• Les mitaines

    Mes yeux se plissent d'envie de rire, en le voyant tourner dans toute la maison, à la recherche de ses clés. Chaque fois que l'on doit aller quelque part, c'est le même rituel. Au moment où l'on pose les doigts sur la poignée, j'entends " les clés ?", et je le vois tourner en rond, fouiller dans toutes les poches des vêtements, et les tiroirs, et j'ai envie de rire. J'ai envie de rire, parce que je sais qu'après il va me râler dessus en disant "on est encore en retard parce que tu mets deux heures à te préparer" , alors que c'est la faute des clés, et que moi je vais l'embrasser, comme pour me faire pardonner, et qu'après il va me sourire.

    Les clés dans la main, il me rejoint, et jette un coup d'œil sur ma tenue.

    Je baisse le visage, le laissant me détailler, et coupant ma respiration, une toute petite pointe d'appréhension me traversant.

    "ça va."

    Ma respiration a recommencé, et je lui souris.

    "Juste... T'arrêtes de te la péter, avec tes p'tites mitaines, là."

    Il prend mes doigts entre les siens, et tire doucement sur le tissu des fines mitaines noires qui entourent mes poignets, mes paumes et la base de mes doigts.

    Je ris doucement, me mets sur la pointe des pieds pour embrasser sa joue, et, comme si c'était un secret, mes lèvres, contre son oreille, articulent:

    "C'est pas pour me la péter, c'est pour cacher."

    "Pour cacher quoi?"

    Comme s'il ne savait pas...

    "Bin, pour cacher les traces."

    Il me fixe, l'air surpris.

    "Les traces de quoi?"

    Je cherche son regard, pour essayer d'y voir s'il plaisante, pour m'embêter, ou s'il est sérieux. J'ai beau chercher, je ne vois pas d'humour, dans ses yeux. Alors, je détourne les miens.

    "Les traces de toi." J'ai murmuré les mots, et ai essayé de mettre dans ma voix autant d'amour que possible, pour ne pas qu'il croit que c'est un reproche.

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    Ses doigts finissent de retirer tout à fait le tissu, autour de mes mains, et les retournent, paumes vers le haut, paumes vers ses yeux. Il regarde les traces, il passe deux doigts le long des fines zébrures roses, et encore un peu rouges au milieu.

    "C'est pas moi qui t'ai fait ça."

    Il lâche mes mains.

     

    Je reste un moment silencieuse. Il me fixe, attendant que je réponde quelque chose. Je ne comprends pas vraiment ce qui se passe.

    Il me regarde comme si ça n'était Vraiment pas lui qui m'avait fait les traces.

    Les mots m'échappent, si évidents. "Si, c'est toi."

     

    J'ai cru voir de la colère contre moi sur son visage, mais j'ai peut-être rêvé.

    "Non."

     

    Il me laisse dans l'entrée, et part dans la cuisine.

    Je demande " Alors... on sort plus, c'est ça?"

    Il ne me répond pas. Peut-être qu'il ne m'a pas entendue.

    J'ai envie de le rejoindre, mais je n'ose pas. Pourquoi il a dit "Non" ?

     

    Je traverse la pièce, et reste à quelques mètres de lui, de l'autre côté du bar.

    "Raphaël, alors, on sort plus, c'est...."

    Je n'ai pas fini ma phrase.

    Raphaël a appuyé ses mains sur l'évier , et, les bras tendus, ses yeux semblent fixer l'écorce du tronc de l'arbre, de l'autre côté de la fenêtre, de l'autre côté de la rue. Je ne vois qu'une partie de son visage, mais... je crois qu'elle brille.

    Lorsqu'il sent ma présence derrière lui, je vois sa main passer rapidement sur sa joue, et, en moins de deux secondes, elle ne brille plus.

    Tu pleures? J'ai pensé les mots, mais ne les ai pas dits. Il n'aimerait pas que je les dise, il n'aimerait pas devoir me répondre à ces mots. Je ne crois pas que j'avais déjà vu Raphaël pleurer. Même face à la mort, il n'avait pas pleuré. Il n'y a qu'après l'amour, parfois, que des larmes avaient fait briller ses joues, mais c'était des larmes rapides, des larmes de plaisir.

     

    "Si, mon chou, on sort."

     

    Il se retourne vers moi, et je crois qu'il sait que j'ai vu sa joue briller, même si j'essaie de faire mine de sourire.

    Il me dit qu'on sort, mais il ne bouge pas. Je lui tourne le dos, et fais un pas vers la porte, pour qu'il me suive, pour qu'on ne reste pas là, tous les deux, sans bouger.

    "nina?"

    Je m'immobilise, mais ne me retourne pas vers lui. J'entends sa voix, derrière moi.

     

    "Dis le moi, que c'est pas moi qui t'ai fait ça. Tu le sais bien que des fois, tu te fais mal toute seule. Tu le sais bien. T'es comme ça. Tu le sais."

     

    Je sens quelque chose monter dans ma poitrine. Pourquoi est-ce que je dirais ça? ça n'est pas vrai. Enfin.... si, c'est vrai que des fois je me fais mal toute seule, mais là, mes paumes, c'est bien lui qui leur a fait ça, la semaine dernière, c'est pas moi. J'ai pas envie de dire ça. Ce qui monte dans ma poitrine, ça ressemble à de la colère, mais ça n'en est pas. Je crois que c'est surtout de l'incompréhension. Qu'est ce qui lui arrive, à mon Maître ? Pourquoi il fait ça ?

     

    Je me retourne, prête à lui dire que Si, c'est lui, prête à hausser la voix contre lui, pour que l'incompréhension ne reste pas en moi, mais, lorsque je suis face à lui, sa joue brille à nouveau, et, cette fois-ci, sa main ne passe pas sur sa peau, pour qu'elle ne brille plus. J'aimerais, pourtant...

     

    Je contourne le bar, et viens me blottir contre lui. Je sens ses bras s'entourer autour de moi, et sa poitrine se contracter, pour se retenir de trembler.

    Je murmure "D'accord, c'est pas toi...", et, lorsque ma voix se tait, c'est la mienne, de poitrine, qui se contracte pour ne pas trembler, contre son corps.

      

    Dans l'entrée, je retiens un sourire, car je le vois à nouveau chercher les clés. A nouveau, il les a posées quelque part, il ne sait plus où, et il tourne en rond, et j'ai envie de sourire.

     

    Lorsqu'il me rejoint enfin, je sens sa main serrer doucement mon épaule, et me retourner face à lui. Il y a bien longtemps que je n'avais pas vu son visage prendre un air aussi grave.

    "Tu sais, nina, si tu veux t'en aller, je t'aiderai. Financièrement. Moralement. Je t'aiderai."

     

    Mon cœur s'est arrêté.

    "C'est ce que tu veux? Que je m'en aille?"

     

    "Non. Je veux que tu restes."

    "Bin alors?"

     

    "Alors....." il prend à nouveau ma main dans la sienne, et désigne les marques, du regard.

     

    "Alors, c'est pas toi qui t'es fait ça...."

     

    Je reste un moment silencieuse, à regarder les marques.

    "Oui, je sais...."

       

    Il y a des moments où le temps semble s'arrêter. Ma main dans la sienne, je crois qu'on a bien dû rester cinq minutes à regarder les traces. Comme si le temps s'était stoppé.

     

    C'est moi qui ai remis le temps en marche.

    "Moi, je pense qu'on va y arriver, tu sais."

     

    "Y arriver à quoi?"

     

    "J'sais pas. Y arriver, c'est tout."

     

    Je sais pas pourquoi on a pouffé de rire, tous les deux, quand nos yeux se sont croisés.

    Peut-être simplement qu'on était contents de plus être seuls chacun de notre côté, moi à regarder les marques, et lui à ne pas les regarder.

     

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