• "Qu'est ce que ça va changer, hein, que tu restes assise là comme le chien sur la tombe de son Maître ? Viens avec nous. De toutes façons, je ne te laisse pas le choix. On a besoin d'aide."
    Elle me tire par le bras, et je sens mon corps qui était accroupi et affamé se soulever, se relever de force.
    Un instant, l'idée de résister me prend. Parce que j'ai l'impression d'avoir vraiment envie de rester assise devant cette porte, à quelques mètres d'elle, jusqu'à ce qu'elle s'ouvre, même si en réalité, je n'en ai pas envie, parce que c'est trop long, le temps qu'elle s'ouvre.
    Mais à peine debout, je lui suis reconnaissante, de le relever de force, mon corps.
    Parce que je sais bien qu'elles n'ont pas tant besoin d'aide que ça. je sais bien qu'elles sont accoutumées à se débrouiller seules, et qu'elles n'ont besoin de personne.
    je sais bien que si elle relève mon corps de force, c'est pour mon bien, parce qu'elle m'aime.
    Et c'est bon, si bon, de se sentir aimé.

    Avant que le moteur démarre, je me souviens, d'avant, de ces moments là, et je panique un petit peu. Craignant d'avance que la réponse soit non, je propose ce qui manque.
    j'enrage en moi-même quand le non redouté me saute au nez, traînant derrière lui son chariot de ce qui ressemble à de la rancœur, absurde et non justifiée.

    Sur la route, j'entends à peine les petits. Sa phrase me revient et me reste en mémoire, m'empêchant d'entendre le reste. S'y accroche fort, sans la lâcher, ma mémoire.
    "Comme le chien sur la tombe de son Maître."

    je pense un instant à mon Maître. Le vrai. Dans cette autre vie qu'elles ne me connaissent pas. j'ai envie de sourire, mais ça passe avant que je n'aie le temps de le faire, parce que je me dis que, dans l'histoire, le chien sur la tombe de son Maître, il s'est laissé mourir. Il s'est couché en rond immobile sur la dalle grise unie de béton rectangulaire, et il s'est laissé mourir.
    Et si quelqu'un l'avait soulevé, lui, il aurait montré les dents, et il aurait continué à se laisser mourir. Par amour.
    C'est pour ça qu'il est si beau, le chien. Même s'il est noir sans reflets, et qu'il est trop maigre, et que c'est un bâtard.
    Si un jour je suis couchée sur une tombe, et que quelqu'un me tire par le bras, est-ce que je montrerai les dents ? Ou est-ce que je serai reconnaissante, encore, comme aujourd'hui, à la main qui me soulèvera?
    je crois que je serais plus belle, si je montrais les dents. Belle comme le chien bâtard.

    j'ai envie de pleurer, parce que j'ai envie d'être belle, mais que je ne veux pas mourir.
    Mais je n'en ai pas le temps, de pleurer.
    "Go ! Go ! Go !"
    Elle font les commandants qui font descendre leurs parachutistes du Jumpy en opération commando, et les petits rient à s'en briser les côtes, en me bousculant pour que je saute de l'aile plus rapidement.
    Je me surprends à rire, comme eux, en atterrissant à pieds joints sur le parking, et je culpabilise, en entendant le claquement de mes pieds sur le béton, le béton comme la tombe, de l'avoir imaginée, cette tombe, puisqu'il n'y a pas encore de tombe.
    Et qu'il n'y en aura pas.
    Comment est-ce qu'il pourrait y avoir une tombe au milieu de ces rires? Comment quelque chose pourrait oser abîmer ces rires là?
    Il n'y aura pas de tombe.

    "Porte A. Porte B."

    Elle font en souriant de grands mouvements de bras, et les trois équipes de copilotes se séparent d'un bout à l'autre du parking en suivant leurs indications.
    Avec une discrétion qui me surprend.
    Une organisation peu commune.
    Des ombres parmi les ombres, qui, comme par miracle, se fondent dans la masse comme si elles n'existaient pas, et ne sont pas remarquées, malgré les étouffements de rires des moins de 1 mètre 10.
    Les clins d'œil se font de loin, d'une allée à l'autre, à travers les vitrines, sur la pointe des pieds, éphémères et discrets, au-dessus de tous les autres visages, qui ne savent pas, au nez et à la barbe des vigils, avec leur talkies-walkies qui grésillent pour rien, puisqu'ils ne voient rien.

    Une main se serre fort dans la mienne, m'obligeant à ralentir, à m'arrêter, presque.
    "Regarde! Ils l'ont oubliée !"
    Son regard, relevé vers le haut, est immobile. Emerveillé.
    Je lève les yeux comme lui pour chercher ce qu'il a vu.
    C'est une boule de Noël, en papier mâché, oubliée accrochée au dessus de nos têtes, que je n'aurais jamais vue, si sa main ne s'était pas serrée fort autour de la mienne. Que personne n'aurait jamais vu, si nous n'étions pas passé.
    Je n'aurais pas vu non plus, sans son regard à lui, que le plafond est en vitres, et qu'il laisse voir la forme des nuages.
    Personne ne voit.
    Je baisse la tête et lui souris.
    "Oui. C'est encore Noël, ici."
    "C'est pour ça, qu'ils ont une salle de bains de princes ?"
    Un instant, je me demande s'il se moque de moi. Il me paraît si grand, déjà, pour y croire encore. Mais peut-être que le temps ne passe pas aussi vite que je le crois.
    Parce que ses yeux ne mentent pas. Qu'il ne fait pas semblant. Et qu'il y croit vraiment.
    "Oui, c'est pour ça."
    Il paraît si heureux.
    Je passe une main dans ses cheveux. C'est tellement simple, de mentir. Simple comme ses cheveux sont fins.
    C'est presque mal.
    Mais pas tellement.
    Parce que tant qu'il y croira, il sera Vraiment un Prince.

    Le QG est au fond du couloir carrelé du milieu de la galerie, et je presse le pas, en tirant derrière moi mon Prince au regard flemmard. Les équipes se rejoignent, en étouffant leurs rires.
    "Chut! Chut ! "

    Elles leur disent "chut", mais elles rient aussi, de les voir rire.
    Le grenat sombre, impersonnel, et les joints gris des carreaux, me rappellent ma honte. Ma honte de la fin, quand je ne croyais plus aux princes mais qu'il n'y avait pas le choix.
    Il aurait fallu que ça s'arrête avant. Mais ça ne pouvait pas.
    je ne leur en veux pas, à elles, de ne pas avoir su que quand on n'est pas encore un adulte physiquement, mais que l'on n'est plus un enfant mentalement, le droit à la pudeur est important. je ne leur en veux pas de ne pas avoir su à quel point c'était important, et à quel point j'ai eu honte.
    j'en veux au grenat des carreaux et au gris des joints, c'est tout.

    Mon éponge danse dans les tourbillons humides, sous des petits yeux gris, brillants, ravis.

    Je remercie le ciel que nous soyons seuls.

    L'odeur du Vivel-Dop Fraise-cerise s'élève rapidement autour de nous, enrobant nos esprits. Les petits rient et mes complices ne cessent de murmurer "chut!", en jetant à la dérobée des coups d'œil inquiets à la porte mi-close derrière nous.
    Et puis... arrive ce qui devait arriver. Ce qui arrivait une fois sur deux.
    Mon ventre se noue, se retourne, pour les petits.
    Se retourne pour moi. Se retourne pour tout. Je ferme les yeux et me sens défaillir. Mais il ne faut pas. Si je perds pied, je vais lâcher mon prince, et il va tomber des carreaux glissants, et il va se casser.
    Ils paraissent si insouciants. Ils ne voient pas les regards.
    Ils croient qu'ils sont des princes.
    Ils n'ont pas honte comme j'avais honte.
    je ne sais même pas s'ils ont remarqué que nous ne sommes plus seuls.

    Après les regards, comme si mon ventre n'était pas déjà assez noué, les mots suivent.

    je ne sais plus les mots. je ne m'en rappelle plus vraiment. je crois que je les ai oubliés volontairement.
    je ne me rappelle que du "ça", pour désigner nos Princes.

    Un bisou entre les deux yeux, sur le front, là où la peau est la plus douce, et le petit ver luisant à la fraise-cerise Vivel Dop se retrouve sur ses pieds.
    Il râle. "tu fais chier, c'est mal rincé."

    j'ai envie de lui dire de ne pas parler mal. Mais j'ai tellement la haine que je parlerais dix fois plus mal que lui, si je desserrais les dents.

    Une paume de main rapide sur mes lèvres, pour en retirer la mousse du bisou. Un regard de pardon à mon prince, parce que c'est mal rincé.
    Et cette même paume qui descend jusqu'à ma poche, sur la lame de Marco. La lame dont les reflets d'argent ont dansé joyeusement dans la nuit, hier, sous les étoiles.
    Mais qu'est ce que je fais ?

    Elle me jette un regard noir pour me retenir. Elle a compris. Comment ? je ne sais pas.
    Bien sûr, elle ne sait pas pour la lame, mais elle a compris pour le reste.
    Seulement, son prince à elle aussi va glisser, si elle le lâche.
    Et moi mon ventre est à l'envers.
    Bien sûr, j'ai honte. Mais mon ventre est à l'envers.
    je ne sais plus mes mots. je ne m'en rappelle plus. je crois que je les ai oubliés volontairement. Parce qu'ils n'ont pas traduit le quart de mon mal-être. Ni même le huitième. Ni rien. Tout est resté.

    La lame, sous ma main tremblante, n'a pas quitté ma poche. Et ma voix s'est brisée. je ne suis même pas sûre d'avoir parlé dans la bonne langue. Ni d'avoir parlé assez fort pour qu'elles m'entendent.

    Leurs deux culs ont roulé sur eux-même dans leurs jupes serrées quand elles ont rejoint la galerie marchande et leurs roulements de cul ont eu quelque chose de méprisant.

    Seule au milieu du couloir, plus petite que jamais, j'ai regretté du plus profond de moi-même qu'elles n'aient pas vu la lame.

     

     J'ai des larmes de mal-être dans les yeux, et le Jumpy n'est plus un avion, et j'ai perdu mon parachute, et mes doigts caressent distraitement la lame dans ma poche, et mes yeux se perdent sur le dehors qui défile, et mes bras repoussent les petits.

    Le Jumpy, sur les dernières routes, celles de campagne, prend les flaques d'eau à fond, et les Princes ont peur des crocodiles, et le bateau va couler, et leurs hurlements de joie ne suffisent pas à enlever mes larmes au coin de mes yeux.

    "S'il te plaît, fais un effort. Pour eux."
    Sa voix est basse. Si douce. Presque un murmure. Il n'y a que moi qui peux l'entendre. je me demande même une seconde si je ne l'ai pas imaginée.
    Il y a tant de patience et d'amour dans son murmure.
    Tant de sacrifice de sa propre haine, de son propre mal-être, qu'elle a appris depuis si longtemps à faire taire pour nos Princes, comme elle veut que je le fasse à présent.
    Ma haine fond quand mes yeux croisent les siens. je croyais que c'était impossible, qu'elle fonde. Pourtant, elle fond.
    Raison.
    Résignation. je ne sais pas... Beauté.
    Elle est si belle, avec son regard presque triste, qui insiste dans le mien.
    J'ai envie de pleurer d'amour.
    De pleurer d'amour.

    je regarde les bras et les jambes de nos princes qui s'agitent dans tous les sens dans leur lutte contre les crocodiles.
    je la regarde à nouveau.
    Son regard a changé. Si peu. A peine. Elle a simplement compris que ma haine est en train de se taire tout doucement.
    Elle sait que j'ai envie de lui ressembler.
    Et, ça elle ne le sait pas, mais ma main, dans ma poche, ne pense plus qu'à une chose à présent: rendre sa lame à Marco. M'en débarrasser.

    Elle me sourit. D'un sourire à travers le rétroviseur, dont il me manque le bas, mais dont je sais l'existence, à cause des petites rides aux coins des yeux qui ne sont pas des rides de vieillesse.

    Je prends une grande bouffée d'air dans laquelle Vivel Dop s'impose de toutes ses forces, et je me force.
    je pousse un cri aigu, un cri hippie de chasseuse de crocodiles, qui en déclenche d'autres, autour de moi, et je retire d'un coup la baguette de bois qui retenait la fenêtre de la péniche fermée, et l'eau de la flaque, non, pardon, le courant de la rivière, s'engouffre à l'intérieur, arrosant les visages ravis de nos Princes, qui se penchent au dessus du vide, en hurlant joyeusement leur douleur d'être dévorés vivants par les crocodiles.
    Elle me jette un faux air de reproche, pour la fenêtre, mais elle ne me reproche rien, et sa poitrine se soulève doucement d'un soupir de soulagement lorsque ses yeux reprennent leur place sur la route, après avoir vu sur mes lèvres un sourire triste, à la fois forcé et voulu, dont la tristesse ressemble étrangement à la beauté de son regard, une demie-minute plus tôt.

    Le même soupir de soulagement que lorsque j'ai fini d'écrire.
    Un instant, l'idée que c'est parce que Elles, que je soupire de soulagement lorsque je finis d'écrire me prend.
    C'est parce que Elles.
    Elles qui inventent un monde pour les Princes lorsque rien ne ressemble à un monde de princes. Elles qui s'oublient derrière des histoires pour faire naître des sourires.
    Elles qui maîtrisent en faisant mine de ne pas maîtriser. Elles qui sont Actrices la moitié du temps en n'en ayant qu'à moitié conscience.
    Assise sur mes fesses, inutile avec mon stylo qui danse, je suis Actrice comme Elles, même si, comme elles, je n'en ai qu'à moitié conscience.
    Je reprends ma demie conscience manquante aujourd'hui, un instant, à peine, dans le Jumpy, au milieu de la rivière des crocodiles, au milieu des rires des Princes, un instant, à peine, juste après le regard qu'Elle vient de me montrer, et, déjà, j'ai oublié. J'ai oublié et, de transparente, ma conscience redevient opaque, et tellement moins jolie.


    Sur le sable, je tends sa lame à Marco, et son air sur moi se fait moqueur, puis déçu. Déçu, parce qu'il m'a appris, dans les étoiles, au milieu des reflets argentés, pour que je sois plus forte, pour rien.
    Déçu, et tout mon être se remplit du besoin de soumission.
    j'ai besoin de me soumettre à mon Maître. Puisque je ne me bats pas, puisque je choisis de ne pas me battre, j'ai besoin de me soumettre. C'est soit je me bats, soit je me soumets. Mais entre les deux, c'est trop dur. Entre les deux, ça ne vaut pas la peine.
    Et moi je ne veux plus de cette lame.
    Et moi je ne veux pas me battre.



    "Pourquoi tu pleures, petite châtaigne?"
    Je pouffe de rire sur le sable, parce que "petite châtaigne", ça fait vraiment débile, et que j'ai envie que mon Maître m'insulte.

     

    Il a le visage de celui qui est content mais ne veut pas trop montrer qu'il est content.
    A peine un petit sourire, et je me fonds immédiatement contre sa chaleur.
    "Soumets-moi. Soumets-moi."

    Je le sens se crisper contre moi dans mes murmures et, un instant, je me demande si "soumets-moi", ça se dit ou non, parce que j'aurais honte, si ça ne se disait pas, mais que je ne sais pas comment dire autrement, et que j'ai tellement besoin de demander, j'ai tellement besoin.

    Il me repousse sans me faire mal, et referme la porte derrière nous, en passant son bras au-dessus de mon épaule.
    A peine le dernier rai de lumière sur nos peaux évadé, je m'agenouille à ses pieds, et le fixe, pour qu'Il comprenne. Que c'est urgent. Que j'ai besoin de mon Maître.

    Mais Lui aussi, comme Marco ce matin, il me regarde avec un air déçu de moi, et son air me fait mal.

    je baisse les yeux, mais ce n'est pas pour le jeu. C'est parce que, vraiment, j'ai honte. Tellement honte.
    Honte de réaliser qu'en réalité mes "Soumets-moi" ne me mettent pas mal à l'aise parce que j'ai peur qu'ils ne se disent pas, mais parce que j'ai peur qu'ils ne veuillent plus dire autant qu'avant.

    Lorsque je relève à nouveau les yeux, il me regarde, et, sans qu'aucun mot ne franchisse ses lèvres, je comprends.
    je comprends que ma peur est justifiée.
    Justifiée, puisque ses yeux me disent que l'étrangère à genoux devant lui n'est pas sa soumise, pas autant qu'elle l'a été, et que ce décalage entre avant et maintenant lui fait mal.

    S'Il me soumet maintenant, ça ne ressemblera pas à avant.
    ça n'égalera pas avant.

    Parce qu'Il n'a pas choisi cette nuit si je devais dormir à ma place ou à côté de Lui. Parce qu'Il ne m'a pas forcée à manger ni aujourd'hui, ni hier, ni avant-hier. Parce qu'Il ne m'a pas dit si les vêtements que je porte sont ceux qu'Il voulait pour moi aujourd'hui ou non. Parce qu'Il ne m'a pas demandé à quelle heure je rentrais, et qu'Il n'a pas commencé à s'inquiéter cinq minutes avant l'heure dite, et que je n'ai pas commencé à stresser cinq minutes avant l'heure dite de peur d'être en retard. Parce qu'Il n'a pas décidé pendant combien d'heures je souffrirais de son absence, ni pendant combien d'heures je sourirais de sa présence, et cela depuis trop d'heures. Parce qu'Il n'a pas levé la main au-dessus de moi pour me faire trembler, et finir par m'embrasser, une fois ma peur assez forte. Parce qu'Il ne m'a pas dit "je t'aime" avec les yeux, comme seuls ceux qui ne parlent pas savent le faire, après m'avoir laissée sans savoir pendant assez longtemps pour que ça me réchauffe d'un seul coup. Parce qu'Il ne m'a pas regardée avec cet air secret qui dit qu'Il est le seul à savoir comme je suis faible, mais qu'Il ne le répétera pas, promis. Parce que les marques de Lui sur ma peau ne sont pas rose soutenu, mais beige pâle. Parce qu'Il n'a pas consolé mon cauchemar de la nuit dernière.

    je sens les larmes me monter aux yeux, parce que, à genoux devant Lui, je ne me sens plus aussi belle pour Lui qu'avant, et que, s'Il me soumet maintenant, nous savons tous les deux que ça ne sera pas aussi beau que ça l'a été tant de fois avant.
    je sens les larmes me monter aux yeux, parce que je vois dans les siens que nous sommes tous les deux en train de penser la même chose, et que ça nous fait mal.

    je sens les larmes me monter aux yeux, parce que s'il décide de ne pas me soumettre, je vais m'éteindre tout doucement, puisque j'ai choisi de ne pas me battre, et que, entre me battre et me soumettre, je ne vois rien. Rien de vivant. Que du gris.

    Du gris comme les joints des carreaux, entouré de grenat.

    Mes lèvres articulent sans prononcer les sons "soumets-moi", une dernière fois.
    Mais la déception n'a pas quitté ses yeux, et ses bras me relèvent.

    De force.

    Comme le bras de ce matin.


    j'ai peur du gris.


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  • J'étais rassurée, parce que c'était carré.

    Notre lit était fait au carré, pour le soir à venir où je n'y serais pas, le frigo était plein au carré, et mon sac était fait au carré.

    C'est devenu tout rond, quand il m'a dit au revoir. Tout rond de ses yeux tout ronds qui avaient l'air inquiets, tout rond de mes larmes toutes rondes qui arrondissaient le carré du lit, du frigo, et de mon sac, sur le milieu de mon champ de vision. Tout rond de chagrin, de ce genre de chagrin qui nous ramène à l'état d'enfant, et nous fait un nez tout rond et tout pourpre, et des lèvres toutes fines, et toutes pâles.

    Tout rond de tristesse et d'un petit peu de peur.

     

    C'était quand même carré, puisqu'il avait l'air inquiet.

     

    Briançon. Encore plus carré.

    Une montagne magnifique, mais dont j'ai du mal à profiter, parce qu'Il me manque.

    Des oisifs bavards, mais avec lesquels je n'arrive pas à parler, parce qu'Il me manque.

    4 jours minimum. Une semaine maximum.

    D'accord. Mais dépêchez-vous, s'il vous plaît. Dépêchez-vous. On désintoxique. On réintoxique avec autre chose. Il faut que ça tourne. Au carré. Vite. Vite. Il me manque. Votre calme m'énerve, et pourtant je vous sourie.

    "C'est remboursé par la sécu, profite. Reste la semaine."

     

    Elle me sourie.

    "Bien sûr."

    Bien sûr. Mais qu'est ce que je raconte ?

    Désintoxiquez, s'il vous plaît !!! Désintoxiquez, que ça bouge, et que je reprenne la route du Sud.

     

    Un sourire enchanteur. Un Ange. Un Ange parmi les Anges en blouse blanche, à la peau pâle et aux cheveux grisonnants.

    Il a dit plein de choses, mais je n'ai rien écouté. je culpabilise un peu, de n'avoir rien écouté. Il a dit : "Liberté!" C'est tout ce que j'ai entendu, tout ce que j'ai retenu. Liberté ! Liberté ! J'ai envie de sauter au plafond, mais le plafond est bas, et il a l'air sérieux, et ça ferait tâche dans le Blanc de son auréole, à l'Ange.

    Je dis oui à tout. Oui, je ferai attention. Oui. Oui. Promis. Je lui souris. J'ai envie de l'embrasser, mon Ange désintoxiqueur.

     

    5 jours. Je m'en sors bien. 5 jours.

     

    "Un appel pour toi."

     

    Même elle, avec sa Sécu, je lui souris. Je lui souris, et je l'aime, parce que Liberté. Je prends le combiné. C'est mon Maître, j'en suis persuadée. Il sait. Il l'a senti. Ce sont les Anges, qui lui ont dit. Liberté.

     

    Le combiné m'a glissé des mains. Il s'est cogné contre le mur. Miss Sécu a un air réprobateur.

     

    Je ne me souviens même plus que j'ai un Maître. Je ne me souviens même plus que Liberté. Je ne me souviens même plus que je n'ai pas eu une semaine à tirer, mais seulement 5 jours, et que ça m'a rendu heureuse.

     

    Je roule vers le Nord. Les reliefs s'estompent. Les champs sont verts et marrons, et tellement plats, à présent. Tellement plats. A perte d'horizon. Et les arbres sont si serrés. Si serrés.

     

    Je roule aussi vite que je peux. Ce n'est pas si vite que ça. Le volant tremble si je dépasse les 120. Mon cœur tremble dès que je dépasse les 120.

     
     

    La nuit tombe. Je me perds. Je me retrouve. Je me reperds.

     

    Une porte close. Une porte de ces hôtels où il y a les portes en ligne sur les terrasses qui font tout le long, avec une rambarde blanche dessus et grise dessous.

     

    Je ne parle pas fort. Ce n'est pas la peine. J'ai fait le code, du bout des doigts, sur la surface grise du plastique de la porte. Le code, et la porte qui était close aux autres s'ouvre.

    Est-ce que je suis heureuse, qu'elle s'ouvre? Ou est-ce que c'est trop de responsabilités? Je suis soulagée, et j'ai peur, parce que la porte s'est ouverte.

     

    La porte s'ouvre grâce au code, et j'ai eu raison d'avoir peur.

    Poisson crevé.

    Minutes poisson crevé de sa bouche qui s'ouvre et se referme sous des yeux écarquillés collés qui foncent de l'un à l'autre de mes yeux à moi comme si mon visage était plus large que la moyenne. Comme si c'était trop loin, pour les regarder tous les deux en même temps.

                           

    Je fixe les carreaux de sa chemise. Si mes yeux à moi sont trop loin, alors les siens sont trop hauts. Et puis, je ne suis pas poissonnière. Je n'ai jamais été poissonnière. Je ne suis pas capable de regarder les poissons crever. Je n'ai pas assez de courage. Je voudrais pouvoir me défiler.

    Pouvoir me défiler.

    Comme un poisson filant.

    Qui ne veut pas crever.

     

    Je ne suis pas fière d'avoir tellement envie de me défiler.

     

    Je parle d'après pour ne pas parler de maintenant. Je parle d'après pour faire semblant de sourire un petit peu.

    Je parle de Tournai, et de la Belgique, et de la frontière, et de la grande roue, et des pavés glissants, et de l'immense tour où les cloches chantent. J'arrive même à sourire aux carreaux de sa chemise.

    "C'était si beau, Tournai, tu te rappelles?"

     

    "Non."

    Poisson crevé.

    Poisson filant.

     
     

    Une deuxième fois, il faut parler de maintenant. Sur la route. Avec les roues qui tournent sous moi. Comme la roue de Tournai. Si je lâche le combiné du téléphone, le fil va s'entourer autour de la roue, et m'entraîner, et je vais passer dessous, et je vais tourner. Comme la roue de Tournai. Mais y'a pas de combiné. Et je suis pas au téléphone.

     

    "Il a repris après la pause. C'était une longue pause. Il a passé la marche avant au lieu de la marche arrière. Il a avancé. Ca a fait un boucan du tonnerre. On l'a sorti de justesse. Il ne s'en est pas rendu compte, sur le coup.

    Il va garder son permis. Parce qu'ils n'ont pas porté plainte. Ils l'ont protégé. Mais pas son camion. Et il faudra qu'il recherche un travail. Ca aurait pu être pire. Ca aurait pu être pire..."

     

    Je n'écoute plus. Je suis fatiguée. Epuisée. Je veux aller sous la roue avec le fil du combiné. Je vais aller sous la roue avec le fil du combiné.

     

    "Il va avoir besoin de toi. On a trouvé un endroit, au dessus de nous. Pour le début. Pour le début."

     

    Combien de temps ça dure, le début ? Combien de temps ? Cinq jours ? C'est ce que j'avais tenu avant le sourire enchanteur de l'Ange.

     

    De la cabine téléphonique, je lève la tête vers le milieu de la façade de l'immeuble, et je regarde la fenêtre, et le rideau, qui ne bouge pas.

     

    Je l'ai sorti d'une porte pour qu'il aille derrière une autre porte.

    Le rideau ressemble à la robe d'une femme. Une femme. Le camion ressemblait à une femme.

    Il sanglote.

     

    Je pense à ce qu'ils ont dit : "Il faudra qu'il recherche un travail."

     

    Un travail... Mais qui voudra d'un poisson crevé ? Qui, à part quelqu'un qui connaissait le poisson avant, avec ses yeux normaux ?

    Je sanglote.

     

    "Qu'est ce que je vais faire, maintenant ?"

     

    La route, les roues, les panneaux, les hôtels, poisson filant. C'était une femme.

     

    Je n'ai pas de réponse. Pas de réponse.

    C'est moi, poisson crevé, maintenant. Moi aussi.

    C'était une femme.

     

    Dans la cabine téléphonique, je perds le Nord. La roue tourne si vite. Si vite dans les nuages.

     

    "Reviens. Il faut que tu reviennes."

     

    Il a peur. Mon Maître a peur. Il me parle de ses fantômes. Non. Il ne m'en parle pas. Il les suggère. Il me les tremble à l'oreille. Et le tremblement se faufile dans tout le reste de mon corps. C'est si pressé, que je revienne. Si pressé. Sinon, les fantômes vont me le manger, et je vais le perdre, mon Maître.

    Mais le rideau ne bouge pas, à la fenêtre.

     

    Les lumières jaunes de la grande roue se fissurent en deux, les deux morceaux se croisent, et elle va s'effondrer sur les façades des immeubles.

    Je vais tomber.

    Je vais tomber.

     
     

    Je fais un au revoir qui ne ressemble à rien. Un à bientôt qui ne sonne pas clair. Mes lèvres ne se rappellent pas comment articuler. Moi qui aime tant faire de jolis au revoir à bientôt. Faire de jolis au revoir à bientôt carrés pour me sentir forte jusqu'au bientôt.

    Je fais un au revoir qui ne ressemble à rien.

     
     
     

    "ça a été long."

     

    "je sais."

     

    "tu me dis ?"

     

    "non."

     

    je ne peux pas. j'ai honte. j'ai peur du futur et de ce qui m'attend. j'ai peur de la limite si ténue entre Filant et Crevé.

     

    "tu vas repartir?"

     

    "je ne sais pas."

     

    je ne sais pas, même si Tu transpires le fantôme, mon Maître.

     

    C'est si rond, le vide. Si rond.

     
     
     

    Deux mots.

    Ha bajado.
     

    Il est descendu. C'est si peu, et c'est tellement. Il ne sait même pas que je suis en train de remercier le ciel pour lui. Merci, mon Dieu. Ha bajado. Ha bajado. Je souris aux nuages en relisant les mots. C'est si peu, mais c'est tant déjà. Merci. Je joins mes mains de chaque côté de mon nez, et le contact froid de mes doigts sur mes joues me réveille de la roue.

    Ha bajado. Mes doigts remontent vers mes yeux, qu'ils frottent vers l'extérieur, pour les désarrondir, pour les déséloigner, pour en retirer Crevé, et Filant.

     

    Les deux mots sont arrivés à 5H15. Je ne les avais pas vu. J'ai maintenant 5H15 en plus des deux mots. Je l'imagine. Il a choisi le moment où les autres dormaient encore. Juste avant qu'ils se réveillent. Il s'est doute réenfermé derrière une des portes d'en bas. Mais il est descendu. Et c'est un peu moins vide. Gracias Dios Mio. Gracias.

     
     
     

    "Raphaël ?"

     

    Il me sourit.

     

    "Non, rien."

     

    Rien. Rien je T'aime. Je T'aime je T'aime je T'aime mon Raphaël, mon Maître, je T'aime tellement, je T'aime.

     
     

    Il frappe et je remercie. Il frappe et je revis.

     

    Le souffle qui s'échappe de mes lèvres à chacun de mes cris éteint une à une les lumières de Tournai.

    Chaque marque sur ma peau qui me rend à Lui assombrit la grande roue.

     
     
     

    Il fait noir à présent.

    Il fait noir, et je suis Soumise.

     

    Noir, et mon corps rougi et essoufflé se laisse aller contre le sien.

    Il fait noir, et il fait si clair. Si clair dans mon âme.

    Si clair, et je suis Soumise.

     

    C'est si bon, que la clarté pâle de mon Maître efface pour quelques temps les lumières jaunes de la grande roue de Tournai.

     

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  • La journée a passé très vite.
    Pour la deuxième fois, je suis rentrée sur le bord du matin, avec un goût sucré sur les lèvres, les yeux endormis, la gorge enrouée, et la peau fraîche.  
    Pour la deuxième fois, je suis rentrée après avoir roulé plus de cinquante kilomètres, juste pour avoir un goût sucré sur les lèvres, les yeux endormis, la gorge enrouée, et la peau fraîche.
    A présent, et après la journée, mes lèvres n'ont plus de goût, mes yeux sont bien ouverts, et ma peau est tiède.
    Et j'ai envie, encore, comme la veille et l'avant-veille, de rouler cinquante kilomètres, pour rejoindre ceux dont les jeunes sont tout en muscles, ceux dont les filles sont rondes, ceux dont les enfants ont la peau sucrée. Envie de rouler pour avoir cette impression d'être jeune, d'être vivante, d'être en mouvement, d'être en couleurs et en 3D sur des rythmes qui soulèvent les cœurs vers le ciel et retirent les esprits des corps.
     
    Je n'en aurais pas envie, si je n'étais pas toute seule. Si je n'étais pas toute seule, je ne penserais pas au sucre, ni à la fraîcheur de la nuit, ni aux cris aigus vers le ciel.
     
    "Tu es inquiète ?"
     
    "Tais-toi."
     
    "Dis-le. Je le sais, que tu es inquiète."
     
    Je relève les yeux vers le miroir, et la croise du regard.
     
    A travers ses yeux, je vois que mon regard est noir.  
    "Tu veux pas t'en aller ?"
     
    Elle a l'air moqueuse. Elle est ravie, la garce. Ravie.
    "T'es sûre, nina ? tu veux que je m'en aille ?"
     
    Je baisse les yeux.  
    "Non. C'est bon, reste."
     
    "T'as peur d'être toute seule, pas vrai ?"
     
    "Mouais."
    Elle fait chier.
     
     
    L'eau froide dans mes mains éclabousse la peau de mon visage.  
     
    "T'as besoin de dormir ?"
     
    "Oui."
     
    "Mais t'es trop fière. Tu préfères aller compter les lignes sur la route, hein ? Parce que toi, la grande nina, tu vaux sans doute mieux que moi, n'est-ce pas ?"
     
    Ta gueule, Mathilde. Ta gueule.
     
    "Tu me réponds plus ? T'es vexée ?"
     
    Elle me guette.  
    T'as envie, que je pleure, pas vrai, garce ? T'as envie.  
    N'y compte pas. Même pas dans tes rêves.  
    Même pas dans tes rêves.
    Oui, je suis plus forte que toi.
     
    "C'est pourtant pas bien compliqué. Ils sont là. Juste là. A 50 cm sur ta droite. T'as qu'à tendre la main, et tu dors. C'est tout. C'est pas si compliqué que tu le crois."
     
     
    Ta gueule.
    Je claque la porte. Elle doit faire la gueule, Mathilde, derrière, toute seule à côté de ses tubes à tourbillons.
    Bien fait.
     
     
    Dommage que je n'aie plus la force de prendre la route.  
     
    Je détaille la pièce. Encore une nuit toute seule ici ? Encore une ?
    Et si je retournais dans la salle de bain, finalement, avec l'autre brune, là, Fantoma, et ses tubes ?
    Elle me prendra la tête, depuis son miroir, la garce. ça c'est certain que je n'y couperai pas. Mais au moins, je ne serai pas toute seule. Et puis, en réalité, elle me fait un peu peine, Fantoma.
     
     
     
    Un petit coin de papier blanc a arrêté mon tour d'horizon. Je le fixe.
    Lorsque que je le saisis entre mon pouce et mon index, et le tire du dessous de la mousse du clic clac où il s'était caché, j'oublie Mathilde, j'oublie que je suis toute seule, et un grand sourire me prend, des pieds à la tête. Un grand sourire avec une nuque, des bras, et des lèvres tièdes.
     
     
    - froid.
    - faim.
    - besoin d'amour.
     
     
    et une chaussure.
     
    - Soumission

     
    C'est l'écriture un peu en italique, avec les lettres très serrées les unes contre les autres, et beaucoup d'espace entre les mots, de mon Maître.
     
    "Soumission" est d'une autre couleur.
    C'est parce que le mot a été rajouté après.
     
    Je ne peux plus m'empêcher de sourire, en relisant la liste, tout doucement.
     
    Je me souviens si bien, de ce soir là.
     
     
    J'étais si essoufflée que j'oubliais de respirer un coup sur deux.
    A peine la sonnette actionnée, je regrettais déjà. Un coup d'œil à ma montre, il était minuit trois quarts. Un coup d'œil à mes mains, je tremblais comme une feuille.  
     
    Il a ouvert, et il m'a souri.
    Sans rien dire sur l'heure.
     
    Sa seule question, ça a été : "Qu'est ce que tu as fait de ta chaussure ?"
     
    J'ai baissé les yeux vers mes pieds, et ai réalisé que mon pied droit était nu. La honte m'a fait monter les larmes aux yeux, et j'aurais voulu pouvoir repartir comme j'étais venue.
    J'ai entrouvert les lèvres pour essayer de trouver un mensonge à lui dire, et je n'en ai pas trouvé.
     
    Il a attendu que je reprenne mon souffle, il espérait sûrement que je lui expliquerais, après. Et puis, vers une heure, il s'est résigné à ne pas savoir, pour la première fois.
     
    "Tu as besoin d'argent ?"
     
    "Non."
     
    "Tu as besoin de quoi ?"
     
    Là encore, j'ai entrouvert les lèvres, et je n'ai pas osé lui dire.
    Et puis, j'ai croisé ses yeux, et c'est sorti tout seul.
     
    "J'ai froid. J'ai faim. Et j'ai besoin d'amour."
     
    Il a ri.  
    Il est si beau, quand il rit.
     
    Il m'a emballé dans sa veste polaire, il a pris un air de serveur dans les grands restaurants, a pris son petit calepin des courses entre ses doigts, un stylo bille, il s'est redressé, et, d'une voix grave, il a répété :
     
    "Bien, bien, bien : froid... faim... besoin d'amour... "
     
    Il notait, sous forme de liste, avec un air sérieux, et le sourire au coin des lèvres. Mon Dieu qu'il était beau.
    Il a ri, et il a rajouté, presque pour lui-même : "et une chaussure."  
    J'ai rougi.
     
    J'étais assise sur son clic clac, il était debout devant moi. Il m'impressionnait tellement. Je l'aimais tellement, déjà.
     
    Il fixait sa liste avec un air d'avocat prêt à rendre son verdict. Même si ce sont les juges, qui rendent les verdicts, lui, il avait l'air d'un avocat.
     
    "ça me paraît gérable."
     
    A mon tour, j'ai souri. Une heure avant, en courant dans la rue, il m'aurait semblé impossible de sourire cette nuit là.  
     
    "Qu'est ce qui te paraît gérable ?"
     
    "Je crois que je vais pouvoir t'adopter."
     
    J'ai ri aux éclats. J'avais 17 ans. Je n'avais plus besoin d'être adoptée. Et pourtant, que cette idée me séduisait. Que cette idée me soulageait.
    Je n'ai pas dit non.
     
    "Seulement... pour ça...il y a une condition..."
     
    Je me suis tendue, une fraction de seconde.  
    Puis, je lui ai souri, j'ai repoussé sa polaire, et j'ai passé les mains sous mon haut, pour le retirer.
     
    Il a retenu mon geste.  
     
    "Non. C'est pas ça nine. C'est pas ça. La condition, c'est juste que tu restes, un peu."
     
    Il a réentouré la polaire autour de moi, et a posé ses lèvres sur mon front. J'ai tremblé.
     
    Quand il a quitté la pièce, j'ai vu son sourire, juste avant qu'il n'éteigne la lumière derrière Lui, et j'ai senti une chaleur m'entourer, que j'avais oubliée.
    Je savais qu'il allait s'occuper de moi, je savais qu'il allait m'aimer. J'avais confiance. Parce qu'il m'avait appelée Nine, parce qu'il avait relevé la polaire sur mes seins, parce qu'il s'était tenu droit en faisant le serveur d'une voix grave, et en notant la liste, parce qu'il avait posé un baiser sur mon front. J'ai souri, avec la certitude qu'il allait m'aimer.
     
    Et, pour la première fois depuis des mois, j'ai Bien dormi.
     
     
    La liste est restée assez longtemps à passer d'un meuble à l'autre pour qu'il ait le temps d'y ajouter, un soir, des mois après, avec un sourire vers moi, "soumission", d'une autre couleur.
     
    Là encore, ce soir-là, j'ai Bien dormi, pour la première fois, depuis des semaines.
     
    Et les mois ont passé. Et la liste s'est perdue.
    Dans la mousse du clic clac.
     
     
    Et elle me fait sourire, ce soir, comme elle m'a faite sourire le premier soir.
     
    Je reste longtemps à la fixer. J'ai envie d'y ajouter un tiret, mais ce n'est pas moi, qui rajoute les tirets, normalement. C'est mon Maître.
     
    Je me dis tout de même que si j'y ajoute un tiret au crayon de bois, c'est sans doute moins grave.
    Mais je ne sais pas ce que je veux y rajouter.
    Ou plutôt si, mais ça y est déjà.
     
    Mon crayon hésite un moment, puis, il trace une flèche, qui part de "Besoin d'Amour", et mène au bas du papier. Il marque "Re". Il rajoute un tiret devant. Et un " + ", entre parenthèses, derrière.
     
    Je souris. Je crois qu'il ne va pas comprendre.
     
    J'ai sommeil.
     
     
     
     
     
    "Re +."
     
    La porte de la salle de bain danse devant moi.  
     
    "ça veut dire quoi, Re +, nine?"
     
    Je m'entends marmonner : "C'est pas Re +, c'est Re différent."
     
    J'ai parlé avant de réaliser. De réaliser qu'Il était rentré. Lorsque je le réalise, je me réveille, enfin, et lui souris. Mon cœur bat si vite qu'il va exploser. Il va exploser de bonheur.
     
    "Différent comment ?"
     
    "Je sais pas."
     
    Il hausse les épaules.
     
     
     
     
    "ça a été ?"
    "Oui. Tu m'as manqué."
     
     
     
     
    "Je t'aime."
    Je serre les poings.
    "Raphaël, je t'aime."
     
    Il me sourit. Il est si beau.
    "Tu as entendu ? Je t'aime."
     
    "Tu es un ange." Il m'embrasse.
     
    "Tu vois, c'est pour ça, que c'est Re différent. Tu comprends ?"
     
    "J'en ai bien peur."
     
    Il prend une mine telle qu'il paraît que toute la misère du monde vient de lui tomber sur les épaules.
    "Il fallait bien que je m'en doute, que ça arriverait."
     
    Mon tiret le rend triste. Mon tiret lui fait peur. Mon tiret me le vole. J'essaie de le défendre, ce tiret, mais je crois que c'est peine perdue d'avance.
     
    " C'est si terrible ?"
     
    "Oui. ça l'est."
     
    J'ai peur, d'un coup, et je voudrais n'avoir pas écrit ça.  
    Parce que je préfère avoir l'amour qui était écrit en noir en haut sur la liste, plutôt que pas d'amour du tout.
     
    "Pourquoi est-ce que tu ne peux pas te contenter des choses telles qu'elles sont ? Tu es donc si pressée, que ça parte en couille ? Tu es si pressée, nina?"
     
    Il me secoue, mais il y a plus de désarroi dans son geste que de violence, et je me laisse secouer.
     
    "Pourquoi ça partirait en c..."
     
    "Tais-toi."
    Il tend sa main vers la porte.
     
    "Ne pars pas."
     
    La porte a déjà claqué.
     
     
     
     
    Je sanglote.
     
    Je gomme " Re (+) ". J'avais bien fait, de l'écrire au crayon à papier.
     
     
     
    Mathilde me regarde avec un air grave, mais elle n'est plus moqueuse. Je l'appelle à l'aide du regard, à travers ses yeux, même si ce qui arrive est un peu de sa faute.
     
    J'entends la porte d'entrée s'ouvrir. Combien de temps a passé ? Je ne sais pas. Je suis restée avec Mathilde.  
    J'entends les pas de mon Maître. J'ai tellement envie de pouvoir le regarder, mais je reste avec Mathilde, dans la salle de bain. Et puis, il y a cette porte, qui est fermée.
     
    Lorsque j'entends ses pas qui s'éloignent, je sors.
     
     
     
    La petite liste est au milieu de la table.  
     
    Au crayon de bois, d'une écriture un peu en italique, avec les lettres très serrées les unes contre les autres, et beaucoup d'espace entre les mots, il est inscrit :  
     
    - RE +         OK.
     
    Je souris. Une chaleur que je n'ai jamais connue avant m'entoure. Mes joues sont trempées. Je relis, plusieurs fois : Re +   ok.
     
    J'ouvre la porte de la chambre, et je vois, dans la lumière rouge du réveil matin, son sourire, qui me regarde. C'est un sourire à la fois complice et heureux, et inquiet.
     
     
    J'ai envie de le rejoindre, mais avant, il faut, il faut, que j'aille dire à Mathilde que je suis plus forte qu'elle, et que les choses ne se passeront pas comme elles se sont passées pour elle, et que c'est mon histoire, et que je vais la rendre différente, et que.... Il faut que j'aille le lui dire.
     
    Je me hâte vers la salle de bain, j'ouvre la porte, je souris, j'entrouvre les lèvres, pour lui dire, et.... et je ne vois que mon reflet, dans le miroir.
     
    Je reste un instant à la chercher, mes poings sont serrés, je suis prête à répondre à ses sarcasmes, je suis prête à me battre, je suis prête.
     
    Mais elle n'est plus là.  
    Peut-être qu'elle était trop triste.
    Ou peut-être qu'elle est contente.
     
    Je prends les tubes à la droite du miroir, et les fais tomber dans la poubelle.  
    Je referme tout doucement la porte derrière moi.
     
    Je jette à nouveau un coup d'œil à la liste en passant, pour être sûre.  
    Elle est écrite en noir, puis en bleu, puis au crayon à papier.
     
     
    Et je vais retrouver le sourire rouge.
     
    Je m'y love. C'est un sourire avec une nuque, des bras, et des lèvres tièdes.
     
    Je m'y love, et, pour la première fois depuis des jours ( ou peut-être des mois ) , je dors Bien.


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  • Il y a une petite bougie noire, en forme de cœur, posée sur le sol à un mètre du mur, et dont la flamme vacille doucement dans le courant d'air, lorsque je referme la porte.

    Je souris.

    Je pose mon sac, retire ma veste, et, à peine arrivée au niveau de la bougie, alors que j'allais m'accroupir pour la prendre entre mes doigts, j'en vois une deuxième, au milieu de la pièce, qui me sourit, et me chuchote de chercher la troisième.

    De bougie en bougie, me voilà devant notre lit.

    Je murmure "Raphaël...", et pose l'extrémité unie de mes doigts sur mes lèvres à peine refermées de mon murmure.

    Il y a, posé sur notre lit, un ensemble en tissu noir, dont je soupçonne facilement la provenance, et que je n'ose même pas frôler, tant sa texture me paraît caressante, et sa forme recherchée.

    Marielle.

    Il n'y a que Marielle, pour avoir confectionné une telle merveille.

    Des bras se serrent autour de ma taille.

    Sans émettre un son, le corps de mon Maître s'est entouré autour du mien, et je sens, déjà, son souffle dans ma nuque, et sa chaleur sur ma peau.

    "C'est pour moi ?"

     

    "Non."

    Son rire brise le silence, et je sens son souffle se secouer joyeusement derrière moi.

    "Mais si. Bien sûr, que c'est pour toi."

     

    Je relève les yeux, et réalise que le miroir nous renvoie notre image. Le regard de mon Maître, que je vois sans qu'il ne le sache, est rieur, amusé par la petite contraction qui a figé mes muscles, au moment où il a dit non. Je nous souris.

     

    Le tissu du vêtement est posé sur le lit comme s'il entourait le corps de quelqu'un. De quelqu'un qui se serait allongé sur l'herbe, pour regarder la forme des nuages.

    Il est composé de petites bandelettes de tissu souple, multiples, qui s'entrecroisent, au niveau des seins, puis du nombril, puis de la base des cuisses. Le tissu est si fin que la personne de l'herbe que j'ai imaginée serait presque nue en portant ce vêtement, et pourtant, les bandelettes ont visiblement été assemblées avec tant d'attention, pour que le corps y soit mis en valeur, que je ne pense pas que je me sentirai nue, en le portant. Au contraire.

     

    Je me retourne vers mon Maître, et l'embrasse.

    "Merci."

     

    Mes yeux disent merci, mon corps dit merci, ma voix dit merci, tout mon être dit merci. Merci, mon Maître.

     

    Je sens, déjà, ses doigts pressés retirer les vêtements que je portais. Mes doigts tentent de les aider, mais ils sont repoussés, et c'est avec un sourire presque gêné que je le laisse me mettre à nu, comme si je n'avais pas de doigts, et que mon corps dépendait de ses mains, pour être mis à nu.

     

    Juste avant que nos deux êtres nus ne se rassemblent dans la buée tiède de la douche, j'ai senti ses doigts saisir mes poignets, et les lier l'un à l'autre, dans mon dos, juste à la limite entre mes reins et mes fesses. Je sens à présent la corde fine et trempée contre l'arrière de mes cuisses, et c'est les poignets liés, comme mon âme est liée à la Sienne, que je laisse ses doigts parcourir mes seins, mon ventre, l'intérieur de mes cuisses.

    L'odeur sucrée qui s'envole de nos corps blanchis par les petites bulles me fait fermer les yeux.

     

    "Tu te souviens, de ce que tu m'as dit, en rentrant de Noël?"

     

    Mes paupières s'ouvrent. Je me souviens avoir dit à mon Maître que, s'il voulait me prêter, comme avant, je me sentais à nouveau prête. Il aurait pu le faire, de toutes façons. Il aurait pu, je me serais laissée faire, j'aurais trouvé la force en Lui, je n'aurais pas eu de rancune contre Lui, et je l'aurais toujours aimé. Il aurait pu, tout en sachant, puisque je n'étais plus capable de le Lui cacher, que je n'y prenais pas de plaisir.

     

    "Oui."

     

    J'ai dit à mon Maître que j'étais prête à nouveau, mais je lui ai menti. Je n'étais pas prête. J'avais simplement peur de le perdre, je pensais le perdre, et je voulais tout lui donner, avant que ce moment, qui me semblait inévitable, n'arrive. Je voulais être sûre de lui avoir tout donné, comme les coureurs qui pressent le rythme de leurs dernières foulées dans l'espoir de passer la ligne d'arrivée en étant sûrs de pouvoir se dire qu'ils n'auraient pas pu faire mieux.

     

    "Tu le penses toujours?"

     

    L'idée que mon Maître me prête à nouveau ne m'avait pas quittée, depuis ce début d'après-midi de décembre où j'étais rentrée de Noël. Elle était là, comme une hantise permanente qui secoue le souffle, s'éloignant, et revenant, mais restant toujours assez près pour que l'on puisse la distinguer.

    Est-ce que je le pense toujours ? Je voudrais répondre honnêtement à mon Maître. Je voudrais être capable de prononcer des mots dont l'exactitude me soit évidente. Mais je crois qu'il faudrait pour cela que je l'ai déjà pensé. Et je ne l'ai pas pensé.

     

    Mon silence est trop long.

     

    "Tu as trouvé, ce qui a changé ?"

     

    J'ai peur. Je voudrais que le lien qui serre mes poignets l'un contre l'autre se détache, je voudrais être libre de mes gestes, je voudrais pouvoir prendre le temps de tourner le dos à mon Maître, pour retrouver ma voix, et mon souffle.

     

    "Réponds-moi nine."

     

    Ce qui avait changé, à Noël, c'était l'intensité de ma peur de Le perdre. Elle s'était décuplée. Elle est aujourd'hui calmée. Et, sereinement, je crois que la seule raison permanente, et non motivée par cette peur qui m'habite, la seule raison à ce que je sois prête pour que mon Maître me partage, c'est la simple évidence que cette acceptation est le don le plus important que je puisse Lui faire, dans ma soumission. Il n'y a rien, au-delà. Les humiliations et les douleurs, aussi poussées soient-elles, ne sont rien à côté de ce don là.

    Que mon Maître me prête, c'est ce qui m'est le plus difficile, et je crois qu'en ce sens, c'est ce qui me rend le plus Soumise.

    Et Dieu sait comme mon cœur est apaisé, lorsqu'il a la chance de pouvoir se soumettre.

    Je voudrais savoir dire ces mots à mon Maître. Je voudrais pouvoir Lui parler, et les Lui dire.

     

    "Rien."

     

    "Quoi?"

     

    "Rien n'a changé. je veux t'être soumise, c'est tout. C'est ce que je veux par dessus tout."

     

    Il me sourit. Il efface mes larmes, sur mes joues. Ce sont des larmes de frustration, parce que je n'arrive jamais à Lui dire ce que je veux Lui dire.

     

    "tu es toujours excessive en tout, nine."

     

    "je sais. pardon."

     
     
     

    Les petites bandelettes de tissu noir se nouent autour de mon corps. Je vois ses doigts qui frôlent ma peau, je regarde ses yeux, à travers le miroir, que sa concentration assombrit. Je regarde au-delà : les bougies se sont éteintes.

     

    Et , lorsque je ne sens plus sa chaleur me frôler, je relève les yeux vers mon reflet, et y découvre que la personne de l'herbe, celle des nuages, s'est relevée, et me sourit. Mon Maître aussi, me sourit.

     

    "Tu es belle, ma Soumise. tu es si belle."

     

    Une larme à nouveau humidifie ma joue, mais ce n'est pas de frustration, cette fois-ci, c'est d'amour.

    D'amour pour mon Maître.

     
     
     

    Seule ma veste longue recouvre mon corps nu emballé - comme on emballe les fleurs, au moment de les offrir, à celui qui les déballera, pour les arroser, dès qu'elles courberont la tête - dans l'ensemble confectionné par Marielle.

     

    Mon cœur bat la chamade, et s'accélère, à mesure que les kilomètres passent. J'ai peur. Si peur que j'en oublie de respirer. Je repense à la dernière fois où j'ai vu Patrick. Je pense à ce qu'il m'avait dit, je pense à tous les mots que m'a dit Patrick. Je sens la peur picoter chaque centimètre de ma peau, y traçant des sillons d'électricité qui me paralysent. Je sens mon ventre se nouer, et mon corps se refroidir, comme s'il n'était plus capable de recevoir la chaleur.

     

    "ça va aller nine. N'aie pas peur. ça va aller. Je ne te laisse pas, je reste là."

     

    Ses mots relancent mon souffle, et mes poumons reçoivent l'air revenu avec soulagement.

     

    "D'accord ?"

     

    "Oui."

     

    Je lui souris, et mon sourire déparalyse mon visage. 

     

    Il faut que cette fois-ci soit différente. Il faut que je sois forte. Je m'accroche à l'idée que mon Maître ne me laissera pas. A l'idée que son regard sera sur moi. A l'idée que je vais me soumettre ainsi plus que de n'importe quelle autre manière.

     

    "Raphaël..."

     

    "Quoi ?"

     

    "Rien, j'avais envie d'entendre encore ta voix."

     
     
     

    La voiture s'immobilise dans un crissement sur le gravier. Je reconnais les saules pleureurs, je reconnais la voiture grise abîmée, et le pneu qui tourne au bout de sa corde. J'ai rêvé cet endroit tant de fois. Tant de fois, où mon rêve m'a éveillée en sursaut.

     
     
     

    Mon Maître a tapé, et nous avons attendu. Je ne sais pas si l'attente a duré 30 secondes, ou peut-être quelques minutes. Mon Maître ne me regardait pas. J'ai fixé le bois du porche. L'attente m'a permis de rassembler en moi tout mon désir de soumission, tout mon amour pour Raphaël , toute ma force, tout. J'ai tout rassemblé, pour ne pas m'écrouler, lorsque Patrick ouvrirait cette porte.

     

    Je me suis répétée : "je vais me soumettre. je vais me soumettre. je vais me soumettre."

    Lorsque la porte s'est ouverte, mes poings étaient serrés de toute leur force, et mes yeux baissés. J'ai su, à ce moment là, que ni les mots, ni le regard, ni le manque de respect de Patrick ne pourraient m'atteindre. Que seule la fierté de mon Maître, car fierté il y aurait, aurait le droit de me toucher, et que pas un de mes gestes ne trahirait ma peur.

     
     

    Lorsque mon Maître a écarté ma veste, et qu'elle a glissé le long de mes épaules, tombant à mes pieds dans un bruit de tissu froissé, j'ai croisé mes poignets dans mon dos, ai offert en avant mes seins, aussi petits soient-ils, et ai gardé les yeux baissés.

     
     

    Patrick est debout devant moi, et je sens qu'il détaille ma tenue, qu'il fixe chaque parcelle de mon corps. J'ai tant redouté ce moment, je l'ai tant cauchemardé, et, à présent qu'il est là, je ne vois qu'une chose, une seule : la main de mon Maître. Mon visage baissé dissimule la direction que mon regard a pris, et celui-ci ne fixe que la main de mon Maître. Celle-ci se crispe, lorsque Patrick pose ses doigts sur mes seins. Je ne les sens même pas. Je ne les sens même pas. Je suis plus forte que cet homme, et je ne vois que la main de mon Maître.

    Tu peux bien griffer mes seins, tu peux bien en pincer et en tordre la pointe, je resterai immobile. Je ne ferai pas un geste. Je garderai les poignets croisés dans le dos, et le regard baissé. La douleur ? Elle n'est rien. Elle n'est rien. Rien.

     

    Patrick fait une remarque, sur mon comportement. Je crois qu'il le félicite. Je n'écoute pas. Ses mots sont bien loin de moi. Moi, j'ai vu le sexe de mon Maître se redresser, quand Patrick a parlé, et j'ai compris qu'Il tirait du plaisir, à pouvoir être fier de moi. Il pourra bien se passer ici tout ce qu'il voudra, à présent, je me soumettrai.

    Lorsque Patrick pose deux pinces sur la pointe de mes seins, je relève furtivement les yeux vers lui, et lui souris. Vite, si vite, que j'ai à peine le temps de voir dans son regard un doute, comme s'il se demandait s'il n'avait pas rêvé mon sourire.

    Non, tu n'as pas rêvé. Je t'ai bien souri. J'ai mal, mal à m'en tordre de douleur, mais je ne bougerai pas. Et je t'ai bien souri, cauchemar. Je t'ai bien souri.

     
     

    Mon corps offert est suspendu dans le vide, et je sens les bandelettes de la personne de l'herbe se tendre sur ma peau. Aux premiers coups, je panique, car je n'ai pas trouvé mon Maître. Mais dès que mon regard croise le sien, et s'y accroche, mon corps s'immobilise à nouveau. Bien sûr, je gémis, bien sûr, je finis même par crier. Mais rien ne séparera mes yeux des siens. Et rien n'en enlèvera la force. Rien ne m'enlèvera ma force, tant que Raphaël sera là pour moi.

     

    Les lanières ensanglantent ma peau, mais ce n'est rien. Ce n'est rien.

     

    Lorsque, enfin, les coups cessent, Patrick me contourne, et me vole le regard de mon Maître. Je le vois libérer son sexe, d'une main, et je ferme les yeux.

     

    Il défait un peu le lien qui me maintenait suspendue, amenant ma taille au niveau de la sienne. Mon souffle perd son rythme, mes poings se serrent.

     

    "Attends."

     

    C'est la voix de mon Maître, je sens des larmes de soulagement me prendre, je crois que ma force arrive au bout, ma tête tourne si vite que les murs, autour de moi, me semblent être au nombre de mille.

     

    Mon Maître, enfin, me touche. Il défait mes liens. Je gémis à chaque bouffée d'air qui entre en moi. J'ai honte, de gémir ainsi. je voudrais rester à me soumettre sans faillir jusqu'au bout, mais mon angoisse est si forte que ma respiration se fait bruyante, comme si mon corps voulait en faire ressortir au moins un petit peu.

     

    Mon Maître presse mes épaules, mes genoux touchent le sol. Il glisse sa main sous mon menton et presse la base de mes lèvres, pour entrouvrir ma bouche. Patrick s'approche, et je comprends.

    Un regard de mon Maître, et je sais.

     

    Il y a tant d'amour, et de fierté, dans ce regard. Malgré la force avec laquelle il m'a plaquée à genoux sur le sol, malgré l'indiscutable autorité avec laquelle il a ouvert mes lèvres, il y a tant d'amour.

     

    J'ai fait jouir Patrick avec autant d'application que j'aurais fait jouir mon Maître. Le prenant au plus profond de ma gorge, tirant la langue comme un animal, recueillant son sperme dans ma bouche, et l'avalant, au mépris des haut-le-cœur qui m'ont prise, perdant toute humanité, et toute fierté, pour lui donner du plaisir.

     
     

    A peine Patrick détourné de moi, j'ai cherché le regard de mon Maître.

     

    Et j'y ai trouvé, oui, j'y ai trouvé, j'en suis certaine, l'expression que je rêvais d'obtenir depuis le temps que je redoutais le moment où il me prêterait à nouveau. J'ai su que les cauchemars, et l'angoisse, et mes peurs, et ma douleur, sous les coups de Patrick, et mes haut-le-cœur, et ma force, et mon amour, n'avaient pas été vains, n'était pas vains. J'ai su que ce regard là valait toutes les offrandes du monde, réduisait à néant le mépris de Patrick, et me faisait grandir.

     

    J'ai su que rien d'autre que le prêt, ce qui m'était le plus difficile, ne pouvait m'offrir ce regard là. Ce regard d'amour et de fierté. Ce regard qui est le plus beau regard de mon Dominant, de mon Maître. Ce regard qui est l'aboutissement de tous mes fantasmes de soumission, ce regard pour lequel je peux me faire chienne, salope, pute, esclave, ce regard pour lequel je pourrais faire n'importe quoi.

     

    Et j'ai souri à mon Maître.


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  • A travers mes paupières, je vois la lumière orangée.

    Cette lumière orangée, dans laquelle perlent une multitude de petits points noirs, celle que l'on ne voit que lorsque l'on regarde le soleil de face, les yeux fermés.

    Je n'ai pas envie d'ouvrir les paupières. Si le soleil est arrivé jusqu'à mon visage, ça signifie qu'il a déjà éclairé toute la rue, avant d'arriver là. Et s'il a déjà éclairé toute la rue, ça veut dire que mon Maître est déjà parti.

    Je n'ai pas envie d'ouvrir les paupières, parce que, tant que je les garde fermées, je peux m'imaginer qu'il est là, juste à côté de moi, qu'il est là, et que je n'ai pas loupé son départ.

    Qu'il est là, et que je ne suis pas toute seule.

     

    Quand Mr Propre Pamplemousse / Thé Vert entre en offensive à mes côtés dans la cuisine, et que son odeur qui sent tout sauf le Pamplemousse et le Thé Vert s'élève autour de moi, c'est mauvais signe. Mr Propre n'est qu'un prétexte pour lorgner par la fenêtre. Cette fenêtre que je ne peux lorgner que de la cuisine. J'ai la bougeotte. J'ai les routes dans la tête, et les murs me paraissent des barreaux. C'est stupide. Je peux sortir, si je veux. Je peux sortir. Je n'ai pas besoin de tourner en rond avec Mr Propre. Mais le regard des autres me fait peur. Il me fait peur aussi fort que ma solitude, entre mes murs-barreaux. C'est stupide.

     

    Je jette un coup d'œil à l'heure, et je réalise que ça va être trop long. Je regrette presque de ne pas devoir aller travailler aujourd'hui. Je réalise que ça va être trop long, et que la compagnie de Mr propre ne pourra pas planquer ma solitude assez longtemps pour que la bougeotte me passe.

     

    Je pense aux grosses femmes de la laverie. Et je souris. Je cours jusqu'au couloir, et mon sourire s'efface. Il y a trop peu de linge, dans le bac, pour aller à la laverie. Beaucoup trop peu.

     

    Alors, je fais quelque chose qui me fait honte. Pour ne pas rester seule une minute de plus, je rajoute un peu du linge propre dans le linge sale, et j'emballe le tout.

    C'est stupide.

     

    Dans la rue, avec mon sac de linge sale et de linge propre mêlés, je me dis que c'est vraiment n'importe quoi, et j'ai honte. Je voudrais ne pas être comme ça.

     

    J'ai glissé une pièce de vingt centimes dans la machine de sucettes à la cerise de l'entrée.

    Les grosses femmes sont là, comme toujours à cette heure là, avec leurs tissus colorés et leur langue inconnue.

    Quand la sucette est tombée, elle a fait un bruit de métal contre les parois du distributeur et elles se sont retournées vers moi. Elles m'ont souri. Et leurs sourires m'ont fait du bien.

     

    La sucette a déjà fondu entre mes dents, et je mordille le bâtonnet de plastique blanc qui la maintenait, pour en extraire les derniers grains de sucre, et, surtout, pour ne pas rester à ne rien faire. Je me suis calée sur le couvercle du sèche-couette, le dos contre le mur, comme à chaque fois.

    Les femmes rient, et parlent sans jamais se taire. On dirait qu'elles ne respirent pas, entre les mots. Elles parlent si fort que le plastique du mur vibre dans mon dos. A moins que ce ne soit les tambours des lessiveuses, qui ne fassent ça.

    Les entendre me soulage.

     

    Je respire un grand coup, sans faire de bruit. C'est stupide, mais des fois, heureusement que la laverie est là. Et pourvu que mon Maître ne répare jamais notre machine à laver. Pourvu.

    Je me surprends à serrer les poings en pensant pourvu. Je voudrais ne pas être comme ça.

     
     

    Les femmes parlent toujours si fort que je n'ai pas réalisé tout de suite qu'elles parlaient trop fort, depuis quelques minutes.

     

    Lorsque je relève la tête, je réalise que, si elles se disputent, c'est à cause d'un fond de paquet de lessive renversé sur le sol. Le ton monte en moins d'une minute. Pour un fond de lessive renversé, leurs visages souriants semblent prêts à tuer, je vois leurs bras se lever, et je sursaute.

     

    J'ai quitté le couvercle du sèche-couettes, ai glissé derrière leurs tissus colorés et leurs mots inconnus, et me suis mise à courir.

     

    Dans cette même rue où je traînais ma solitude, mon linge sale, et mon linge propre, il y a une demie heure, j'entends à présent mes chaussures claquer bruyamment sur le béton, et je sens mon cœur s'accélérer.

     

    Accroupie devant le paquet de lessive, je regarde la poudre rosée glisser trop lentement dans le verre ( j'ai oublié la dosette à la laverie ) , et son niveau monter le long de ses parois brillantes.

    Mes doigts tremblent.

     

    Au moment de repasser notre porte, je trébuche sur Mr Propre, et je sens le verre m'échapper.

    J'entends ses parois brillantes se briser, je vois la poudre s'étaler sur le carrelage. Le soleil, qui était en train de finir d'éclairer toute la rue, paraît s'immobiliser sur les fragments du verre brisé, et la couleur rosée de la poudre de lessive projette des prismes de lumière rose sur tous les murs autour de moi. Un instant, je reste fascinée par cette lumière rose. Je ne peux plus détacher mes yeux des petites formes géométriques qui scintillent tout autour de moi.

     

    Et puis, je me rappelle les visages courroucés des femmes, je me rappelle leurs cris, et leurs menaces, je prends une enveloppe de papier blanc, retourne m'accroupir devant le paquet de lessive rose, et, à nouveau, la regarde glisser trop lentement entre mes doigts.

     

    Lorsque j'évite Mr Propre, et que je traverse la lumière rose du verre brisé, une pensée absolument stupide me prend. Je baisse les yeux sur la poudre rose, entre mes doigts, au milieu de laquelle brille l'un des prismes de lumière rose, et je murmure : "je suis en train d'éviter la guerre."

    Puis, l'évidence de ma propre sottise me prend, je pouffe de rire, referme la porte derrière moi, et, en souriant, j'entends mes chaussures claquer bruyamment sur le béton, et je sens mon cœur s'accélérer, dans l'autre sens.

     

    Les femmes n'ont pas cessé de crier, quand j'arrive.

     

    Je tends l'enveloppe devant moi, en reprenant mon souffle.

     

    Je ne sais pas ce qu'elles disent, mais elles ne crient plus. La poudre rose est passée de mes mains à leurs mains, elles m'ont souri, et, à présent, leur langue inconnue recommence à me paraître chantante.

     

    J'appuie mes fesses contre le mur. Je pose mes mains sur la base de mes genoux, et me force à respirer doucement.

     

    Leurs regards vers moi sont inquiets. Je souris.

     

    "ça va."

     

    Elles n'ont pas compris mes mots, mais ont compris leur sens, et leurs rires reviennent peu à peu. En même temps que mon souffle, dans mes poumons.

     

    J'ai perdu le bâtonnet de la sucette.

    Il me reste le couvercle du sèche-couette, et je ne me prive pas de m'y glisser, le dos contre le mur.

    Je regarde ma montre. Le temps a passé. C'est bientôt l'heure du retour de mon maître. Je ferme les yeux, et soupire de soulagement. Tant mieux.

     
     
     
     
     

    "Tu étais à la laverie ?"

     

    Mon cœur sourit au son de Sa voix.

     

    "Oui."

     

    "Sami t'a remboursée ?"

     

    "Remboursée ?"

     

    "Pour ta carte."

     

    Mon Maître était là, lorsque Samira est venue m'emprunter ma carte de paiement pour la laverie. Et, le jour où elle est venue, et qu'Il était là, je n'ai pas osé lui dire.

     

    Je n'ai pas osé lui dire que Sami passe m'emprunter ma carte au moins une semaine sur deux. Je n'ai pas osé lui dire que si je la lui prête, c'est parce que je sais que si elle me demande, c'est qu'elle ne peut pas faire autrement, c'est parce que c'est difficile, pour elle.

     

    Je n'ai rien osé lui dire.

     

    "Non. Pas encore."

     

    La colère sur le visage de mon Maître est évidente.

     

    Je m'accroupis pour réunir le verre et la poudre de lessive éparpillés sur le sol. ça m'évite de croiser son regard.

     

    "T'es vraiment une gourde."

     

    Je n'ose pas répondre.

     

    "Tu m'entends au moins ? T'es une gourde."

     
     

    Je sens les larmes me monter aux yeux.

    "C'est pas vrai."

     

    Je dis "c'est pas vrai", pour faire mine de me défendre, mais en vrai je sais bien qu'il a raison.

     

    "Donne-moi son numéro. J'en ai assez que tu te laisses faire."

     

    Je murmure "Non."

     

    "Donne-le moi."

     

    Je sens mon cœur qui bat à toute allure dans ma poitrine. Je ne lui donnerai pas ce numéro, je ne lui donnerai pas.

     

    "Non. Laisse-moi. Je suis pas une gourde. Et puis d'abord, je travaille, c'est mon argent, que je gagne. Si Sami ne me rembourse pas, ça ne te regarde pas. Je te le donnerai pas, ce numéro. J'ai pas besoin de Toi pour tout."

     
     

    La baffe, je ne l'ai pas sentie venir.

     

    Elle a résonné sur mon visage, ma main droite s'est rattrapée par terre et s'est coupée sur un bout de verre brisé, ma main gauche s'est posée sur ma joue, à l'endroit d'où la douleur venait de m'assaillir.

     

    Je l'ai regardé s'éloigner, et je suis restée sur mes talons, une main sur le verre, et l'autre sur ma peau. Je n'avais déjà plus mal. Mais j'ai gardé quand même ma main sur ma joue, en espérant qu'il se retournerait, et qu'il s'en veuille.

    Il ne s'est pas retourné.

     

    Alors, j'ai retiré ma main de ma joue.

     

    J'ai porté mon autre main à mes lèvres, et ai léché le petit filet de sang qui s'en échappait.

    J'ai pleuré.

     

    Autour de moi, les prismes de lumière rose étaient toujours là. Je me suis laissée glisser sur le sol, et les ai admirés. Admirés comme s'ils étaient la plus belle des choses qui m'ait été donnée de voir. J'ai espéré qu'ils calment mes pleurs. Mais seules les minutes ont été capables de les calmer.

     

    J'ai ramassé le verre et la poudre rose, et les prismes de lumière rose sur les murs ont disparu.

     

    J'ai mis longtemps, avant d'oser le rejoindre. Je sentais qu'il aurait juste suffi qu'il se remette à crier, pour que mes pleurs reviennent. Un mal-être que je suis incapable de décrire avait endolori mon ventre, et le haut de mes cuisses. Comme si mes muscles, et mes abdominaux, étaient devenus du béton.

     

    Je me suis avancée jusqu'à Lui, et j'ai gardé les yeux baissés.

    J'avais envie de lui dire. De lui dire que je ne veux plus de ces moments là. Que je n'en veux plus. J'avais envie de lui dire que j'ai mal. Mais j'ai été incapable de prononcer un seul mot.

     

    Lorsqu'il a passé sa main derrière ma nuque, et m'a attirée à Lui, j'ai retenu un sanglot. J'ai enfoui mon visage dans le tissu de son tee-shirt, et j'ai coupé ma respiration pour que le sanglot ne sorte pas.

    Ses bras se sont serrés autour de moi.

     

    J'aurais voulu trouver les mots. J'aurais tellement voulu.

     
     

    Les heures de la journée sont passées. Mon sanglot est passé aussi. Et Il a même réussi à me faire rire, en me racontant des bêtises.

    A un moment, il m'a dit : " Pour ta carte, pour la laverie, c'est pas grave, t'en fais pas.".  Mon souffle s'est coupé, mon ventre s'est serré, et ma main s'est posée sur ma joue. C'est stupide. C'était déjà trop tard pour qu'il s'en veuille.

    Et puis, tout aussi vite, il a changé de sujet. Et j'ai ri à nouveau.

     
     
     
     
     

    Lorsque la soirée est née, les premières étoiles l'ont appelé, pour me le voler.

    C'est amusant comme, chaque fois, il peut être en train de faire n'importe quoi, les premières étoiles l'appellent. Je vois ses yeux les guetter, par la fenêtre, et dès que l'une d'entre elles entre dans son champ de vision, il me sourit, et il sort.

     

    Il s'assoit sur notre marche, et il allume une cigarette. Il prend un plaisir simple, un plaisir évident, à cette première cigarette du soir sous les premières étoiles. Et moi, souvent, je sors m'asseoir à côté de Lui, à ce moment là. On se parle rarement, pendant la première cigarette du soir. C'est pourtant le moment de nos journées que je préfère entre tous.

     
     

    Ce soir, le ciel, au-dessus de nous, est voilé, et les étoiles sont discrètes. Et mon Maître me prête plus d'attention que les autres soirs. Sa main libre se glisse sur ma cuisse, qu'elle écarte, l'attirant à Lui. Ses doigts se posent sous mon ventre.

     

    "Va te changer."

     

    Mon jean le dérange, le tissu de mon jean le dérange. Je comprends. Je souris. Et je passe la porte sans faire de bruit.

    Dans la salle de bain, je me souris dans le miroir, en retirant mes sous-vêtements, et en choisissant une jupe courte, un petit haut au décolleté peu couvrant, et des chaussures fines.

     

    Je reviens rapidement à Lui, et je suis telle qu'il l'aime.

     

    Alors que j'allais m'asseoir à côté de Lui, il se lève, ferme la porte à clé derrière nous, glisse sa main derrière mes reins, et descends notre marche.

    Je comprends. Et je regrette d'avoir choisi ma jupe si courte.

     

     

    Un instant, l'idée de le lui dire me prend, mais ce serait idiot : c'est tout ce qu'Il espère.

    Alors, je me serre un peu plus contre Lui.

     

    Ce que je craignais arrive: il bifurque à la deuxième petite rue.

    La petite rue où se donnent rendez-vous tous les jeunes du quartier, la petite rue où il y a un escalier, sur lequel ils s'installent pour boire et rire. La petite rue où il ne faut pas passer, quand on est seule la nuit.

    Je me serre plus fort encore contre mon Maître, moi, je ne crains rien, moi, je ne suis pas seule.

     
     

    Lorsque je sens sa main me repousser, je ne comprends pas. Je lui jette un regard de panique, et lis dans ses yeux sa petite victoire.

     

    "On se rejoint à la maison. Toi, tu rentres par là."

     

    Je jette un coup d'œil vers la rue, puis un coup d'œil sur mes genoux nus. La panique me prend.

     

    "Tu n'as pas besoin de moi, c'est bien ça, non ? Prouve-le."

     

    Mon cœur bat la chamade.

     

    "Non..."

     

    " Non ? "

     

    "S'il vous plaît Monsieur... S'il vous plaît..."

     

    "J'adore quand tu supplies."

     

    Il me retire ma veste, ne laissant sur mes épaules que le petit haut au décolleté profond que j'avais enfilé pour Lui.

     

    "Tu n'as pas besoin de ça, non plus.

    Tu rentres par là."

     

    Et il tourne les talons.

     

    Je m'entends murmurer "Monsieur", mais, dans cette rue où la lumière des lampadaires paraît plus faible qu'ailleurs, je ne distingue déjà plus sa silhouette.

     

    Je me retourne vers l'endroit qu'il m'a indiqué, et je frémis.

     

    Je tire un peu sur ma jupe, j'essaie de couvrir davantage mes épaules, et la base de mes seins. Mais mes gestes sont tout simplement inutiles.

     

    Je sens mes poings se serrer. Je suis incapable, absolument incapable, de traverser cette rue. Je ne supporterai pas les réflexions qui s'élèveront immanquablement sur mon passage, je ne supporterai pas la peur qui va me prendre, je ne supporterai pas de recroiser l'un d'entre eux dans la rue, après. Je sens que je panique complètement, je sens les larmes me monter aux yeux. Et je sens mes jambes faire demi-tour, pour désobéir à mon Maître.

     
     

    Dans la faible lumière des lampadaires, je sens deux bras me saisir, et me plaquer contre le mur. Je retiens un petit cri, lorsque je reconnais son visage.

     

    "Qu'est ce que tu fais ?"

     

    "Je ne peux pas. Je ne peux pas, Monsieur."

     

    Un sourire s'esquisse sur son visage.

     

    "Tu n'as pas besoin de moi, mais tu es incapable de parcourir les 500 mètres qui te séparent de la maison sans moi, c'est ça ?"

     

    Je tremble comme une feuille.

    "Si, mais... pas comme ça."

     

    "Comme ça", ce sont les vêtements que j'avais mis pour Lui.

     

    "Tais-toi."

     

    Je baisse les yeux. Je prie en moi-même pour qu'il ne me force pas à faire ça.

     

    "Allez, enfile ça, tu vas encore attraper froid."

     

    Il réentoure mes épaules avec ma veste, me tire à lui, et m'éloigne de cette rue. A nouveau, je me serre contre Lui.

     
     
     
     
     
     
     
     
     
     

    A peine arrivés à la maison, mon Maître a relevé brusquement le minuscule morceau de tissu qui me servait de jupe sur mes reins, il m'a poussée vers la table, où mon corps s'est replié presque de lui-même, et j'ai senti sa main danser sur la peau nue de mes fesses.

     

    Lorsque sa main a fatigué, c'est la cuillère de bois qui était posée à côté de Lui qui a pris la relève. La fessée a duré pendant de longues minutes. Mon Maître a pris son temps, laissant chaque onde de douleur faire son chemin jusqu'à mon esprit. Laissant aussi, peut-être, le temps à mon souffle de ne pas me lâcher, entre les coups.

     

    Puis, lorsque j'ai commencé à gémir de plus en plus fort à chaque coup, il a empoigné mes fesses à pleines mains, les a écartés, et s'est enfoncé en moi. J'ai senti, à chacun de ses va et viens en moi, que mes mots l'avaient blessé. J'ai senti, à chacun de ses va et viens en moi, son désir de me faire mal, pour les mots que j'avais prononcés. Et j'ai gémi plus fort que ce que j'avais mal, pour qu'Il me pardonne.

     

    Car je peux bien dire tout ce que je veux, il a raison, j'ai besoin de Lui. J'ai un besoin vital de Lui.

     

    Lorsqu'il a joui en moi, et que ses ongles se sont enfoncés dans la peau rougie de mes fesses, j'ai vu les prismes rosés de lumière danser tout autour de moi, sur les murs. Et pourtant, depuis bien longtemps, le soleil était parti.

     

    J'ai vu les prismes rosés s'éclairer de toutes leurs forces dans notre maison, et j'ai senti une certitude m'envahir : il faudra que quelque chose change.

     

    Il faudra que quelque chose change.


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