premières gouttes gelées sur mon dos. Je frémis, retenant un gémissement qui ne saura plus se taire, lorsque la glace viendra vraiment danser sur ma peau. Pas un cm² de mon dos, ou de mon ventre, ou de ma nuque, ou de mes fesses, de mes cuisses, mes chevilles, la plante de mes pieds, l'intérieur de mes mains, pas un cm² de ma peau, que mes liens lui offrent, ne sera épargné par la brûlure de la glace. Je sens tout mon corps trembler, même mes dents claquent silencieusement, dans ma bouche. Mon Maître appuie fort le morceau de glace contre chaque partie de mon corps, le frottant, le tournant, le sculptant aux dimensions et à la forme qu'il souhaite obtenir. Je sens les gouttes d'eau glacée dégouliner de ma peau, mon souffle s'accélère, j'ai fermé les yeux, et, à présent, je reste silencieuse.

    Lorsque la glace vient jouer sur mon visage, je ne peux m'empêcher de le détourner, et de fermer les yeux, mais mon Maître le maintient entre ses doigts, me jetant un regard qui en dit long sur ce qui m'arrivera si je ne reste pas immobile. L'extrémité du morceau de glace s'enfonce entre mes lèvres, mon Maître les écartant en appuyant de chaque côté de mes joues. Mes lèvres sont si ouvertes que j'ai l'impression qu'elles vont se déchirer, la glace s'enfonçant presque jusque dans ma gorge.

    Lorsque mon Maître retire la glace de ma bouche, il s'accroupit devant moi, et me montre le morceau de glace, qui a à peine fondu.

    "Bien. J'imagine que tu sais très bien où il finira, n'est-ce pas?"

    Mon corps tremble tellement que j'ai l'impression qu'il ne pourra plus jamais se réchauffer, je fais oui avec la tête.

    "Alors, je te laisse le choix: soit je continue à le réduire sur ta peau, jusqu'à ce qu'il soit plus mince, soit je commence à jouer avec toi tout de suite."

    Je ferme les yeux. Je crois que si la glace passe encore une fois, une seule fois, le long de ma colonne vertébrale, je vais mourir de froid. J'ai si froid que je ne supporterai plus de sentir cette glace danser sur ma peau, s'y attarder, redémarrer, encore, et encore, et encore...

    "Décide-toi, nine."

    Lorsque j'ouvre à nouveau les yeux, je murmure "je préfère que vous ne le réduisiez plus, Monsieur."

    "Bien. J'en étais sûr. Chienne jusqu'au bout."

    Je soupire doucement.

    "Alors, dis-le moi, que tu as envie que je te défonce, maintenant. Dis-le moi."

    Les mots sortent de mes lèvres, mais je ne les pense plus. Comme chaque fois, mon Maître a gagné, et c'est Son plaisir qui passe avant le reste, je ne "suis" plus chienne, je "joue" la chienne, juste pour son plaisir.

     
     

    J'ai senti la glace s'enfoncer dans mon ventre, et j'ai crié. J'ai crié, j'ai pleuré, je ne savais pas que le froid pouvait brûler à ce point. Je me suis tordue et contractée dans mes liens, les resserrant si fort autour de ma peau que j'ai fini par pleurer autant de la douleur qu'ils me donnaient que de celle qui s'enfonçait, inexorablement, centimètre par centimètre, à l'intérieur de mon ventre. La glace a fini par se retirer, mais elle est revenue. Encore, et encore... Elle s'est enfoncée et retirée tant de fois de moi, et avec une telle lenteur, que j'ai fini par arrêter de compter. J'avais l'impression que l'intérieur de mon corps était en feu, glacé, et brûlant de mon sang.

    Lorsque la glace m'a quittée tout à fait, je ne m'en suis pas rendue compte. Mon ventre était comme anesthésié, et je sentais à peine ce qui s'y passait.

     
     
     
     
     

    Mon Maître passe ses doigts dans mes cheveux, et frictionne mon corps entravé avec une serviette sèche. Je sanglote doucement, le visage enfoncé entre mes avant-bras.

    Il me sourit. "ça va?" Un baiser, sur mes lèvres tremblantes.

    Je murmure "J'ai froid." Ma voix tremble. Tout tremble.

    Un souffle, contre mon oreille "Tu veux que je te réchauffe?"

    Je ne réponds pas.

     
     
     
     
     
     

    Lorsque le premier coup est tombé, sur mes fesses offertes, j'ai été surprise que mon Maître frappe si peu fort. Le martinet a dansé sur mon dos, descendant, puis remontant sa cambrure, s'attardant, chaque fois, sur mes fesses. Chaque coup m'a faite sursauter, mais pas vraiment de douleur, c'est plus de la crainte de la douleur, que mon corps s'est contracté.

    Je dois bien l'avouer, les lanières du martinet ont fini par me réchauffer, et, à mesure que la douleur dans mon ventre se calmait, j'ai recommencé à avoir envie de mon Maître. Ca n'était pas la même envie qui m'avait prise le matin, en me réveillant à côté de lui, et en le trouvant si beau, dans son sommeil, ça n'était pas non plus la même envie qui m'avait prise dans la rue, alors que ses doigts me rendaient folle de désir de lui, c'était une envie bien particulière, l' "envie de la fin de séance", lorsque le martinet, ou la cravache, ou sa main, danse sa dernière danse sur mon corps, et que tout mon être dépend de lui. Dépend du moment où il choisira d'arrêter la douleur, et de me libérer, et de m'accorder à nouveau le droit d'être autre chose que l'objet de son plaisir. Ca n'est peut-être pas la plus pure des trois envies, mais c'est sans doute celle des trois qui fait battre mon cœur le plus fort, et brûler mon corps le plus chaudement.

     

    Lorsque le martinet s'est affolé sur mes fesses, j'ai su que le moment où mon envie serait comblée approchait. Et je les ai tendues, mes fesses, tendues vers la morsure de la douleur, autant que mes liens me le permettaient. Mon Maître a vu que je me tendais, il m'a semblé que je pouvais le voir sourire, et il a frappé. Espaçant les coups, il a frappé si fort que j'en ai pleuré de plaisir.

     
     

    Lorsqu'il m'a détachée, et m'a fait l'amour, je n'ai tiré mon plaisir que du brillant de ses yeux. J'avais si mal, à cause des brûlures de la glace, dans mon ventre, que mon plaisir était masqué par ma douleur. Et pourtant, j'ai joui. Mon corps s'est arqué de plaisir sous le sien, simplement en se nourrissant du plaisir qu'il y avait dans Son regard. Ce regard, conscient que ma douleur, à chacun de ses va et viens dans mon ventre, s'intensifiait, mais que pour rien au monde je ne m'y serais soustraite. Son sexe s'est fait de plus en plus violent en moi, j'ai gémi, de douleur, de plaisir, je ne sais plus, tout ce que je sais, c'est que chacun de mes gémissements faisait briller son regard un peu plus, et que, lorsque j'ai senti le plaisir traverser son corps, le mien s'est arqué tout entier, et j'ai oublié, complètement oublié, que j'avais pu avoir si froid, à peine quelques minutes plus tôt.

     

    J'ai eu si chaud, à ce moment là, qu'il m'a semblé, lorsque son corps s'est enfin détendu contre le mien, que je n'aurais plus jamais froid.


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  • Une page qui se tourne.<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" />    

    " Linda ? "

     

    J'ai senti mes doigts se serrer plus fort autour des hanses des sachets plastiques des courses, et mes yeux se clore, en se crispant.

    J'aurais dû faire demi-tour, et refermer sans bruit la porte derrière moi. Est-ce qu'il l'aurait seulement remarqué ? Non, il se serait rendormi, et tout serait resté sain.

     

    Odeur d'alcool, de cigarettes, obscurité. Rideaux tirés. Comme s'il avait décidé de ne plus voir le jour. Comme s'il n'était qu'une silhouette dans un coin, silhouette qui ne se lève plus, silhouette ivre, à l'âme présente semi-morte, écrasée sous le poids de l'âme passée, et qui n'a plus la volonté de se relever pour reprendre sa demi-vie vide.

     

    " Linda, c'est toi ? "

     

    J'aurais dû, comme toutes les autres fois, prendre un air dégagé, peut-être même faire mine d'en rire, j'aurais dû, comme les autres fois, répondre " Non. Tu vois bien que c'est moi. ".

     

    Qu'est ce qui m'a poussée à rentrer dans ce jeu où la raison côtoie la folie, où la raison danse avec elle sa toute dernière danse, avant que la folie ne l'écrase au sol ? Qu'est ce qui m'a poussée à répondre oui, dans ce minuscule espace de noirceur au milieu de la lumière, alors que le soleil, à quelques mètres derrière moi, derrière la porte, et les rires des petits, et l'insouciance des autres m'appelaient et ne me commandaient que de faire demi-tour ?

     

    "Oui."

     

    Je voulais savoir ce qui se passerait, si je répondais "oui". Curiosité stupide. Curiosité malsaine.

    Je voulais, aussi, qu'il soit soulagé, car, dans sa question, il y avait une telle envie d'entendre "oui", comme réponse, que je m'en voulais chaque fois d'avoir à dire ce "non" qui ré-éteignait son visage. Et.... simplement... je voulais savoir.

    Savoir.

     

    Dialogue de fous dans un monde de fous, où plus personne ne sait s'il est sain ou plus, où le cœur explose dans la poitrine, où les mains et les jambes et les lèvres tremblent à ne plus pouvoir être contrôlées, où l'esprit pense si vite, et si lentement à la fois, que les pensées n'ont plus de sens, que les pensées tournent dans la noirceur, au rythme de l'angoisse.

    Dialogue de fous qui se poursuit quand tout en soi lui demande de se taire, quand tout en soi crie au secours, quand tout en soi réclame une aide qui ne viendra pas.

     

    " Est-ce que je suis morte ?"

     

    Dialogue de fous noyé dans des larmes qui se font lentes et silencieuses, et balayées, car dérangeantes.

     

    " Non, tu n'es pas morte. Tu ne serais pas là, si tu étais morte. "

     

    Dialogue de fous où l'ignorance se partage sans même en avoir conscience, où les barrières de certitude explosent. On pensait que les faire exploser soulagerait, mais les larmes redoublent. C'est encore plus affreux, et l'on préfèrerait continuer à croire que l'autre sait ce que l'on ne sait pas, pour pouvoir continuer à le haïr de se taire. D'ailleurs, dans la semi-folie qui suivra, on s'invente un monde où l'ignorance n'est plus qu'à nous, où l'ignorance n'est pas partagée. On se donne ainsi le droit à un peu de rancune, car la rancune paraît plus douce que la tristesse.

     

    " Je suis où ? "

      Il rit. Il rit, et tout meurt en moi.  

    " Là, devant moi. Qu'est ce qui t'arrive, Linda ? "

     

    Je veux avoir le droit de hurler que je ne suis pas Linda, mais moi. Je veux avoir le droit de le hurler, mais je me tais, car il faut que je sache.

    Je suis si près, si près de savoir.

     

    "Rien du tout."

     

    Je passe mes doigts sur sa joue, il les embrasse, et le doute s'échappe de ses yeux rougis par l'alcool.

     

    " J'étais où, alors ? "

     

    "Qu'est ce que j'en sais, moi ?"

     

    Ignorance partagée. Encore. Et larmes, discrètes, muettes. Encore.

     

    " Linda..."

     

    Ces cheveux, ces yeux.... Pourquoi ? Pourquoi cette ressemblance ? Pourquoi aussi fort ? Je veux que l'on me gomme, et que l'on me redessine. Je ne veux pas rester ainsi. Je ne veux pas.

     

    " Linda ... ? "

     

    Oui. Oui, à chaque fois, oui.

    Car ce serait trahir mes chances de savoir, que de dire non.

    Et pourtant, je sais bien, j'ai bien compris, au fond de moi, que je ne saurai pas. Que le jeu de fous ne donnera rien. Alors....pourquoi ?

     

    Oui. Et la folie qui me gagne. La folie qui s'insinue partout en moi, dans mes veines, dans mes pleurs, dans le rythme désordonné de mon cœur, la folie qui est là, toujours là. La folie, qui, parfois, m'empêche de retrouver la raison, m'empêche de rester consciente que tout ça n'est qu'un jeu de fous. Des dialogues de fous. Deux fous, dans le noir, qui prononcent des mots de fous, qui n'ont de sens que pour les fous.

     

    La folie, en elle-même, est terrifiante. Mais tant qu'on peut la cacher, tant qu'on peut feindre de ne pas être fou, la dissimuler sous les sourires, sous un simulacre de raison hypocrite et souriante, alors il peut encore paraître que la raison existe, ou qu'elle ré-existera, et l'on a encore l'impression d'avoir gagné, un tout petit peu, contre la folie. Puisque la folie est cachée, et que les autres l'ignorent, puisque la raison existe encore, au moins dans les yeux que les autres portent sur nous, alors on a encore l'énergie de se battre intérieurement contre elle, ou, à défaut de se battre, de garder espoir qu'un jour, elle s'arrêtera, et même, qu'on l'oubliera.

      

    Le jour où cette folie se dévoile, ce jour là, il vaudrait mieux mourir.

    Ce jour là a la texture déchirée d'un brouillard givrant de décembre et le souffle nuageux créé par le froid devant les lèvres.... les lèvres qui balbutient, les lèvres qui voient la folie, et essaient de la prononcer, de la nommer... alors qu'elles n'en comprennent même pas le tiers... La colère. Une colère sourde, dans des yeux noirs qui se détournent.

    Ce jour là crée des envies de fuite dans l'esprit du seul qui est resté "sain", et des envies de mort dans celui de celle qui s'est laissée aller à la folie.

     

    " Non. Non. J'en peux plus, moi, d'ici. Vous êtes tous barges. Tous barges. J'en peux plus. C'est pas possible ici. J'en peux plus, de vous. De vous tous. Je veux me barrer d'ici."

     

    Les mots se noient dans sa gorge, et moi, ce sont mes larmes, qui me noient. Mes doigts le retiennent, ma voix supplie. J'ai si peur, peur à en crever, qu'il s'en aille.

    Ne t'en vas pas. Tu es le seul à ne pas être fou. Ne pars pas. Ne me laisse pas seule avec notre folie. Ne pars pas, toi aussi.

     

    C'est quand ceux que l'on aime parlent de partir que l'on réalise vraiment à quel point on les aime.

     

    Un bras me balaie, et m'envoie sur le sol. Je sens le sang sous mes paumes, et la boue sous le tissu de mes vêtements. Je lis "toi aussi" dans ses yeux. "Toi aussi, tu es barge."

     

    Ce jour là, le jour où cette folie se dévoile, il vaudrait mieux mourir. Car elle a gagné, la folie. Même ceux qui vous croyaient saine savent. Et l'espoir est mort.

        

    Devant le miroir, je rase mes cheveux. Je ne ressemble plus à rien, mais je ressemble à moi, et à personne d'autre. Ma silhouette est celle d'une morte, une morte sans cheveux. Je suis si laide que je ne peux plus me regarder. Mais, au moins, je suis moi.

     

    La folie s'est éloignée, tout doucement.

    Je n'ai pas eu besoin de hurler. Juste de raser.

     

    "nina ? c'est toi ?"

     

    Je souris.... Oui. C'est moi.... C'est bien moi. Et, même ivre, il ne me confond plus.

     

    La vie n'autorise personne à s'arrêter. On voudrait. S'arrêter. S'arrêter, et pleurer un bon coup. Mais non. La vie, elle continue. Et, à nouveau, il faut laver la vaisselle, laver le linge, sécher le linge, consoler les petits, emballer, déballer, remballer, et re-déballer encore. Et la vie court, si vite.

    La vie sans cheveux, mais, toujours, avec le regard de celui qui sait braqué sur mon âme.

    Car on a beau vouloir partir, le vouloir à en crever, on ne le peut pas toujours.

    Ce regard, braqué sur mon âme, jour après jour. Et mes yeux qui apprennent à fuire.

             

    La fête. Les rires. Les camions, dont les cabines clignotent des couleurs fluos des guirlandes électriques de Noël. Un monde, sur l'aire d'autoroute plongée dans le noir, mais illuminée par les phares, silencieuse, mais agitée de leurs rires, et de leurs sourires.

    Un monde où les têtes tournent. Et où les langues se délient.

     

    "Linda?"

    Ma peau qui s'électrise, mon cœur qui s'emballe.

    Un regard, rieur.

    Des années, à croire qu'il avait oublié. Mais non.

    Je fixe ces yeux. Ils rient. C'est bien ça ? Vraiment ? Ou c'est moi qui ne comprends pas ?

    Ils rient ? Oui. Alors, je ris aussi. Un fou rire, commun.

    Fou rire.... Fou rire de fous ? Qui, pour moi, se termine en pleurs. A force d'en rire, mon âme en pleure. Le pleur du fou-rire, puis le pleur du sanglot. Le vrai. Et pourtant, j'en ris encore.

    Mes mots, au travers de mes pleurs, de mes rires, rient et pleurent notre folie. " On a fait une drôle de connerie, pas vrai ?"

     

    Il n'a pas cessé de rire.

    "Non. Tu as fait une drôle de connerie. Moi, j'étais trop bourré pour penser. Ta connerie, tu l'as faite seule". Et il rit, encore...

      Il rit. Il rit, et tout meurt en moi.   

    Le temps a passé, et je sais, désormais que la vie n'autorise personne à s'arrêter. On voudrait. S'arrêter. S'arrêter, et pleurer un bon coup. Mais non. La vie, elle continue.

    Elle ne me prend plus en traître, aujourd'hui, car je le sais.

    Il n'y a pas plusieurs choix.

    Je l'ai cru, longtemps, mais c'était faux. Il n'y a qu'un seul choix, un seul :

      Une page qui se tourne.   

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