• Le cahier des Prières

    Lorsque j'ouvre les yeux, je suis surprise de sentir le moelleux de notre lit sous ma peau, et la chaleur de ses bras autour de mon corps. Je m'étais endormie "à ma place", à côté du petit anneau de fer vrillé au mur, au pied de notre lit, je m'étais endormie, en imaginant son sourire, s'il rentrait avant le matin, et voyait que je restais sienne, même pendant son absence.

    A présent, c'est moi qui souris. Dans son sommeil, je l'admire. C'est gênant, de l' "admirer", quand il est éveillé. Le moment où il me demande ce qu'il y a vient très vite, et je détourne les yeux, en disant "rien." . Je me vois mal lui dire " Je t'admire.". Ce sont des choses qui se pensent, mais qui ne se disent pas. Et pourtant, je pourrais passer des heures à contempler son visage. Au début, je l' "admirais" pour être sûre de ne pas oublier ses traits. Je me disais "Si un jour je le perds, et que je ne peux plus contempler son visage, au moins, je pourrai me le réciter, par cœur, et ce sera comme s'il était là, avec moi.". Maintenant, je ne l'admire plus pour l'apprendre par cœur, car je le connais déjà par cœur. Je l'admire, juste pour le plaisir de l'admirer. Juste parce que, quand mes yeux se posent sur son visage endormi, le matin, ils ne peuvent plus s'en détacher. Ils sont "subjugués". Subjugués par chacun de ses traits.

    L'endroit sur lequel mes yeux reviennent sans cesse, c'est son menton. Il l'appuie, en dormant, sur sa main refermée sous son visage, et le contraste entre la peau tirée son poing , et celle, un peu plissée, du bas de son visage, me fascine. Alors que je l'admire, un sourire se dessine en moi.

    Je l'imagine, rentrant au cœur de la nuit, me détachant sans un bruit, et soulevant mon corps endormi entre ses bras, pour me prendre contre lui, jusqu'au matin. Je ne m'en suis même pas rendue compte.

    J'ai envie de le réveiller, pour qu'il me sourie, et, aussi, parce que j'ai envie de lui. Est-ce qu'il s'en rendra compte, lui ? Je me dégage tout doucement de son bras, et pose un baiser sur ses lèvres. Dans son sommeil, il sourit, mais le contact de mes lèvres contre les siennes ne l'a pas réveillé. J'ai tellement envie de lui...

    Je sais que, si je reste contre lui, je ne vais pas pouvoir résister à la tentation de le réveiller, juste pour qu'il me fasse l'amour. Je sais aussi que j'aurai une petite pointe de scrupule, au fond de moi, à le réveiller.

    Je pose un second baiser sur ses lèvres, un baiser qui l'effleure à peine, et, silencieusement, je referme la porte derrière moi, et m'éloigne.

    Dehors, tout est encore endormi, et le ciel a cette couleur de voile rose pâle qui n'existe que pendant quelques minutes, à la naissance du matin. J'ai le visage de mon Maître au creux de l'esprit, et l'envie de sourire à tout le monde qui en découle, sur les lèvres. Comme il n'y a personne, je souris aux nuages, au-dessus des immeubles, et je souris au chien du balcon du coin de la rue.

    La chaleur, l'odeur du sucre, et celle du pain qui cuit, me sortent tout à fait du sommeil.

    "Tiens, ça faisait longtemps qu'on vous avait pas vue. Avec ma femme, on s'était dit que la p'tite demoiselle du croissant du samedi matin elle avait quitté le quartier, tiens."

    Le gras sucré du croissant traverse la fine texture du sachet qui l'enveloppe, et réchauffe mes doigts qui l'entourent.

    " En tout cas, z' êtes bien matinale, hein, aujourd'hui ! z'avez vu l'heure ?!"

    L'heure... Non. Je ne l'ai pas vue. Je n'ai vu que mon Maître. Et si je suis là si tôt, c'est parce que j'avais trop envie de lui pour ne pas le réveiller, si je restais près de lui. Je souris au boulanger. Et je baisse les yeux. S'il savait ce que je suis en train de penser...

    "Bonne journée, hein, Mad'moiselle! à samedi prochain ?"

    Je dis oui. Je pense "peut-être". Je lui souris. Il a une bonne bouille, lui. Avec son accent du Sud trop prononcé, on dirait qu'il sort tout droit d'un film de Marcel Pagnol. Il manque plus que les collines Aubagnaises, derrière lui, et on s'y croirait presque.

    Quand je passe devant la place de l'Eglise, pour rentrer, un bruit s'élève entre les hautes parois de la petite rue. C'est un bruit qui va en s'intensifiant, un bruit de battements d'ailes désordonné et précipité. Je m'approche de la petite fontaine devant laquelle les pigeons semblent paniquer. Ils s'y posent et s'en envolent les uns après les autres, et leur danse respire l'inquiétude et l'incompréhension. Lorsque j'arrive à leur niveau, les battements d'ailes résonnent plus fort, et ils s'alignent sur la gouttière du toit juste au-dessus de moi. Ils n'y rentrent pas tous, et ils ont un air pataud, presque un peu stupide, à se battre à grand coups d'ailes bruyantes, comme si aucun d'eux ne voulait être celui qui n'aura pas de place, sur la gouttière. Je jette un coup d'œil à la fontaine, et réalise que quelqu'un a dû oublier de la fermer, car un morceau de glace vertical est planté comme un stalactite entre la bouche entrouverte de l'ange de pierre qui la compose et la surface de l'eau, gelée, de la coupole.

    C'est pour ça que les pigeons ont cet air étonné et déçu, dans leur danse, ce matin. Ils ne comprennent pas pourquoi on leur a pris leur eau. Ils ne savent pas comment boire, ni se laver. C'est le premier matin où il gèle aussi fort, et, d'une année sur l'autre, ils oublient que l'hiver leur sera dur. Je souris aux pigeons, mais mon sourire est triste. Je pense, à travers les pigeons, aux gens pour qui l'hiver sera dur, aux gens auxquels d'autres gens reprennent l'eau, aussi, parfois, juste pour qu'ils partent. Et qui restent sans eau, puisqu'ils ne savent pas où aller d'autre, aussi vite, aussi imprévisiblement. Aux gens que l'arrivée de l'hiver et du manque surprend, et qui ont l'air incrédule et pataud des pigeons, sur leurs visages. Je souris aux pigeons, et j'ai envie de pleurer.

    Mais il ne faut pas.

    Il ne faut pas. Car le croissant est encore chaud entre mes doigts. Et que j'ai le visage de mon Maître dans la tête...

    Mon Maître... Un sourire...

     

    Si je rentre chez Lui maintenant, je sais que je vais le réveiller, pour ne pas rester seule. Non... je ne vais pas rentrer tout de suite. Il dormait trop bien, quand je l'ai laissé.

    Mes yeux se lèvent vers l'église, au-dessus de moi, et je pousse la lourde porte qui claque derrière moi. Il y fait aussi froid que dehors. Il n'y a personne, juste les "anges" , sur les murs, qui sourient d'un sourire immobile. J'essaie de me persuader que je suis "protégée". C'est bon, de s'en persuader, parfois. On n'a plus peur,  quand on se croit "protégé". Je crois que l'approche de Noël me remplit encore plus de ce besoin de me sentir "protégée". Comme dans les films, où les histoires finissent toutes forcément bien. Mais... les sourires figés des anges, sur les murs de l'église, sont décidément un peu trop figés pour que je n'ai pas peur, et, à force d'y laisser courir mes yeux, le sentiment de protection dont je cherchais à me remplir est en réalité en train de me quitter. Il me quitte, et me laisse vide. Je baisse vite les yeux, pour ne plus les voir, ces anges, immobiles et sans âme. Mon regard se pose sur le "cahier des prières". Je ne sais pas si c'est comme ça qu'il faut l'appeler. Mais... moi, c'est comme ça que je l'appelle. Je crois que personne ne lit le "cahier des prières". Beaucoup de gens l'écrivent, mais peu le lisent. Je le saisis entre mes doigts, et j'ai l'impression que c'est un petit trésor, que j'ai dans les mains. Je commence par la dernière page. Les écritures sont toutes différentes. Celle-ci, c'est quelqu'un de vieux, j'en suis sûre. Sa main a sans doute tremblé, quand elle a écrit. Celle-ci, c'est un enfant. Les lettres sont toutes attachées avec soin les unes aux autres, comme on nous l'apprend, quand on est enfant. Celle-ci demande protection pour elle-même. Celle-ci demande protection pour ses enfants. Celle-ci demande à vivre, à survivre à la maladie. Mes yeux courent de pages en pages. Sans m'en rendre compte, je me suis assise sur le dernier banc de l'église, et ai posé le "cahier des prières" entre mes genoux. Mes yeux ne peuvent plus se détacher de ses pages. Mon cœur bat un peu trop vite. C'est sans doute un peu "barge", peut-être même un peu "immoral", de lire tous ces mots. Mais... j'y prends un plaisir que je ne m'explique pas. C'est comme si les mots de tous ces gens, que je ne connais même pas, remplissaient le vide qui m'a envahie, lorsque les sourires figés des anges ont tourné froidement autour de moi.

    "Protège ma fille". "Protège-moi.". "Protège mes parents, qui sont auprès de toi.". Protège, protège, s'il te plaît, protège nous, protège-les....

    Les larmes me montent aux yeux, et je pleure, mais je ne sais pas pourquoi je pleure. C'est comme si un immense soulagement m'envahissait, à cause des mots du livre des prières. La preuve que tous ceux qui m'entourent, quelques soient leurs actes et leurs mots, ont ce même besoin de protection, ce même sentiment d'amour tendu à l'extrême vers je ne sais même pas quoi , au fond d'eux. La preuve, la preuve que, comme dans les films, je suis "protégée", et que tout se terminera bien. Une de mes larmes s'échappe de ma joue, et dessine sur la dernière page du cahier un rond humide, au cœur duquel l'encre qui a servi à écrire les dernières lignes s'auréole d'un bleu clair.

    Lorsque je repose le cahier à l'entrée de l'église, je lui murmure "à bientôt, petit trésor.", car je sais très bien au fond de moi que je ne résisterai pas, un jour où le vide reviendra en moi, et où je repasserai devant cette porte, à l'étrange envie de le réouvrir, ce livre, assise au dernier rang de l'église, pour y chercher, encore, la chaleur qu'il m'apporte. En fait... je crois que le "livre des prières" est le plus beau livre que je n'ai jamais ouvert.

    La porte se claque lourdement derrière moi, et les pigeons, encore, se battent sur le rebord de la petite fontaine.

    "T'es là ma nine !"

    Je suis surprise, et je sursaute. Un sourire immense m'envahit, et j'efface discrètement les petites larmes au coin de mes yeux, à cause de l'église. Il me serre dans ses bras, et m'embrasse. Je lui tends le croissant.

    "Pour toi !"

    Il rit... "T'es tombée du lit ou quoi?"

    Je rougis. S'il savait....

    "Non."

    "Alors... ( il prend cet air moqueur qui m'énerve autant que je l'adore ) ... t'as été prise d'une foi soudaine?"

    Je rougis plus fort encore... Il m'a vue sortir de l'église... J'ai un peu honte. Il a mis dans le mot "foi" plus de moquerie que dans ses autres mots. Je sais bien que je suis un peu stupide, parfois.

    "Mais non..." Je suis gênée, et cache mon visage dans son manteau.

    Je murmure "En fait... j'avais tellement envie que tu me fasses l'amour, que si j'étais restée avec toi, j'aurais pas pu m'empêcher de te réveiller. Et tu dormais si bien que je voulais pas te réveiller, tu comprends?"

    Il m'écarte un peu de lui, et me regarde, avec la malice de l'envie dans les yeux.

    Voilà : C'est exactement le genre de moments où je suis heureuse de lui être soumise. Car ma soumission me permet de détourner mes yeux des siens, et de les baisser. Si je n'étais pas soumise, je commencerais à l'admirer, et je ne pourrais plus m'arrêter, et il ne comprendrait pas.

    Je sens sa main glisser sous ma fesse, ses doigts relever un peu ma jupe, et, à travers le tissu fin de mes bas opaques, écarter la base de mes cuisses, et presser doucement. Je ne peux pas m'empêcher de gémir d'envie de lui et je blottis mon visage contre lui, pour que mon gémissement reste silencieux. Par dessus son épaule, je jette un regard inquiet autour de nous, mais, heureusement, la rue est déserte. Contre ma peau, je sens son sexe, qui a envie de moi, et, dans ma poitrine, je sens mon cœur qui s'accélère.

    Il me pousse contre le mur, et je ferme les yeux. Pourvu que personne ne vienne, pourvu que personne ne vienne... Je n'ose plus regarder l'angle de la rue, de peur d'y voir une silhouette.

    Sa main, entre mes cuisses, me donne un plaisir de plus en plus violent, qu'elle interrompt brutalement, chaque fois que mon corps se tend vers elle.

    Chaque fois que le plaisir monte dans mon ventre, il le stoppe, au moment où je sens que je ne vais plus pouvoir m'empêcher de gémir. Et, chaque fois, je sens la température de mon corps monter d'un degré, dans le froid humide de ce matin gelé.

    Lorsque ses doigts, pour la énième fois, font mine de me laisser pantelante de désir sous ses baisers, après m'avoir presque amenée au plaisir, je sens, malgré moi, un gémissement de frustration m'échapper, et je sens ma taille se cambrer vers lui, pour faire continuer la caresse, je sens mon corps s'affoler contre ses doigts, sans plus pouvoir s'arrêter.

    "T'es vraiment qu'une petite chienne nina." A peine ses mots prononcés, je sens ses doigts saisir mes cheveux, et tirer mon visage vers l'arrière, augmentant encore la cambrure de mon corps qui se tend vers ce plaisir au compte-goutte qu'il m'offre, et qui me maintient, depuis de si longues minutes, dans cet état, haletante et brûlante, suppliante sous la moindre onde de plaisir accordée par ses doigts. Ses lèvres, qui m'embrassaient il y a à peine une minute, sont à présent en train de maltraiter les miennes, qu'il mord, pince, et tord entre ses dents. Je les lui offre de bon cœur, puisque chaque torture sur mes lèvres rapproche ses doigts de mon intimité, qui ruisselle le long de mes cuisses, trempant le tissu de mes bas, qui sont si tendus que je les sens près à se déchirer. Une petite chienne. Oui. C'est vrai. Il a raison. C'est ce que je suis, en ce moment. Je pense, pendant un instant fugitif, au cahier des prières, à l'église, qui nous surplombe, à son clocher qui semble presque avoir un regard sévère sur moi, à la "presque-foi" qui m'a prise, en lisant les mots des croyants, j'y pense, et je me vois, là, aux premières heures du matin, dans la rue, sous cette même église, en train de me frotter comme une chienne contre la peau de mon Maître, juste pour me donner du plaisir, juste pour satisfaire le feu qu'il a fait naître en moi.

    Lorsqu'il retire sa main, et me lâche, d'un seul coup, je crois que quelqu'un arrive, je sens mon visage s'empourprer, et mes mains rabaisser rapidement le jean court de ma jupe contre mes cuisses. Je sens tout mon corps trembler de honte, et je cherche du regard cette silhouette si redoutée, je la cherche à chaque extrémité de la rue. Mais... il n'y a personne. Je relève un regard apeuré vers mon Maître, et croise ses yeux, qui paraissent si amusés par mon trouble que, un instant, je pourrais presque le haïr.

    Je sens une tape sur ma fesse, et son bras qui entoure ma taille.

    "Allez, ma pépette, on y va."

    Je pense au chemin à parcourir encore, avant d'arriver à notre porte, avant que, enfin, il ne me fasse l'amour, et... et je ne suis pas sûre de pouvoir tenir. Tout mon ventre est brûlant de désir de lui, la peur d'être vue, étrangement, semble même avoir encore intensifié mon désir.

    Je murmure "J'en peux plus."

    Et il rit.

    "T'es vraiment qu'une petite chienne."

    Ses mots font palpiter mon intimité plus fort encore, c'est comme si mon pouls ne battait plus que dans mon ventre. Je ferme les yeux, et je mords ma lèvre inférieure, rendue douloureuse par les morsures de mon Maître. Un instant, je pense, en moi-même, que si quelqu'un me disait que je pourrais être dans cet état là, en pleine rue... ou même n'importe où d'autre, être dans cet état là, tout simplement, je ne le croirais pas. Il n'y a que sur le moment que je réalise à quel point j'ai envie de mon Maître, une fois le plaisir passé, je me demande même si c'est vraiment moi qui ai pu être aussi... chienne.

    Lorsque nous passons devant la fontaine gelée, je sens mon désir descendre d'un petit cran.

    Je murmure "Attends". Je me dégage doucement de mon Maître, m'approche du rebord de la fontaine, et, du bout de mes doigts encore brûlants, comme le reste de mon corps, du désir de mon Maître, je brise la couche de glace qui volait l'eau aux pigeons.

    "Qu'est-ce que tu fais, mon chou?"

    Je ne lui réponds pas. Je lui souris, et je l'embrasse.

    Un bruit se fait entendre sur la surface libérée de l'eau. C'est l'épais morceau de glace qui reliait le visage de l'ange au socle de la fontaine qui vient de se briser, et de tomber dans l'eau gelée.

    Il nous éclabousse un peu, l'eau est si froide que les lèvres de mon Maître quittent les miennes.

    Il se retourne, et regarde le morceau de glace. J'entends un rire s'échapper de ses lèvres.

    Du bout des doigts, il récupère le morceau de glace, et me le montre.

    "Regarde, nine ! C'est exactement ce qu'il faut pour calmer les petites chiennes comme toi !"

    Il retourne la glace entre ses doigts, et je frémis, à l'idée de ce qu'il pourrait me faire avec.

    Je croise ses yeux. Je crois qu'il a vu que j'avais peur, et je décide de prendre sur moi pour ne pas lui faire ce plaisir là. Je lui tire la langue, et m'éloigne.

    "Pfff... il sera fondu avant qu'on arrive, ton truc."

    Il me rejoint sans hâte.

    "Tu crois?"

    Il pose un baiser sur ma joue, et je sais, à son air ravi, que notre retour à la maison ne commencera pas, comme je l'espérais, par mon plaisir. Il finira sans doute par mon plaisir, mais mon Maître prendra le sien avant.

    Le long du chemin, je guette le morceau de glace, espérant qu'il puisse fondre, au moins un petit peu. Allez, fonds, toi ! fonds ! s'il te plaît...

    Son contour brille entre les doigts de mon Maître, et je sens mon cœur s'accélérer. Il avait sans doute raison, en disant avoir trouvé le jouet idéal pour "calmer sa petite chienne", puisqu'il me suffit de le regarder, pour que mon désir laisse sa place à ma crainte.

    A peine la porte refermée derrière nous, j'entends la voix sans appel de mon Maître prononcer "Allez."

    Un mot, un seul, et je sais ce que j'ai à faire. Je retire mes vêtements, ne gardant que mon collier, signe de mon appartenance, et suis sans un mot mon Maître dans Notre pièce, en fuyant son regard.

    Il ne m'a pas encore fait face que je suis déjà à ses pieds, le regard baissé, prête à assouvir chacun de ses désirs, prête à lui être aussi soumise que j'en suis capable, pendant aussi longtemps qu'il le voudra, et aussi intensément qu'il le décidera. Je sens une onde de plaisir me traverser. Un plaisir mêlé de crainte, mêlé de honte, mêlé de tout. De tout ce qui fait que je prends tant de plaisir à être sienne. Que je prends tant de plaisir à imaginer son regard qui parcourt mon corps, son jouet, en prenant tout son temps, parce qu'il sait que le temps ne fait qu'augmenter mon trouble, et ne m'offre que davantage encore à Lui.

    Lorsqu'il me soulève, je sens ses doigts contre ma peau, et ils sont glacés. Glacés d'avoir gardé entre eux, pendant le chemin, le morceau de glace qui va maintenant me faire me tordre sous ses doigts, entre mes liens.

    Sur la table, il me positionne à quatre pattes, et je sens, entre mes cuisses entrouvertes, le fruit de mon désir tremper l'intérieur de mes cuisses.

    Je sens les liens serrer mes poignets, et les tirer, réunis, vers l'avant, plaquant mes seins contre le bois froid, et mon visage contre l'intérieur de mes coudes. Je sens d'autres liens entourer ma taille, et tirer, tirer aussi fort que mon corps peut le supporter, vers le haut, cambrant mes reins, et offrant mes fesses, décollant presque mes genoux du bois. Les derniers liens écartent et immobilisent mes chevilles, mais c'est presque inutile. Le plus petit mouvement de mon corps resserre si fort la corde autour de ma peau qu'elle comprime mon sang, me faisant gémir de douleur, et me convaincant facilement de rester immobile. 

    J'ai à peine eu le temps de le chercher du regard que je sens, déjà, les premières gouttes gelées sur mon dos. Je frémis, retenant un gémissement qui ne saura plus se taire, lorsque la glace viendra vraiment danser sur ma peau. Pas un cm² de mon dos, ou de mon ventre, ou de ma nuque, ou de mes fesses, de mes cuisses, mes chevilles, la plante de mes pieds, l'intérieur de mes mains, pas un cm² de ma peau, que mes liens lui offrent, ne sera épargné par la brûlure de la glace. Je sens tout mon corps trembler, même mes dents claquent silencieusement, dans ma bouche. Mon Maître appuie fort le morceau de glace contre chaque partie de mon corps, le frottant, le tournant, le sculptant aux dimensions et à la forme qu'il souhaite obtenir. Je sens les gouttes d'eau glacée dégouliner de ma peau, mon souffle s'accélère, j'ai fermé les yeux, et, à présent, je reste silencieuse.

    Lorsque la glace vient jouer sur mon visage, je ne peux m'empêcher de le détourner, et de fermer les yeux, mais mon Maître le maintient entre ses doigts, me jetant un regard qui en dit long sur ce qui m'arrivera si je ne reste pas immobile. L'extrémité du morceau de glace s'enfonce entre mes lèvres, mon Maître les écartant en appuyant de chaque côté de mes joues. Mes lèvres sont si ouvertes que j'ai l'impression qu'elles vont se déchirer, la glace s'enfonçant presque jusque dans ma gorge.

    Lorsque mon Maître retire la glace de ma bouche, il s'accroupit devant moi, et me montre le morceau de glace, qui a à peine fondu.

    "Bien. J'imagine que tu sais très bien où il finira, n'est-ce pas?"

    Mon corps tremble tellement que j'ai l'impression qu'il ne pourra plus jamais se réchauffer, je fais oui avec la tête.

    "Alors, je te laisse le choix: soit je continue à le réduire sur ta peau, jusqu'à ce qu'il soit plus mince, soit je commence à jouer avec toi tout de suite."

    Je ferme les yeux. Je crois que si la glace passe encore une fois, une seule fois, le long de ma colonne vertébrale, je vais mourir de froid. J'ai si froid que je ne supporterai plus de sentir cette glace danser sur ma peau, s'y attarder, redémarrer, encore, et encore, et encore...

    "Décide-toi, nine."

    Lorsque j'ouvre à nouveau les yeux, je murmure "je préfère que vous ne le réduisiez plus, Monsieur."

    "Bien. J'en étais sûr. Chienne jusqu'au bout."

    Je soupire doucement.

    "Alors, dis-le moi, que tu as envie que je te défonce, maintenant. Dis-le moi."

    Les mots sortent de mes lèvres, mais je ne les pense plus. Comme chaque fois, mon Maître a gagné, et c'est Son plaisir qui passe avant le reste, je ne "suis" plus chienne, je "joue" la chienne, juste pour son plaisir.

     
     

    J'ai senti la glace s'enfoncer dans mon ventre, et j'ai crié. J'ai crié, j'ai pleuré, je ne savais pas que le froid pouvait brûler à ce point. Je me suis tordue et contractée dans mes liens, les resserrant si fort autour de ma peau que j'ai fini par pleurer autant de la douleur qu'ils me donnaient que de celle qui s'enfonçait, inexorablement, centimètre par centimètre, à l'intérieur de mon ventre. La glace a fini par se retirer, mais elle est revenue. Encore, et encore... Elle s'est enfoncée et retirée tant de fois de moi, et avec une telle lenteur, que j'ai fini par arrêter de compter. J'avais l'impression que l'intérieur de mon corps était en feu, glacé, et brûlant de mon sang.

    Lorsque la glace m'a quittée tout à fait, je ne m'en suis pas rendue compte. Mon ventre était comme anesthésié, et je sentais à peine ce qui s'y passait.

     
     
     
     
     

    Mon Maître passe ses doigts dans mes cheveux, et frictionne mon corps entravé avec une serviette sèche. Je sanglote doucement, le visage enfoncé entre mes avant-bras.

    Il me sourit. "ça va?" Un baiser, sur mes lèvres tremblantes.

    Je murmure "J'ai froid." Ma voix tremble. Tout tremble.

    Un souffle, contre mon oreille "Tu veux que je te réchauffe?"

    Je ne réponds pas.

     
     
     
     
     
     

    Lorsque le premier coup est tombé, sur mes fesses offertes, j'ai été surprise que mon Maître frappe si peu fort. Le martinet a dansé sur mon dos, descendant, puis remontant sa cambrure, s'attardant, chaque fois, sur mes fesses. Chaque coup m'a faite sursauter, mais pas vraiment de douleur, c'est plus de la crainte de la douleur, que mon corps s'est contracté.

    Je dois bien l'avouer, les lanières du martinet ont fini par me réchauffer, et, à mesure que la douleur dans mon ventre se calmait, j'ai recommencé à avoir envie de mon Maître. Ca n'était pas la même envie qui m'avait prise le matin, en me réveillant à côté de lui, et en le trouvant si beau, dans son sommeil, ça n'était pas non plus la même envie qui m'avait prise dans la rue, alors que ses doigts me rendaient folle de désir de lui, c'était une envie bien particulière, l' "envie de la fin de séance", lorsque le martinet, ou la cravache, ou sa main, danse sa dernière danse sur mon corps, et que tout mon être dépend de lui. Dépend du moment où il choisira d'arrêter la douleur, et de me libérer, et de m'accorder à nouveau le droit d'être autre chose que l'objet de son plaisir. Ca n'est peut-être pas la plus pure des trois envies, mais c'est sans doute celle des trois qui fait battre mon cœur le plus fort, et brûler mon corps le plus chaudement.

     

    Lorsque le martinet s'est affolé sur mes fesses, j'ai su que le moment où mon envie serait comblée approchait. Et je les ai tendues, mes fesses, tendues vers la morsure de la douleur, autant que mes liens me le permettaient. Mon Maître a vu que je me tendais, il m'a semblé que je pouvais le voir sourire, et il a frappé. Espaçant les coups, il a frappé si fort que j'en ai pleuré de plaisir.

     
     

    Lorsqu'il m'a détachée, et m'a fait l'amour, je n'ai tiré mon plaisir que du brillant de ses yeux. J'avais si mal, à cause des brûlures de la glace, dans mon ventre, que mon plaisir était masqué par ma douleur. Et pourtant, j'ai joui. Mon corps s'est arqué de plaisir sous le sien, simplement en se nourrissant du plaisir qu'il y avait dans Son regard. Ce regard, conscient que ma douleur, à chacun de ses va et viens dans mon ventre, s'intensifiait, mais que pour rien au monde je ne m'y serais soustraite. Son sexe s'est fait de plus en plus violent en moi, j'ai gémi, de douleur, de plaisir, je ne sais plus, tout ce que je sais, c'est que chacun de mes gémissements faisait briller son regard un peu plus, et que, lorsque j'ai senti le plaisir traverser son corps, le mien s'est arqué tout entier, et j'ai oublié, complètement oublié, que j'avais pu avoir si froid, à peine quelques minutes plus tôt.

     

    J'ai eu si chaud, à ce moment là, qu'il m'a semblé, lorsque son corps s'est enfin détendu contre le mien, que je n'aurais plus jamais froid.


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