• Mes yeux se plissent d'envie de rire, en le voyant tourner dans toute la maison, à la recherche de ses clés. Chaque fois que l'on doit aller quelque part, c'est le même rituel. Au moment où l'on pose les doigts sur la poignée, j'entends " les clés ?", et je le vois tourner en rond, fouiller dans toutes les poches des vêtements, et les tiroirs, et j'ai envie de rire. J'ai envie de rire, parce que je sais qu'après il va me râler dessus en disant "on est encore en retard parce que tu mets deux heures à te préparer" , alors que c'est la faute des clés, et que moi je vais l'embrasser, comme pour me faire pardonner, et qu'après il va me sourire.

    Les clés dans la main, il me rejoint, et jette un coup d'œil sur ma tenue.

    Je baisse le visage, le laissant me détailler, et coupant ma respiration, une toute petite pointe d'appréhension me traversant.

    "ça va."

    Ma respiration a recommencé, et je lui souris.

    "Juste... T'arrêtes de te la péter, avec tes p'tites mitaines, là."

    Il prend mes doigts entre les siens, et tire doucement sur le tissu des fines mitaines noires qui entourent mes poignets, mes paumes et la base de mes doigts.

    Je ris doucement, me mets sur la pointe des pieds pour embrasser sa joue, et, comme si c'était un secret, mes lèvres, contre son oreille, articulent:

    "C'est pas pour me la péter, c'est pour cacher."

    "Pour cacher quoi?"

    Comme s'il ne savait pas...

    "Bin, pour cacher les traces."

    Il me fixe, l'air surpris.

    "Les traces de quoi?"

    Je cherche son regard, pour essayer d'y voir s'il plaisante, pour m'embêter, ou s'il est sérieux. J'ai beau chercher, je ne vois pas d'humour, dans ses yeux. Alors, je détourne les miens.

    "Les traces de toi." J'ai murmuré les mots, et ai essayé de mettre dans ma voix autant d'amour que possible, pour ne pas qu'il croit que c'est un reproche.

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    Ses doigts finissent de retirer tout à fait le tissu, autour de mes mains, et les retournent, paumes vers le haut, paumes vers ses yeux. Il regarde les traces, il passe deux doigts le long des fines zébrures roses, et encore un peu rouges au milieu.

    "C'est pas moi qui t'ai fait ça."

    Il lâche mes mains.

     

    Je reste un moment silencieuse. Il me fixe, attendant que je réponde quelque chose. Je ne comprends pas vraiment ce qui se passe.

    Il me regarde comme si ça n'était Vraiment pas lui qui m'avait fait les traces.

    Les mots m'échappent, si évidents. "Si, c'est toi."

     

    J'ai cru voir de la colère contre moi sur son visage, mais j'ai peut-être rêvé.

    "Non."

     

    Il me laisse dans l'entrée, et part dans la cuisine.

    Je demande " Alors... on sort plus, c'est ça?"

    Il ne me répond pas. Peut-être qu'il ne m'a pas entendue.

    J'ai envie de le rejoindre, mais je n'ose pas. Pourquoi il a dit "Non" ?

     

    Je traverse la pièce, et reste à quelques mètres de lui, de l'autre côté du bar.

    "Raphaël, alors, on sort plus, c'est...."

    Je n'ai pas fini ma phrase.

    Raphaël a appuyé ses mains sur l'évier , et, les bras tendus, ses yeux semblent fixer l'écorce du tronc de l'arbre, de l'autre côté de la fenêtre, de l'autre côté de la rue. Je ne vois qu'une partie de son visage, mais... je crois qu'elle brille.

    Lorsqu'il sent ma présence derrière lui, je vois sa main passer rapidement sur sa joue, et, en moins de deux secondes, elle ne brille plus.

    Tu pleures? J'ai pensé les mots, mais ne les ai pas dits. Il n'aimerait pas que je les dise, il n'aimerait pas devoir me répondre à ces mots. Je ne crois pas que j'avais déjà vu Raphaël pleurer. Même face à la mort, il n'avait pas pleuré. Il n'y a qu'après l'amour, parfois, que des larmes avaient fait briller ses joues, mais c'était des larmes rapides, des larmes de plaisir.

     

    "Si, mon chou, on sort."

     

    Il se retourne vers moi, et je crois qu'il sait que j'ai vu sa joue briller, même si j'essaie de faire mine de sourire.

    Il me dit qu'on sort, mais il ne bouge pas. Je lui tourne le dos, et fais un pas vers la porte, pour qu'il me suive, pour qu'on ne reste pas là, tous les deux, sans bouger.

    "nina?"

    Je m'immobilise, mais ne me retourne pas vers lui. J'entends sa voix, derrière moi.

     

    "Dis le moi, que c'est pas moi qui t'ai fait ça. Tu le sais bien que des fois, tu te fais mal toute seule. Tu le sais bien. T'es comme ça. Tu le sais."

     

    Je sens quelque chose monter dans ma poitrine. Pourquoi est-ce que je dirais ça? ça n'est pas vrai. Enfin.... si, c'est vrai que des fois je me fais mal toute seule, mais là, mes paumes, c'est bien lui qui leur a fait ça, la semaine dernière, c'est pas moi. J'ai pas envie de dire ça. Ce qui monte dans ma poitrine, ça ressemble à de la colère, mais ça n'en est pas. Je crois que c'est surtout de l'incompréhension. Qu'est ce qui lui arrive, à mon Maître ? Pourquoi il fait ça ?

     

    Je me retourne, prête à lui dire que Si, c'est lui, prête à hausser la voix contre lui, pour que l'incompréhension ne reste pas en moi, mais, lorsque je suis face à lui, sa joue brille à nouveau, et, cette fois-ci, sa main ne passe pas sur sa peau, pour qu'elle ne brille plus. J'aimerais, pourtant...

     

    Je contourne le bar, et viens me blottir contre lui. Je sens ses bras s'entourer autour de moi, et sa poitrine se contracter, pour se retenir de trembler.

    Je murmure "D'accord, c'est pas toi...", et, lorsque ma voix se tait, c'est la mienne, de poitrine, qui se contracte pour ne pas trembler, contre son corps.

      

    Dans l'entrée, je retiens un sourire, car je le vois à nouveau chercher les clés. A nouveau, il les a posées quelque part, il ne sait plus où, et il tourne en rond, et j'ai envie de sourire.

     

    Lorsqu'il me rejoint enfin, je sens sa main serrer doucement mon épaule, et me retourner face à lui. Il y a bien longtemps que je n'avais pas vu son visage prendre un air aussi grave.

    "Tu sais, nina, si tu veux t'en aller, je t'aiderai. Financièrement. Moralement. Je t'aiderai."

     

    Mon cœur s'est arrêté.

    "C'est ce que tu veux? Que je m'en aille?"

     

    "Non. Je veux que tu restes."

    "Bin alors?"

     

    "Alors....." il prend à nouveau ma main dans la sienne, et désigne les marques, du regard.

     

    "Alors, c'est pas toi qui t'es fait ça...."

     

    Je reste un moment silencieuse, à regarder les marques.

    "Oui, je sais...."

       

    Il y a des moments où le temps semble s'arrêter. Ma main dans la sienne, je crois qu'on a bien dû rester cinq minutes à regarder les traces. Comme si le temps s'était stoppé.

     

    C'est moi qui ai remis le temps en marche.

    "Moi, je pense qu'on va y arriver, tu sais."

     

    "Y arriver à quoi?"

     

    "J'sais pas. Y arriver, c'est tout."

     

    Je sais pas pourquoi on a pouffé de rire, tous les deux, quand nos yeux se sont croisés.

    Peut-être simplement qu'on était contents de plus être seuls chacun de notre côté, moi à regarder les marques, et lui à ne pas les regarder.

     

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  • "C'est fermé."

    "On est en avance, non?"

    "Je sais pas, quelle heure il est?"

    "Il est 35."

    "On est en avance."

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    Je le vois sortir une clé de sa poche, et ouvrir la porte. Je suis surprise qu'il ait la clé. Un doute me prend, qui me fait trembler des pieds à la tête.

    "Dis, toi et Marielle, vous...."

    "Quoi? Finis ta phrase."

    "Tu sais bien."

    "Non. A un moment, oui, mais plus maintenant. Et puis, tu sais, avec Marielle, on faisait pas l'amour, on baisait. C'est tout. Quand on se sentait seuls. Mais plus depuis que tu es là. Ça te va, princesse?"

     

    Je souris. Oui.... Je crois que ça me va.

     

    "Excuse-moi Raphaël. C'est juste que j'aurais pas voulu qu'elle me dessine, si tu faisais l'am... si tu baisais avec elle."

     

    Raphaël pousse la porte. L'ambiance de chez Marielle, que j'adore, m'enveloppe immédiatement. Odeur d'encens, petits rideaux multicolores très fins, sur des murs pâles auxquels sont accrochés ses dessins. Rideaux plus épais, pour séparer les pièces, aux couleurs tendres. Et mannequins féminins, en plastique blanc brillant, sur lesquels elle essaie ses dernières créations, et dont la position et la minceur des bras me font penser à des silhouettes de petites danseuses, souples et graciles. Tout est douceur, à chaque fois, chez Marielle.

     

    Peut-être aussi, que si tout me paraît aussi beau, ici, c'est parce que c'est ici que je me suis enfin "révélée" soumise. Grâce à un dessin.

     

    "Je vais garer la voiture, tu m'attends ici?"

    "Oui."

     

    Je le vois s'éloigner, et il me paraît plus beau que d'habitude, dans cette ambiance de cocon de soies légères, qui règne ici.

     

    "Raphaël? Elle va rien dire, Marielle, qu'on est entrés?"

    "Non. T'inquiètes pas."

     

    La porte se claque derrière lui.

    Je pose mon petit sac par terre, et laisse courir mon regard sur les dessins de Marielle. Mes préférés sont ceux en noir et blanc. Marielle dessine la nudité, mais elle la dessine tellement bien que ses personnages ne paraissent pas nus. Ils paraissent habillés de douceur.

    Je suis, comme chaque fois, subjuguée par chacun de ses traits.

     

    Sur le pan de mur du comptoir, une série de dessins en couleur, différents, attire mon attention. Ce sont des petits crabes, dans des coquillages, dont Marielle a "humanisé" les expressions. L'un paraît timide, l'autre tient entre ses pinces une guitare, et arbore un visage insolent, un autre encore paraît excessivement joyeux. Je souris, passant de l'un à l'autre comme si je découvrais vraiment la personne caricaturée.

     

    "Ils te plaisent?"

     

    Je sursaute.

     

    "Tu m'as fait peur, je ne t'avais pas entendue."

     

    Marielle me sourit, et m'embrasse.

     

    "Oui, ils sont chouettes, tes petits crabes."

    "C'est pas des crabes, c'est des bernard-l'ermite."

    "Des quoi?"

    "Des bernard-l'ermite. C'est comme des crabes, mais qui vivent dans des coquilles. Et ils promènent leur coquille avec eux, toute la journée. Comme des escargots, mais en crabes."

    Un instant, je me demande si elle se moque de moi, ou pas. J'hausse les épaules, et lui souris.

    "Ah bon. Ba ils sont chouettes quand même."

     

    Marielle rigole doucement.

     

    "Attends, bouge pas, nine."

     

    Je la vois saisir son bloc de dessin, et son crayon, sur le petit comptoir, et me regarder.

     

    "Tu vas me bernard-l'ermitiser, c'est ça?"

    "Oui."

     

    Je suis gênée qu'elle me regarde comme ça, comme si elle lisait en moi ( chaque fois que Marielle prend un crayon entre ses doigts, il me semble qu'elle peut lire au travers de son modèle.).

     

    J'entends le crayon crisser sur le papier, et, rapidement, Marielle présente devant moi le dessin.

    Je le prends entre mes doigts, et n'y vois qu'une coquille vide. Mes yeux vont du dessin qui est entre mes doigts aux autres dessins qui sont accrochés sur le mur du comptoir.

     

    "Y'a rien. Je suis où ? Y'a que la coquille."

     

    Elle me contourne, passe derrière moi, et du bout de l'index, me désigne une toute petite tâche orangée, tout au fond des courbes de la coquille.

     

    "T'es là."

    "Mais c'est qu'un point, Marielle."

    "Oui. Le point, c'est toi." Elle me sourit.

     

    Je fixe la petite tâche orangée, et sens les larmes me monter aux yeux.

     

    La porte s'ouvre.

     

    "Vous commencez pas sans moi, hein, les filles?"

    Marielle rit, et, sur la pointe des pieds, embrasse mon Maître. Je détourne les yeux, ravale l'étrange oppression qui m'a prise, à cause du point, pose le dessin de Marielle sur le comptoir, et leur souris.

     

    Ce que l'on ne doit pas commencer sans mon Maître, ce sont les dessins. Les dessins pour lesquels je suis... nous sommes ici.

    Marielle est une artiste, et, comme toute artiste, elle a besoin d'éléments extérieurs, pour stimuler son don. L'un des éléments extérieurs qui stimulent Marielle est la soumission.

    Ma soumission, entre autres. Et, je le sais, mon corps. Mon corps qui ondule sous ses yeux, se tendant vers la soumission comme le désespoir se tend vers la lumière, comme la mort supplie pour la vie.

     

    Marielle sourit en me regardant, protégée, encore, par mes vêtements, et je lui souris, sachant très bien que, dans très peu de temps, plus rien ne me protégera du "don" de Marielle. Pour que ce don vive, s'exprime, s'extirpe d'elle enfin, comme un papillon s'extirpe de son cocon, nous n'attendons toutes les deux plus qu'une seule voix. Deux petites lèvres closes qui nous contemplent, moi rêvant d'entendre enfin le crayon de Marielle crisser sur le papier, et elle remuant discrètement ses doigts contre sa cuisse, comme pour les calmer, comme on prépare un guerrier, avant le combat. Dieu que j'aime l'expression que prend Marielle, avant qu'elle n'ait le droit de dessiner, avant que son modèle ne prenne place sous ses yeux, et ne s'offre à elle, pour quelques minutes, ou quelques heures. Dieu qu'elle est belle, cette femme, dans son monde de pastels, avec le bout de ses doigts grisé par le crayon, et sa feuille, tremblante, contre sa poitrine, et.... et ce sourire... même ma timidité s'efface, au moment où je dois être nue devant elle, tant lui offrir ma nudité, pour un petit moment de concentration intense, immobile, dans ce monde qui s'agite et qui crie dans tous les sens, semble la combler.

     

    "Allez."

     

    La voix de Raphaël a séparé mes pupilles brunes de celles de Marielle. Je ne sais pas vraiment ce qui s'est passé, pendant ces quelques minutes. Ce n'est pas de l'amour, l'une pour l'autre, que nous avons ressenti. C'est autre chose. Mais je ne sais pas quoi.

     

    Un à un, mes vêtements s'effacent, dévoilant mon corps, et rougissant mes joues. La honte monte en moi, incontrôlable, inévitable. Je sens chaque parcelle de ma peau trembler.

     

    Comme ce moment me rappelle la toute première fois, ici.... Sous le regard pudique de mon maître, qui s'était effacé dès que mes seins s'étaient libérés. Comme je l'aimais, déjà.... Comme je l'aime...

     

    Sur ma peau nue, je sens les doigts de Raphaël qui me guident.

    A genoux... Non.... A quatre pattes, déjà. Et ses doigts sous mon ventre, qui le soulèvent un peu, pour que je me cambre, pour que je m'offre. Je ferme les yeux, et je souris. Marielle me fixe, et, pourtant, la honte en moi semble disparaître un peu plus à chaque fois que Raphaël me frôle.

    Je sens le cuir froid de mon collier s'entourer autour de mon cou, et deux bracelets, du même cuir, autour de mes poignets. Je jette un regard rieur à Raphaël. Il sait bien que nous faisons semblant, là. Car ces bracelets, ils ne sont jamais sortis de leur boîte. Ils n'ont jamais été autour de mes poignets. Il pose un baiser sur mon front, et pouffe de rire, discrètement. Il faut bien "stimuler l'artiste". Car nous l'aimons, notre artiste. Oui, nous l'aimons. Nous aimons ce regard "neuf" qu'elle pose sur notre jeu, nous aimons les dessins splendides qu'elle en fait, à chaque fois. Nous aimons même savoir que ces dessins seront vus par d'autres. Nous aimons cela, car, chaque fois, ils sont beaux. Chaque fois, ils nous rapprochent l'un de l'autre, comme au tout début. Lorsque nous sortons de chez Marielle, après qu'elle ait dessiné notre jeu, il me semble qu'elle lui a rendu sa jeunesse, qu'elle lui a rendu ses couleurs. Qu'elle l'a rendu pastel, transparent, clair, superbe, originel, comme il devrait Toujours l'être, comme il devrait toujours le rester. Il me semble, chaque fois, en sortant de chez Marielle, que l'on m'a rendue mon oxygène, que l'on m'a rendue à moi-même, que l'on m'a rendu le droit de vivre, et le droit de respirer, que l'on m'a rendue.... que l'on m'a rendue à mon Maître.

     

    Les premiers crissements de crayon se font entendre, nets, précis. Je m'applique à rester immobile. Je ne vois ni Raphaël, ni Marielle, et je me force à ne pas essayer de les chercher du regard. Je me force à garder ma position, je me force, pour que le dessin de Marielle soit superbe.

     

    "Tu as froid ?" Les mots de Marielle m'ont sortie de ma torpeur. Je me force à ouvrir les yeux.

     

    "Non.... Pourquoi ?"

     

    "Tu trembles. "

     

    "Pardon. "

     

    Le crissement a repris. Maintenant, je me concentre, aussi, pour ne plus trembler.

     

    J'entends les pas de Raphaël, dans la pièce. ( Je les reconnaîtrais entre mille ). J'entends qu'il contourne Marielle, j'entends la feuille de papier changer de mains.

    J'entends deux petits "hum" non satisfaits, s'élever à l'unisson. Je soupire.... C'est le genre d'après-midi qui va durer longtemps. Très longtemps. Le genre d'après-midi où Marielle aura besoin de temps. Je soulève ma main droite, et essaie de détendre mon poignet, pour faire passer la crampe.

     

    Des doigts s'entourent autour de ma nuque, qui serrent, et qui secouent. Je ne fais pas un geste pour échapper à leur pression sur ma peau.

     

    "Qui t'a dit de bouger ? "

     

    A peine la honte que Marielle ait pu entendre la façon dont Raphaël a élevé la voix sur moi passée, je me fais pardonner, du regard, reprends ma position, et souris, en voyant que Raphaël, après avoir remodulé mon corps à sa guise, vient se placer devant moi, comme pour s'assurer que je reste immobile.

    Je souris, parce que je sais que si je le regarde, lui, mon Maître, pendant que Marielle dessine, alors le dessin sera plus beau.

     

    Combien de fois ai-je entendu ce "hum" prononcé par leurs deux voix ? Combien de fois ai-je entendu le papier se chiffonner, en une boule serrée qui est partie se cogner mollement contre le plastique de la corbeille ? Assez de fois pour que les crampes soient dans chacun de mes membres, et même dans mes reins. Mais je m'en moque. Je ne bougerai pas.

     

    "Attends, tu vas voir." La voix de mon Maître a tué la longueur de ce temps qui n'en finissait plus de jouer avec mon corps et ma volonté. Je ne sais pas si elle s'adresse à Marielle, ou à moi.

     

    J'entends Raphaël se saisir du petit cadre de bois clair de Marielle, qui lui sert de support, et le tirer juste devant moi, à quelques mètres, contre le mur. Derrière le support, et derrière la feuille de papier blanc, il y a un miroir. Raphaël me contourne, se place derrière moi, et caresse ma nuque.

     

    Il murmure "Parfait."

    Sa voix, si proche de moi, m'électrise d'envie de lui.

     

    Je relève les yeux, et comprends que, dans le miroir, je pourrai voir chacun des traits de Marielle sur le papier. Je souris.

     

    Le premier trait, c'est mon dos. Le second, c'est ma taille, puis mes seins. Que ma taille est fine, et que mes seins sont ronds, sous les doigts de Marielle...

    Raphaël détaille chaque expression de mon visage. Mes yeux vont de ceux de Raphaël à la feuille de papier, et, chaque fois qu'ils s'arrêtent sur ceux de mon Maître, ils ne peuvent s'empêcher de briller.

     

    Raphaël se penche au dessus de l'épaule de Marielle, et, du bout de son index, redessine après elle le trait qu'elle vient de jeter: c'est ma nuque. Je sens les doigts de mon Maître contre elle, à travers le dessin, et je gémis. Mon gémissement les a surpris tous les deux, et je baisse les yeux.

     

    Pas pour longtemps.... Le trait de Marielle qui suit, ce sont mes fesses. Et là encore, l'index de Raphaël se promène sur le dessin, et je sens sa chaleur, sur ma peau. Je sens mon intimité s'humidifier, et mes lèvres s'entrouvrir, et, à nouveau, un gémissement s'en échapper.

    Lorsque Marielle, d'un geste expert, presque trop parfait, trace mon collier, et les bracelets, sur ma peau.... enfin, sur la peau du dessin, et que Raphaël les surligne, eux aussi, je sens mes muscles trembler, je sens mon corps prêt à s'effondrer.

      

    Chaque caresse sur le dessin, je l'ai sentie. Presque aussi fort..... Non... Plus fort... Que si je l'avais eue. Je ne sais pas comment je n'ai pas joui... joui de l'envie de mon Maître,

    dans cette pièce.

       

    Lorsque Raphaël et Marielle se croisent du regard, je devine une lumière complice sur leurs visages, et je sais que le dessin est réussi. Et, enfin, je me détends..

       

    Tant que Raphaël ne me dit pas de me relever, je ne bouge pas. Pour garder l'énergie de rester ainsi immobile, malgré la douleur ( Il a bien dû s'écouler trois heures, depuis les dessins ratés, depuis le "dessin caresse", depuis le.... depuis le "point" , dans la coquille du crabe, j'en suis sûre. ) , je me concentre sur leurs deux sourires, qui s'éteignent, puis renaissent aussitôt, dès que leurs yeux se posent sur le dessin.

    Moi aussi, je le fixe, de loin, le dessin, malmené qu'il est, reflet chamboulé par les toutes petites fissures, sur le miroir, qui a dû être lâché à terre, un jour.

     

    Lorsque mes yeux reviennent vers ceux de Raphaël, j'y croise une lueur que je connais trop bien pour ne pas être capable de prononcer son nom sans nom, en moi.

     

    Raphaël murmure "il manque un détail."

     

    Je l'interroge du regard, sans comprendre.

    Enfin.... si...en fait, je comprends très bien.

      

    La badine est tombée sur ma hanche, d'un coup sec. Je n'ai même pas crié, même pas gémi.

    Je relève mes yeux, au coin desquels sont nées de toutes petites larmes silencieuses, de douleur, et voit, imperturbables, l'index et le majeur de Marielle se resserrer autour de son crayon, et, sur ma hanche, sur le dessin, y tracer la marque. Fin trait recourbé allant de ma fesse à ma taille, qu'elle esquisse d'un coup de poignet, un sourire au coin des lèvres.

     

    Au deuxième coup, je regardais le visage de Marielle, et ai vu ses yeux se plisser, et ses lèvres se resserrer. J'ai eu envie de sourire, devant son air presque effrayé.

     

    Deuxième trait, fin, sur la peau du dessin. A peine le trait esquissé, je vois que la main de Marielle, dans le vide au dessus du papier, tremble.

     

    Le troisième coup m'a surprise, et j'ai poussé un petit cri, bref, j'ai même failli avoir un mouvement instinctif pour me dérober, mais j'ai réussi à me retenir.

     

    Un trait de plus, parallèle aux deux premiers, sur le papier. Marielle pose son crayon. Mes yeux fixent son visage, et ses yeux, à elle, parcourent mon corps, une dernière fois, et s'arrêtent sur le mien, de visage. Elle me sourit.

     

    J'ai sursauté en sentant les bras de Raphaël s'entourer autour de moi. J'étais tellement gelée, nue et immobile depuis si longtemps, que sa chaleur autour de mon corps m'a presque agressée. J'ai senti mon corps se recroqueviller sur lui-même, et se laisser aller contre le sien. J'ai senti ses lèvres embrasser mon front, mon nez, puis mes lèvres.... J'ai senti mes lèvres contre son visage, l'embrasser, l'embrasser, et l'embrasser encore, dans un mouvement pressé, presque désordonné, comme si c'était la première fois que j'avais le droit de l'embrasser depuis des semaines... d'interminables semaines.

       

    Debout devant le frêle cadre de bois clair de Marielle, je contemple sans fin chacun de ses traits. Mon corps tremble un peu, soulagé d'avoir retrouvé sa chaleur, et.... et mon esprit semble lové dans une espèce de béatitude qui m'empêche de bouger. Les traits de Marielle sont un peu flous. Je crois que c'est parce que chacun d'eux a été surligné par le doigt de Raphaël, alors le crayon, un peu gras, s'est floué. Je souris, à cette idée. Mes yeux s'attardent sur les trois marques parallèles, sur ma hanche, seuls traits du dessin à ne pas avoir été "floués" par l'index de Raphaël. J'en sens encore la douleur, de ces marques, cuisante, à travers le tissu de mes vêtements, sur mon propre corps. Trois petites marques parallèles. Dans ma tête, je pense "trois, comme Raphaël, moi, et Marielle.". Je détourne sans hâte mes yeux du dessin, qui laisse un sourire dans ma tête. Ca ne veut rien dire du tout, ce que je pense.

      

    "nina, viens voir."

     

    J'ai senti le souffle de Marielle contre ma nuque, quand elle a murmuré ces mots, à mon oreille:

     

    "J'avais tort."

     

    Je la fixe, je ne comprends pas ce qu'elle me dit.

     

    Sa voix n'est plus qu'un chuchotement : " Pour le point, j'avais tort."

     

    Nos yeux se croisent, et, en même temps, nos sourires naissent, à Marielle, et à moi.

    Du regard, je la remercie. Je ne sais pas pourquoi je la remercie, mais c'est le seul sentiment que je ressens, puisqu'elle vient de rompre le malaise qu'elle avait mis en moi, à cause du point.

      

    "Qu'est ce que vous complotez, toutes les deux?"

     

    Raphaël rit, devant notre air complice, devant ce petit murmure, et ce petit regard entre nous, qu'il n'a pas saisi, et qu'il ne saura pas.

     

    J'entoure mes bras autour de lui, et l'embrasse, encore.... "Rien Monsieur, rien...". Je sens son sourire se former, contre ma joue.

     

    Je n'ai pas fait l'amour avec mon Maître, chez Marielle. C'est à peine s'il m'a frôlée. Et pourtant, je me suis sentie, en sortant de cette pièce, et en retrouvant l'air sec et froid du dehors, aussi bouillante, aussi pleine, aussi souriante, aussi soulagée de l'intérieur, et aussi légère que si ça avait été le cas.

     

    Je crois qu'il y a vraiment quelque chose, chez Marielle, qui fait que les instants passés chez elle me rapprochent de mon Maître, plus près à chaque fois, je crois qu'il y a quelque chose de profondément pur, dans les courbes que ses doigts fins tracent, dans son regard, dans les couleurs et les odeurs de son chez-elle, quelque chose qui "répare" tout ce qui peut arriver entre mon Maître et moi, quelque chose de magique, qui nous enveloppe et nous protège, chaque fois, dans la même enveloppe, Lui et moi.

    Je crois que je ne me lasserai jamais d' aller aider Marielle à "stimuler son don", je ne me lasserai jamais de ces après-midi passées chez elle, dans cet endroit qui nous rend à nous même, à chaque fois.

     

    Et, alors que la petite béatitude givrée en moi là-bas ne m'a même pas encore laissée, je ne peux m'empêcher de me languir, déjà, de la prochaine fois où nous y retournerons.

       

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