• Dernier Jour aux couleurs henné

    Lorsqu'il m'a dit: "j'ai un souci avec l'une des familles, on va les prendre ici un moment.", j'ai fait la moue.  
    il a cru que je craignais de perdre mon petit confort, et m'a méprisée. mais je ne craignais pas pour mon confort. j'ai vécu sans suffisamment longtemps. je craignais simplement de perdre notre intimité, notre "cocon", et également notre jeu, puisque, bien entendu, il nous serait impossible, tant que ces gens seraient ici, d'être ce que nous aimons tant être.
    j'ai donc pris la famille en question en grippe, avant même de les connaître, non pas parce que je ne voulais pas "partager", comme dit mon Maître, mais simplement parce qu'il m'avait méprisé, à cause d'eux.
     
    aujourd'hui, c'est le dernier jour où ils seront avec nous. paradoxalement, malgré le sentiment de haine que j'avais à leur égard, avant qu'ils n'arrivent, je me suis très vite attachée à eux. ils ont bousculé notre petit quotidien, c'est vrai, mais leur présence nous a surtout donné l'occasion d'avoir de grands fous rires à la maison, aussi beaux que ceux qu'on avait au tout début.  
    aujourd'hui, ils vont partir.... et notre "jeu" va recommencer.... paradoxalement, il ne m'a pas manqué, et je crois même que j'ai apprécié de faire une pause.  
     
    ils sont en train d'emballer leurs affaires, j'ai voulu les aider, mais les larmes me sont venues aux yeux. j'aurais aimé qu'ils restent encore un peu, à pimenter notre noir et blanc coutumier de leur accent et de leurs tissus multicolores....
     
    pour ne pas qu'ils voient à quel point leur départ me touche, sans que je comprenne moi-même pourquoi, je suis sortie. j'ai prétexté une course, mais je suis restée assise sur le petit muret, devant notre trottoir. je hais les départs.
     
    je fixe le gris de notre rue.... je me sens anxieuse, de ce premier soir sans eux....  comment des étrangers ont-ils pu me faire angoisser comme ça, de ma vie de tous les jours?
     
    "nina !"
     
    je relève le visage. c'est Patrick. une boule se serre dans ma gorge.
     
    "il est là ?"
     
    je fais non avec la tête. pour une fois, je ne mens pas.
    machinalement, je réfléchis à la façon dont je suis habillée.... un jean, et un tee shirt long.... et mes cheveux sont attachés. ouf.... ça va....  
     
    "putain...." il a l'air énervé....je voudrais tellement comprendre les "problèmes" qu'ils ont, pour ce travail.
     
    "chaque fois que je passe, il n'est pas là! tu te foutrais pas un peu de moi toi, par hasard ?"
     
    je ne réponds pas. ça ne sert à rien qu'il s'en prenne à moi. Moi, je n'y peux rien. comme il insiste, j'hausse les épaules...  
     
    "t'es sûr qu'il habite ici, au moins?"  
     
    quelque part, je suis bien contente qu'il enrage. c'est bien fait pour lui. enrage tant que tu veux, je te montrerai même pas que tu me fous la trouille, à t'énerver comme ça.  
     
    je prends un malin plaisir à faire mine de me désintéresser complètement de ce qu'il dit....
     
    "des fois oui, des fois non....."
     
    ça fait tellement du bien de faire un peu la peste avec cet homme là....
     
    "ça te fait sourire ou quoi?"
     
    mon sourire tombe, mais je me moque toujours de lui, intérieurement. la p'tite soumise en moi s'endort, et la femme est bien contente de prendre sa revanche. cet homme n'est pas mon Maître, je ne lui dois rien. s'il peut me toucher, c'est uniquement pour mon Maître.
     
    d'ailleurs, je vais me lever, lui tourner le dos, et faire comme s'il était déjà parti.
    je me dirige vers Notre porte, je suis fière et heureuse d'avoir gardé ma fierté, pour une fois, devant Patrick.
     
    je passe le portail, mais.... je pensais avoir gagné, pour une fois, contre lui.  
    je sens ses mains enserrer mes épaules, et me plaquer contre le mur, entre la fenêtre et la porte.... mon dos cogne durement contre le mur.... j'ai envie de crier, les gens , à l'intérieur de notre maison, me défendront.... mais.... non.... il ne feront rien.... Patrick et Raphaël leur donnent bien trop. je reste silencieuse.
     
    il n'y a rien, dans le regard de Patrick, de tout ce que j'ai pu trouver chez mon Maître. Ce vide de toutes ces qualités là me laisse glaciale, entre ses doigts.
     
    " tu vas voir petite salope, la prochaine fois que tu viendras déballer ton cul à la maison, je vais te faire morfler. t'as bien de la chance de pas être plus souvent à moi. t'as bien de la chance."
     
    je n'ai même pas essayé de me débattre. je n'ai même pas essayé de me défendre. je l'ai laissée me secouer comme un pantin, sans rien dire. je ne peux pas prendre l'excuse de mon Maître, puisqu'il n'était pas là.
     
    Patrick m'a lâchée, et s'est éloigné. je me suis laissée glisser contre Notre mur, accroupie sur le sol. je n'ai même pas pleuré. j'ai même oublié de respirer. je hais cet homme.
     
    j'ai mis de longues minutes avant d'arriver à me reprendre.  
    mes jambes tremblent si fort sous moi que la simple traversée de la cuisine me paraît difficile. ma tête me tourne....
     
     
     
    Nadia est en train de peindre des motifs sur ses mains, avec le henné.... c'est magnifique... il paraît que ça lui permet de fêter quelque chose....
    elle s'aperçoit que je la regarde... et me sourit.
     
    "tu vas mieux?"
     
    je ne comprends pas.
    "pourquoi?"
     
    "tu es tombée par terre, tout à l'heure. on t'a ramassée, et tu as dit des mots qui ne veulent rien dire. "
     
    elle me regarde longuement.... qu'est ce que j'ai bien pu dire?
     
    elle me sourit , et dans un petit rire, murmure: "tu nous as fait peur."  
     
    les paroles de Patrick me reviennent en mémoire. je baisse les yeux.... je contemple les mains de Nadia, qui sont magnifiques. les formes du henné sont complexes, et fines.
     
    sans un mot, Nadia me sourit, et prend mes mains entre les siennes. le petit pinceau danse sur ma peau....
     
    "c'est pour te remercier."
     
    "me remercier de quoi Nadia?"
     
    "d'avoir partagé ta maison avec nous, de nous avoir fait rire avec les ombres chinoises, et de nous avoir fait du...."
     
    elle a encore oublié le nom !
     
    je murmure : "taboulé". ....et elle rit.... ce mot la fait rire.... moi aussi, quand j'étais plus jeune, et que je découvrais tous les drôles de mots d'ici, je riais. la joie de vivre de Nadia me rend le sourire, même si je sais que , dans quelques heures à peine, elle et les siens seront repartis, déjà.
     
    je fixe ses doigts agiles, qui complexifient encore et encore les marques au henné sur mes poignets, la paume de mes mains, et la base de mes doigts.
     
    "et voilà! fini! t'es une princesse maintenant! "
     
    je ne sais pas pourquoi, ce serait avec quelqu'un d'autre, sûrement que je me serais sentie stupide, de rire si facilement, mais avec Nadia, pendant ces quelques jours, nos fous rires n'ont presque pas eu de raison, et nos sourires non plus. sa présence de femme, sous notre toit, m'a redonné des forces, du courage, et de l'envie de rire.
     
     
    le soir est venu plus vite que jamais. Raphaël est rentré....  
     
    "tout est prêt? tout est emballé? allez allez allez les gosses, dépêchez vous! oui, j'ai la camionnette. oui. ne vous inquiétez pas . allez! vite! "
     
    je fais un pas pour suivre ces gens, je veux leur dire au revoir jusqu'à la fin..... mais....
    "non nina. toi tu restes. y'a plus de place . m'attends pas avant deux heures."  
    un baiser sur mon front, il murmure "sois sage." contre mon oreille.....
     
    les deux heures sont longues.... Nadia avait préparé le repas pour nous, elle a laissé un petit mot sur le tuperware , que je lis et relis plusieurs fois..... je n'ai rien à faire, et rien envie de faire..... je repense à Patrick, et je me sens vide.
    je contemple encore et encore les dessins sur mes mains.
     
    lorsque la porte s'ouvre, Raphaël a l'air soulagé. je comprends que tout s'est bien passé.
     
    la soirée se passe paisiblement... le jeu reprend, tout doucement. lorsque la nuit tombe, je me glisse aux pieds de mon Maître..... je caresse son sexe du bout de mes doigts....
     
    "c'est quoi, ça?"
     
    sa voix se fait dure.
     
    il prend mes doigts entre les siens.
     
    je murmure "c'est Nadia qui me les a dessinés, c'est pour...." mais je n'ai pas le temps de finir ma phrase.
     
    "j'aime pas. va te nettoyer."
     
    je secoue la tête "ça ne part pas comme ça, ça partira au fur et à mesure des jours."
     
    "t'as qu'à frotter." il a l'air énervé, je ne comprends pas.....
     
    "mais moi je les aime bien, ces formes."
     
    "moi pas. ça fait racaille."
     
    je baisse les yeux.  
     
    "d'abord, qui t'a autorisé à faire ça? est ce que je t'ai dit , moi, d'aller te dessiner des conneries sur la peau?"
     
    je sens une sourde révolte gronder en moi..... une révolte que je n'ai jamais ressenti avant, surtout pas envers mon Maître.... je sais bien qu'il cherche simplement un prétexte pour relancer le jeu.... peut-être même qu'il se moque complètement de ces formes sur mes mains.... mais.... j'ai envie de lui crier dessus.... les larmes me viennent aux yeux....
    j'hausse le ton avant même d'avoir eu le temps d'y penser, et les mots sortent de moi comme incontrôlés.
     
    "pourquoi ça ferait pas racaille sur eux, et que ça le ferait sur moi? pourquoi tu es si..... obtus ! pourquoi Raphaël ?"
     
    ce ton là, il ne peut pas le tolérer, et je le sais bien. la gifle à laquelle je m'attendais tombe sur mon visage. un autre soir, je l'aurais acceptée. un autre soir, j'aurais tout accepté.
    mais j'ai commencé à m'énerver, et ça ne retombe pas.
     
    lorsqu'il essaie de me retenir à genoux sur le sol, je ne me laisse pas faire..... après tout, puisque j'ai commencé à crier, qu'importe que j'aggrave un petit peu mon cas.  
     
    je me lève devant lui, je me sens minuscule, mais il faudra bien pourtant que je lui parle comme si je ne l'étais pas.
     
    "j'ai pas envie de frotter pour les enlever. j'ai pas envie !!!!!" je marque un temps d'arrêt.... il me regarde, sans dire un mot. son calme m'énerve.....
     
    les mots sortent avant même que j'ai pu les retenir.....
     
    "d'ailleurs, j'ai pas envie..... je veux plus..... Patrick ! "
     
    il paraît surpris..... c'est vrai que Patrick n'a rien à voir avec les dessins sur ma peau, mais..... je crois que si je n'arrive pas à lui obéir sans lui en vouloir, ce soir, c'est à cause de Patrick. à la limite, je m'en moque des dessins..... mais j'ai la haine au fond du ventre.... envers Patrick.... et même envers mon Maître.
     
    il baisse les yeux, l'air déçu.  
    j'aurais dû me taire. mais il fallait que ça sorte.  
    j'ai tellement honte..... d'avoir joué à la "salope parfaite", de ne jamais avoir rien dit contre tout ça, d'en avoir même redemandé, et, ce soir, de lui re jeter ça à la figure.....  
     
    je ne peux pas rester dans la même pièce que lui.  
     
    la nuit est déjà tombée, dehors, pourtant je claque la porte, et m'éloigne.....
     
    jamais je n'ai parlé comme ça à mon Maître. d'ailleurs, nous nous sommes si rarement disputés. je m'en veux à en crever.... j'ai bien du marcher trois kilomètres, j'ai arpenté les rues sombres du vieux centre, sans même regarder où j'allais, l'esprit vide.... il doit tellement m'en vouloir.....
     
    lorsque je me décide enfin à rentrer, il n'a pas refermé la porte à clef derrière moi.
    j'ouvre, et, sans réfléchir, je me laisse glisser à ses pieds.....
    il me laisse sur le sol, et s'éloigne....
     
    au moment où il se couche, je ne demande pas à venir à ses côtés. je vais de moi-même à ma place, au pied du lit. je ne dors pas de la nuit. je l'écoute respirer..... si seulement je m'étais tue.....
     
    c'est lui qui me réveille sur le bord du matin.... j'avais fini par m'endormir....
     
    c'est une journée où ni lui ni moi ne travaillons. elle aurait pu être si belle, si seulement je n'avais rien dit.
     
     
    "alors..... tu ne prends pas de plaisir, quand il y a Patrick?"
     
    je reste muette.... ma colère est passée, et je ne sais pas quoi lui répondre.....  
     
    si.... il faut bien que j'avoue que si....
     
    je murmure: "j'en prends parce que je te donne encore plus. parce que tu es fier de moi."
     
    "et?"
     
    "et c'est tout."
     
    "bien..... pourquoi tu ne l'as pas dit avant ?"
     
    "je ne sais pas."
     
    le silence m'oppresse. j'ai besoin de me justifier.... besoin qu'il comprenne....
     
    "Patrick n'est pas comme toi, tu sais."
     
    "qu'est ce que tu racontes ?"
     
    "quand il me touche..... il n'y a aucun respect..... aucune affection.... il n'y a rien de tout ce que tu as. comment pourrais-je éprouver du plaisir avec un homme comme lui?"
     
    Raphaël ne répond pas..... je sens bien que je lui en veux, encore un petit peu.
     
    "comment tu peux penser que je peux en avoir? "
     
    Le silence de mon Maître est interminable..... jamais, avant ce matin, je ne lui avais fait le moindre reproche.....  
     
    il me prend contre lui, et me serre longuement entre ses bras....  
     
    "alors, on gardera Patrick pour les grosses sanctions . uniquement pour les sanctions."
     
    je réfléchis un instant..... oui.... ça me paraît raisonnable.... maintenant qu'il Sait que je ne prends de plaisir à ce qu'il me "prête" à cet homme, s'il me prête à lui, ce sera une sanction. simplement une sanction. et alors, ce sera la soumise en moi, qui rendra fier son Maître, et non plus la "salope" qui fera semblant d'aimer ça....
     
    je lui souris.... "d'accord."
     
    il prend un air faussement fâché. j'aime quand son visage rit, de cette manière là.
     
    je me corrige rapidement: "bien Monsieur."
     
    "j' aime mieux ça." il passe une main dans mes cheveux.... et saisit mes doigts entre les siens....  
     
    "obtus, hein?"
     
    je baisse les yeux..... sur les dessins sur ma peau..... obtus...... mon Maître adoré.... mais quelle idiote je fais.... je lui souris.
     
    maintenant que les autres sont repartis, je peux redevenir celle que j'aime tant être.... le plaisir reviendra aussi vite qu'il était parti. en fait, il suffisait d'une seule minute dans mon rôle, pour que je recommence à l'apprécier. il n'y avait pas de quoi angoisser.
     
    enfin, alors que je n'y croyais plus, il glisse, comme pour toutes les journées qui sont "à nous" mon collier autour de mon cou....
     
    un large sourire éclaire mon visage.... j'y crois à peine.... j'entoure mes bras autour de lui, et ne peux m'empêcher de pleurer doucement, de soulagement.
     
     
    je le fixe dans les yeux, et répète, tout doucement: "obtus."
     
    un baiser sur mes lèvres..... et deux petits mots..... : "tu Montes."
     
    je monte les escaliers.... vers notre pièce.... notre monde.... vers sa lumière....
     
    encore, et Encore......


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