• Deux mots et demi

    "Stop Nina. Stop."

    Je l'entends, mais suis incapable de lui obéir. Ça n'est qu'au moment où je sens sa main s'entourer autour de mon poignet, serrer, et séparer mes doigts de la base de mes lèvres, que le plaisir cesse. Je ne peux pas retenir un petit gémissement de frustration. Je le supplie du regard, mais mon désespoir dessine juste un air amusé sur son visage. Il pince la pointe de mon sein entre ses ongles, et je sens mon téton se tordre entre ses doigts. La douleur irradie ma poitrine, mais ne suffit pas à faire taire mon envie.

    Il pose un baiser sur mon front, et ses lèvres redescendent le long de ma nuque. Un murmure : "Quand Je dis Stop, c'est Stop". Et ses ongles, qui s'enfoncent plus fort dans la chair tendue vers lui de mon sein. Je niche mon visage contre son épaule, et gémis à nouveau, mais, cette fois, c'est bien de douleur. J'ai tellement envie, que j'ai l'impression de sentir mon pouls plus fort dans le bas de mon ventre que dans mon cœur. Ce soir, j'ai vraiment cru que j'aurais le droit. Il m'a laissée aller si loin que j'étais persuadée que, cette fois, j'aurai le droit de laisser tout le plaisir retenu depuis cinq longues soirées remonter dans mon ventre.

    Chaque soirée a commencé de la même manière. J'ai donné du plaisir à mon Maître, sentant l'envie monter en moi, sans la satisfaire, et, une fois son souffle calmé et son regard brillant, il m'a murmuré " allonge-toi." Je lui ai obéi, et j'ai senti ses doigts écarter mes jambes, et guider ma main entre celles-ci. Il s'est installé devant moi, assis en tailleur au bout du lit, comme un spectateur qui se languit du début de la scène, et, a soufflé juste un petit mot: "allez."

    J'ai fixé mon regard dans le sien, me retenant pour ne pas le détourner, poussée par une honte que je n'explique pas, et ai fait naître, tout doucement, seconde après seconde, le plaisir au creux de mon ventre. Je n'ai pas pu m'empêcher de sourire, je n'ai pas pu empêcher mes lèvres de s'entrouvrir, et mon souffle de s'accélérer. Cinq soirées de suite, au moment où je ne voyais pour ainsi dire plus son regard, tellement le désir se faisait présent en moi, il a dit "Stop", tordant mon ventre de déception..... A chaque soirée de plus, mes doigts se sont détachés de moi avec plus de difficulté, et, à chaque soirée de plus, il a repoussé encore un peu le moment de dire "stop", le rapprochant toujours plus du soulagement qui m'est interdit.

    Ce soir, la frustration a fait naître deux petites larmes au coin de mes yeux, deux petites larmes que je cache en maintenant mon visage collé contre la chaleur de sa peau, deux petites larmes dont j'ai honte, car les larmes ne devraient pas naître pour si peu, deux petites larmes qui sèchent aussi vite qu'elles sont nées, avant d'avoir eu le temps d'humidifier mes joues.

    "Regarde-moi". Je m'écarte à contre cœur de lui, et, les genoux repliés sous moi-même sur notre couette froissée, je relève les yeux vers lui.

    Il doit y lire le dépit de l'envie créée et non soulagée, une petite pointe de reproche, sûrement, une petite pointe d'espoir, aussi, espoir qu'il puisse me libérer ce soir.

    Ses ongles n'ont toujours pas quitté la pointe de mon sein. Lorsque ses lèvres se joignent aux miennes, je sens enfin la pression de ses doigts lâcher prise, et l'envie se calme tout doucement en moi. A peine ses lèvres me sont-elles déjà volées qu'il a repris cet air moqueur et joyeux que mon attente lui donne, et me dit:

    "Allez, à ta place."

    Je tente une petite moue boudeuse pour le faire changer d'avis, j'aimerais dormir contre Lui, cette nuit, tout contre Lui.... mais je vois bien que ma mauvaise volonté à faire ce qu'il me dit risque juste de me valoir une sanction, je vois bien que je finirai au pied de son lit, quoiqu'il en soit, et que mes efforts pour l'amadouer ne serviront à rien.

    A genoux à côté du petit anneau de métal, j'essaie de refermer la chaînette autour de mon collier, mais l'anneau ripe à chaque fois, et retarde le moment où le "clic" sonore scellera ma nuit sur la couverture repliée à même le sol qui me protège du froid. Alors que je me contorsionne sans arriver à refermer l'anneau, je sens sa main, puissante, se resserrer autour de mes doigts. La surprise me fait sursauter. Il me sourit, me prend l'anneau des mains, et le "clic" se fait entendre.

    Le regard baissé, je murmure "Merci Monsieur."

    Je sens ses doigts passer entre les mèches de cheveux qui me sont retombées devant les yeux, les écarter, et ses lèvres poser un baiser sur mon front.

    "Demain soir, ma petite soumise. Demain soir."

     

    Demain soir, il va me libérer de cette boule d'envie qu'il a fait naître en moi !!!

    Je relève un visage joyeux vers Lui. Un claquement de langue réprobateur au moment où je croise son regard me fait rebaisser immédiatement les yeux, mes cheveux retombent devant eux, et, dans la demi-pénombre de la chambre, je souris lorsqu'il s'éloigne, après avoir rabattu la couverture sur mon corps nu.

    Un murmure entre mes lèvres "Bonne nuit, mon Maître. Je vous aime."

     
     

    Je me suis endormie souriante, et me suis réveillée souriante.

    Boule de joie dès qu'il défait l'anneau, je lui offre mes lèvres dans la salle de bain, je lui offre mes lèvres dans la cuisine, je lui offre mes lèvres à la porte d'entrée. Je lui offre encore mes lèvres, alors que le froid a déjà saisi mon corps, et que je suis moitié avec Lui, moitié déjà sur le trottoir, devant la porte, presque déjà dans la journée qu'il va falloir affronter avant cette soirée si attendue.

    Alors que je vais refermer la porte, et quitter sa chaleur, je sens notre portable vibrer contre la poche de son jean. Je lui fais signe que je suis en retard, et que je dois filer.

    "Attends. C'est pour toi."

    Son regard semble soucieux, presque irrité.

    J'entends la voix, je murmure quelques brides de mots.... "ce soir? Non.... Non.... Je crois que cette fois je ne vais pas venir.... Non..."

    "C'était qui?"

    "Personne."

    En quelques secondes, son bras s'est serré autour de ma taille, qu'il a ramenée à Lui.

    Il fait chaud à nouveau, la porte se claque derrière moi, et je sens mon dos cogner contre sa surface. Le carillon tombe bruyamment sur le sol.

    Je vois sa main se relever au-dessus de mon visage. La boule de joie est en train de fondre en moi, et de laisser sa place à une peur instinctive. Je plisse les yeux, sans chercher à me protéger.

    Lorsque je les ouvre à nouveau, sa main n'est plus au-dessus de moi. Je sens mon corps glisser le long de la surface dure de la porte, je sens mes jambes faiblir, je suis presque accroupie devant Lui, le dos contre la porte.

     

    "C'était qui?"

     

    Mes lèvres s'entrouvrent, pour lui répondre, mais elles ne font que trembler, et aucun son n'en sort.

    Ses doigts agrippent mes cheveux, il tire mon corps vers le haut, me remettant à sa hauteur. La douleur me fait gémir, d'une plainte à peine audible.

    Mon dos claque une deuxième fois contre la porte, je ferme les yeux pour ignorer la vague de douleur qui est remontée le long de ma colonne vertébrale, et murmure "Tu sais bien."

    Je sens un rire s'échapper de ma gorge, mais je ne sais pas d'où il vient, car je n'ai pas envie de rire, et qu'il ne ressemble pas à mon rire.

     

    "Tu n'iras pas Nina." Son regard se fait si noir dans le mien que je ne peux pas le soutenir. Mes yeux fuient, à la recherche de quelque chose où se dérober, pour ne pas affronter les siens. Ce n'est même pas un ordre, c'est une affirmation. Comme s'il ne pouvait pas en être autrement.

    Le rire se fait à nouveau entendre.... Pourquoi est-ce que je ris? Est-ce que c'est bien moi qui ris? Sans le regarder, j'articule "a non?"

    Ses doigts, qui n'ont pas lâché mes cheveux, resserrent leur emprise autour d'eux, et secouent mon visage. Et je me dis que, peut-être, s'il secoue assez fort, le rire va se décrocher de moi.

    "Non."

    Lorsqu'il me relâche, j'esquisse un geste pour filer, mais son bras est en travers de la porte, et il n'a pas l'intention d'en partir, avant que je n'ai répondu quelque chose.

    Je murmure "D'accord, je n'irai pas."

    "Promets-le moi."

    Je n'ai pas envie de promettre..... Je n'ai pas envie....

    Les dents serrés, et mon regard faisant tout pour ne pas croiser le sien, les mots sont prononcés, sans conviction. "J'te promets."

    Je sens ses lèvres contre les miennes, je sens le plat de ses mains replacer mes cheveux autour de mon visage, je sens ses doigts courir le long de ma joue, en une caresse qui se veut chaude, mais dont je n'arrive pas à me réchauffer.

    Lorsque, enfin, je me sens à peu près capable de croiser ses yeux, j'y trouve une petite malice propre au jeu. "Et puis..... n'oublie pas que ce soir...." Sa main presse la base de mes lèvres, à travers le tissu de mon jean. Je lui souris, mais..... la boule de joie est partie quand même. J'ai une pensée pour les deux petites larmes qui sont nées dans mes yeux, hier soir, à cause de la frustration, et j'ai plus honte que jamais....

    Lorsque la porte se referme derrière moi, je suis brûlante de Lui, et de l'étreinte chaude qu'il m'a donnée, avant de me pousser doucement dehors. Bouillante. Et pourtant, je suis glacée.

     

    A mesure que la journée passe, et alors que je souris à tout le monde, d'un sourire dont on ne peut douter qu'il est créé par une joie de vivre et un humour enracinés en moi, je sens le mal-être grandir dans mon ventre. Grandir à en devenir physiquement douloureux.

    Pourtant, je souris, et je ris, et ce jusqu'au soir.

    Même si, à mesure que les heures passent, je sens au fond de moi que je ne vais pas être capable de respecter la promesse faite à mon Maître.

     

    17H20. L'heure à laquelle je devais pousser Notre porte, ce soir. Je pousse bien une porte, mais ce n'est pas la notre.

    L'odeur de poisson pané du rez-de-chaussée me poursuit jusqu'au deuxième. A partir de là, les posters de flamants roses dansent devant mes yeux, sur le palier de chaque étage, et l'odeur de poisson pané est remplacée par une odeur de fraise/javel, nettoyant dont le sol est encore luisant et glissant.

     

    Je sonne deux petits coups brefs. Mon ventre se tord de douleur.

     

    "Nina !! On ne t'attendait pas ! Tu avais dit que tu ne viendrais pas.".

    "J'ai changé d'avis."  Un sourire. Encore un. Sourire forcé.

    "Entre."

     

    J'entre, et l'odeur des bougies me prend à la gorge. Je fais la bise à des visages concentrés, presque absents, qui m'auraient sans doute regardée et souri il y a moins de vingt minutes, mais ne le feront plus à présent. Je m'assois, les jambes repliées contre moi, au même endroit que d'habitude.

    Le bloc-notes se retrouve entre mes doigts. Le stylo aussi.

     

    "N'oublies pas de poser ta question...... et n'oublies pas d'y croire."

     

    Je fais oui avec la tête.

     

    Je fixe ce stylo. Je fixe les petites lignes serrées du papier, posé sur mes genoux. Mes doigts tremblent. J'ai oublié ma question.

    Au bout de longues minutes, je relève les yeux, et regarde les autres.

    J'ai bien fait d'être en retard. Sans ça, il m'auraient raconté, encore, la raison de leur présence ici. Et, alors que j'aurais eu au bout des lèvres " je le sais déjà", je me serais sentie obligée d'écouter, jusqu'à la fin, en réprimant mon envie de partir en courant, et en taisant la raison de ma présence à moi, pour ne pas qu'ils sachent que je suis une traître.

    N'arrivant plus à les regarder, je fuis leurs visages, et reporte mon attention sur leurs doigts. Ils écrivent..... Ils écrivent..... et ils écrivent encore.... et ils sourient, parfois, entre deux lignes.

    Est-ce que ce sont réellement leurs morts qui leur écrivent, qui leur parlent, entre leurs doigts? Est-ce qu'un jour, je serai en train d'écrire, et un mot pour moi se glissera entre mes lignes, m'expliquant tout ? ... ou, simplement, me disant que je suis encore aimée, quand même, malgré....

    Même "à distance" , mais aimée....

     

    "écriture intuitive". C'était ça que disait la petite annonce. Ça va faire presque 11 mois, déjà, que je reviens ici, régulièrement. Même quand je n'ai pas envie. Comme s'il y avait un aimant qui m'appelait, dans cet immeuble. Comme si je n'étais plus libre de choisir où je serai, au moment où les autres seront ici, avec leur stylo entre les doigts.

     

    "Pose ta question. Et crois-y."

     

    Combien de fois j'ai entendu ça? Combien de fois?

    "Crois-y."

     

    Mes yeux dévient de leurs doigts, et se posent sur les miens. Tremblants. Sur une feuille blanche.

    Un instant, je les hais. Je les hais, parce qu'ils ont des feuilles noires, eux, et que la mienne reste blanche. Je les hais..... parce que je n'y crois plus. Parce que j'ai reformulé la question dans tous les sens, pour rien. Je les hais si fort que mon cœur s'accélère. Il s'accélère comme quand j'aime. Est-ce possible que l'on puisse haïr aussi fort que l'on aime?

     

    Je ne les hais pas longtemps.

    Une fois encore, je détaille leurs visages. Leur espoir. Ils ne le savent pas, mais je suis en train de leur dire au revoir..... peut-être même plus..... peut-être même Adieu. En tout cas, je l'espère.

     

    Lorsque je me lève, et remets le bloc-notes vierge et le stylo entre les doigts de celui qui m'a dit d'y croire, j'ai peur de sa réaction. A lui non plus, je n'ose pas dire au revoir.

    Je glisse les billets dans la paume de sa main.

    "Tu peux payer la prochaine fois, tu sais."

     

    Je dis merci. Je souris. Mais je ne reprends pas les billets.

    Sourire de traître. Traître envers ceux qui disaient " toi, tu y crois si fort." Traître aussi de les avoir haïs et jalousés pour les mots qu'ils arrivent à avoir.

     

    Il n'y aura pas de prochaine fois. Je n'y crois plus.

     

    Fraise/Javel, flamants roses, poisson pané, et moi qui arrive dans la petite rue de derrière, en bas de l'immeuble, et qui, accroupie, les paumes sur le béton, me vomit moi-même. Je hoquette de nausée mais rien ne sort d'autre de mon corps qu'un goût âcre de sang. C'est mon propre sang qui veut sortir de mon corps, ce soir. Traître.

     
     
     
     

    Lorsque j'arrive chez mon Maître, je repense à ma promesse. Traître encore.

    Les doigts sur la poignée, je n'arrive pas à la pousser. La peur me paralyse.

     

    Lorsque, enfin, à genoux devant lui, j'entends sa voix, calme et posée, je ne peux pas soutenir son regard.

     

    "Tu as fini à quelle heure?"

     

    Je ne réponds pas.... Je n'arrive pas à sortir un mot....

    La première gifle sur mon visage résonne dans la pièce.

     

    "Réponds."

     

    Ma bouche et ma gorge sont si sèches que ma voix me paraît rauque et éteinte.

     

    "A 17H".

     

    "Tu parles à qui, là?"

     

    Je ferme les yeux, et me force à inspirer une grande bouffée d'air.

    "pardon.

    J'ai fini à 17H, Monsieur."

     

    "Et quelle heure il est nina?"

     

    Je murmure "Je ne sais pas, Monsieur."

     

    Une deuxième gifle atterrit au travers de ma joue, je serre fort les poings pour ne pas pleurer.

     

    "Il est 18H30."

     

    Un silence. Si lourd que j'ai l'impression qu'il me plaque au sol.

     

    "Tu étais où?"

     

    Je reste silencieuse. J'ai serré mes doigts très fort autour du tissu de ma veste, pour me préparer à la prochaine gifle.

     

    Mais ça ne sert à rien, car le coup suivant me fait glisser sur le sol, et je sens les paumes de mes mains claquer sur le carreau, pour essayer de me rattraper, pour rien. A la commissure de ma bouche, le sang perle, et, lorsque j'entrouvre les lèvres pour reprendre mon souffle, son goût s'impose dans ma bouche, mince filet s'insinuant sans fin entre ma lèvre et ma gencive.

    Les larmes retenues si difficilement secouent ma poitrine.

     

    "Réponds ! "

     

    "Tu le sais très bien, où j'étais."

    J'ai oublié les règles, j'ai oublié le vouvoiement, j'ai oublié ma place dans notre jeu, j'ai tout oublié, et il ne reste qu'une haine sourde dans ma voix. Elle semble dirigée contre Lui, mais il n'en est rien. C'est moi que je hais, seulement moi.

     

    Je sens sa main agripper mes cheveux, et une autre gifle me fait tourner la tête. Un petit cri s'est échappé de mes lèvres, je ne me souviens pas, pourtant, d'avoir commandé à mon souffle de le laisser sortir.

     

    "Relève toi. ".

     

    J'essaie de lui obéir, mais mes forces me lâchent, et je reste à ses pieds.

     

    "Relève toi, nina, je te jure que tu es en train d'aggraver ton cas à un point que tu n'imagines pas. Je ne supporte pas que tu te comportes comme ça. Je ne supporte pas. Debout."

     

    Comme un automate, parce que c'est impossible, quand il y a cette intonation là dans sa voix que je ne réponde pas à ses mots, je sens mon corps se redresser, et je me relève devant Lui.

    Je me sens minuscule, devant Lui, même debout, il me semble que je suis toujours à genoux.

     

    "Suis-moi."

     

    Malgré moi, je jette un coup d'œil discret vers la porte d'entrée, qui n'est pas fermée à clé. J'ai peur. Peur à en perdre la raison, de ce qui va se passer, si je le suis. Pourtant, je détourne les yeux de la porte, et je le suis.

     

    Je le suis jusqu'à la salle de bain, où il me dit de me déshabiller.

     

    Nue devant Lui, je remarque deux bouteilles d'eau entre ses mains. Il les pose devant moi, de chaque côté du lavabo.

     

    J'entends qu'il dévisse la paume de douche, et choisis la température et l'intensité du débit de l'eau. Je comprends, et, de moi-même, je m'appuie sur le bord du lavabo, baissant les yeux pour ne pas risquer de voir mon reflet, puis fermant mes paupières. Je me force à adopter un rythme pour respirer , essayant de m'y tenir du mieux possible. Je serre mes doigts de chaque côté du lavabo.

    Sans un mot, il glisse l'embout du jet de la douche entre mes fesses, et force un peu. Je me force à me détendre.... j'entends qu'il rallume l'eau.

     

    "Ouvre les yeux, et regarde moi."

     

    Le noir, qui était mon allié, vient de m'abandonner, et c'est avec appréhension de ce que je vais y trouver que je mets mes yeux dans les siens, par l'intermédiaire du reflet du miroir.

     

    Je vois sa main s'approcher de mon visage, et le courber en arrière, je vois le goulot de plastique de l'une des bouteilles se rapprocher de mes lèvres. Je sens l'eau couler dans ma gorge. J'avale.

    A la moitié de la bouteille, j'étouffe, je tousse et suffoque, pendant quelques secondes.

     

    "Si j'étais toi, je me dépêcherais."

    Il me désigne du regard la deuxième bouteille d'eau, posée à côté de moi.

     

    "Je n'arrêterai ça ( je sens l'embout de la douche s'enfoncer un peu plus en moi, poussé par ses doigts ) que lorsque tu auras avalé la totalité de l'eau, nina."

     

    Je lui jette un regard effrayé. Mon ventre me semble déjà gonflé plus que je ne peux le supporter. J'ai un mouvement pour me dégager de lui, mais un regard vers son visage, et , de moi-même, j'entrouvre les lèvres, pour qu'il me rende le goulot de la bouteille.

     

    J'avale aussi vite que possible.

    J'essaie de reprendre mon souffle, entre les deux bouteilles, mais la pression de l'eau sur la peau tendue de mon ventre me fait le supplier qu'il me laisse commencer à avaler le contenu de la seconde.

     

    Il la porte à mes lèvres, et j'avale, ne portant attention ni aux hoquets qui secouent ma poitrine, ni aux réflexes dans ma gorge, pour faire cesser mon supplice.

     

    Aux trois quarts de la bouteille, le souffle me manque. Je sens mes jambes tenter de se dérober sous moi, je me raccroche à Lui. Je sens sa main me retenir fermement. Je le supplie du regard, de faire cesser cette eau tiède d'envahir mon ventre. Je n'en peux plus. Un mouvement réflexe de mon visage, pour se dérober, et le goulot quitte mes lèvres. Je sens l'eau restante dans la bouteille se renverser sur mes seins.

    Par réflexe, je protège mon visage, avec mon avant-bras, sachant bien que j'ai suffisamment fait aujourd'hui pour que mon Maître perde réellement patience.

    Mais pas un coup ne tombe.... Il ne dit rien, ne me regarde pas.

    Il pose la bouteille vide à côté de l'autre, et j'entends, enfin, le robinet de la douche se resserrer. La douleur dans mon ventre est telle que je suis persuadée que je ne pourrai plus jamais faire un geste.

    A peine l'embout retiré, je sens le plug forcer. Il force si fort que j'écarte moi même mes fesses avec mes doigts, et tends mes reins vers mon Maître, pour que la douleur soit de plus courte durée. Ça n'empêche pas un petit cri de s'échapper de ma gorge.

    Je sens mon Maître me soulever entre ses bras, comme si je ne pesais rien, et me porter jusque dans le salon.

    Le balai est posé au coin de la pièce, son manche reposant sur les livres. Les larmes me montent aux yeux. Je ne pourrai pas. Je n'y arriverai jamais. Je serre mes bras plus fort autour de mon Maître.

    Lorsqu'il me repousse, et pose mon corps nu devant le balai, je sens mes membres adopter la position qu'ils ont mérité, les genoux sur le manche.

    Mon Maître saisit mes bras, et je comprends. Je croise mes doigts entre eux derrière ma nuque.

    Je remarque la cravache, que je n'avais pas vue, entre ses doigts, il la passe sur mon ventre, tout doucement, et ce simple contact suffit à me faire me redresser, et à me faire tendre mes avant bras derrière moi, pour lui offrir mes seins. 

    Mon Maître s'assoit confortablement devant moi, et me regarde. Je reste parfaitement immobile. La douleur me scie le ventre en deux, mon visage ne peut rester impassible. Du regard, je demande pitié..... Puis, le temps passant aidant, je demande simplement Pardon.

    Mon Maître semble se délecter du spectacle de mon corps qui souffre devant Lui, et, peu à peu, la douleur est si forte que je ne la sens plus. La seule chose que je vois, c'est cet air de Victoire qu'il affiche. Et cet air me soulage, car il ressemble un petit peu au pardon.

    Je ne sais pas combien de temps s'est écoulé. Je n'en ai aucune idée. Je sais simplement que ça m'a paru à la fois une éternité et une fraction de seconde, et que tout s'est arrêté au moment où tout s'est mis à tourner autour de moi, et où j'ai senti mon corps s'écrouler sur le sol. Je me souviens que, pendant que je tombais, j'ai essayé de garder mes doigts noués entre eux derrière ma nuque, mais n'y suis pas arrivée.

     

    Quelques secondes, pas plus, sûrement, avant que je ne réouvre les yeux.

    Une bassine devant moi. Et mon Maître qui retire le plug. Immédiatement, violemment, sans que je puisse contrôler quoique ce soit, je sens l'eau s'enfuir de mon corps. Accroupie devant Lui, je me vide et j'ai honte. Je sens les sanglots me secouer de spasmes aussi violents que ceux qui libèrent mon ventre. Je m'entends répéter "pardon. pardon." mais on dirait qu'il n'entend pas.

    Lorsque la dernière salve de liquide s'échappe de mon corps , elle emmène avec elle mes sentiments, mon âme, et tout ce que j'ai pu penser. Mon corps sans vie s'effondre à ses pieds.

    Je ne peux plus penser à rien.

     

    Je relève les yeux vers Lui au bout de longues minutes. Je trouve sur son visage du mépris.

    Est-il possible qu'un dominant finisse par mépriser ce qu'il a lui même créé?

     

    Sans un mot, il me relève à moitié, glisse ses doigts dans mes cheveux, et guide mon visage vers la bassine. J'ai envie de me débattre, j'ai envie de me dégager de son emprise, mais je n'ai plus de forces.

     

    Je sens mon visage s'enfoncer dans le liquide odorant qui est devant moi, je ne me débats pas.

    Je tousse et étouffe lorsqu'il me tire à nouveau hors de la bassine.

    Je murmure "pardon."

    Je n'ai pas eu le temps de reprendre mon souffle, je vois à nouveau le fond bleu de la bassine se rapprocher de moi, par réflexe j'essaie de trouver de l'air, et c'est le liquide qui m'a torturée qui s'insinue dans mon nez, et dans ma gorge.

    A la troisième fois, je me débats, et je supplie.

    Mais mon visage se perd à nouveau dans le liquide tiède.....

    Lorsqu'il me relâche enfin, je m'écarte de lui, et tousse et sanglote, pendant si longtemps que j'ai l'impression que je ne pourrai plus jamais m'arrêter.

    Il me fixe, comme attendant quelque chose.

    Je risque encore un "pardon", espérant qu'il me pardonne..... Mais.... la vérité c'est que je me souviens à peine pourquoi je demande pardon.

     

    Calmement, il se rapproche de moi. Le mépris est là, j'en suis sûre et certaine, et c'est la seule chose que je vois.

    "Pour te pardonner, il faudrait déjà que je te respecte. Tu ne crois pas?"

     

    Je sens l'eau coller mes cheveux souillés contre mes joues, et glisser le long de ma nuque.

    J'ai honte. Tellement honte.

    Je fais oui avec la tête.

     

    "Pour que je te respecte, il faudrait déjà que tu arrêtes de me mentir. Non?"

     

    Je murmure "si."

     

    "C'est quoi les trois mots que tu m'as dit, avant de partir, ce matin, nina?"

     

    Je ferme les yeux. Pourquoi est-ce que je suis comme ça.... Pourquoi est-ce que je suis si tarée que je ne suis même pas capable de tenir une promesse faite à mon Maître..... Pourquoi?

     

    "Tu m'as dit "Je te promets."  ".

     

    Je détourne les yeux.... Pour lui cacher mes larmes. Par pitié, punis-moi encore.... Par pitié....

     

    "Viens-là."

     

    Je m'approche de lui. Tout doucement, comme s'il avait lu dans mes pensées, il glisse ses doigts derrière mon visage, et appuie. Je ne résiste pas. Presque de moi-même, j'enfonce mon visage dans l'eau, et ne me débats pas.

    C'est lui qui tire sur mes cheveux, pour m'imposer de ressortir. Mon souffle est court, je ne fais pas d'efforts pour qu'il en soit autrement.

     

    "Va te nettoyer. Tu m' dégoûtes."

     

    Un coup de poignard en plein cœur. J'aurais préféré qu'il m'étouffe encore, plus longtemps, j'aurais préféré qu'il me gifle plus fort, j'aurais préféré qu'il impose à mon corps de céder sous la pression de l'eau.... Mais ces deux mots et demi là : Tu m' dégoûtes..... Ils font..... Et bien ils me font sûrement juste autant de mal que les deux mots et demi que moi j'ai prononcés ( "J'te promets" ) , ce matin..... et que je n'ai pas respectés.

     

    Dans la salle de bain, cela fait déjà de longues minutes que j'ai effacées de ma peau et de mes cheveux les restes de ma sanction. J'ai même pris le temps de revisser la pompe de douche, de jeter les bouteilles, de me rhabiller.

    Pourtant, je reste là. Je suis accroupie contre les tuyaux de l'évier, pas un sanglot ne sort de ma gorge, ils se sont déjà tous enfuis, et je regarde rien.

     

    Lorsque la porte s'entrouvre, je sais au premier regard qu'il me méprise toujours. Enfin.... je crois... en fait, je n'en sais rien. En fait, c'est trop dur.

     

    "nina?"

     

    "lâche-moi."

     

    "Pardon?"

     

    "lâche-moi."

     

    La porte se referme. Je pleure sans larmes, de ce genre de pleurs secs qui salissent l'âme de haut en bas, et oublient de la nettoyer après.

    Je sens l'épuisement me gagner, et mes yeux se fermer. Je crois que je me suis endormie, simplement endormie.

     

    Lorsque j'ouvre à nouveau les yeux, il est accroupi là, devant moi.

    J'essaie de faire un geste, mais mes poignets sont liés entre eux, solidement. Les liens sont serrés.

     

    "Tu veux que je te lâche?"

     

    Un instant, je ne comprends pas. Puis, les mots que j'ai prononcés me reviennent en mémoire. J'entrouvre les lèvres, pour dire que c'était juste parce que c'était trop dur. Mais à peine entrouvertes, le bâillon les immobilise.

     

    Il se relève, et me soulève. A nouveau, j'ai l'impression de pas peser plus lourd contre lui que rien. Même encore moins lourd que rien, car il n'y a plus l'eau dans mon ventre.

    Il traverse le couloir, passe la porte, je prie pour qu'il n'y ait personne, dans la rue. Il n'y a personne.

    Il me pose sur le siège arrière de la voiture, sans me regarder, et roule.....

    Je n'ose pas faire un geste. D'ailleurs, même si je le voulais, je ne pourrais pas, les liens sont si serrés qu'il blessent ma peau.

     

    Lorsque le moteur se tait enfin, et que tout s'immobilise, j'entends des cris étranges, dont je n'arrive pas à comprendre la nature, autour de nous, et, au premier claquement de portière, les cris se taisent.

    La portière s'ouvre, à côté de moi, j'ai tout juste le temps d'apercevoir plusieurs geais en train de se battre au dessus de la terre noire d'un champ de culture fraîchement labouré, derrière Lui, et comprend que ce sont eux qui criaient.

     

    "Tu veux que je te lâche?"

     

    Je le fixe, incapable de tout, incapable, même, de faire simplement non avec la tête.

     

    Je vois la lame briller à côté de ma joue, je reste silencieuse.

    La lame passe le long de mon visage, de ma nuque, de ma poitrine, je la sens au travers du tissu de mes vêtements.

    J'entends un bruit de coupure, bref, et je ferme les yeux. Est-ce que je suis morte?

    Non. Ce sont simplement les liens qui retenaient mes poignets, qui viennent d'être coupés. Je soupire doucement, pour me calmer.

     

    Je sens ses bras me hisser hors de la voiture, me poser sur la terre molle.

    Et je le vois partir. Il me suffirait de défaire mon bâillon, et de l'appeler, mes mains ne sont plus attachées. Mais je n'y arrive pas. Je n'arrive plus à rien.

    Et la voiture s'éloigne.

     

    Il faudra de longues minutes avant que je ne défasse le bâillon. Assise par terre, dans le noir qui commence à tomber, je fixe les geais devant moi, qui exécutent un balai rapide entre ciel et terre, criant d'un cri perçant qui ressemble à celui de la douleur, chaque fois que leurs ailes frôlent la terre.

    Je tremble comme une feuille.

    Je murmure, pour moi-même "Lâche-moi." . C'est tout ce que j'ai trouvé à dire, après n'avoir pas respecté ma promesse.

    Lorsque mes yeux et ma nuque retrouvent enfin leur liberté de mouvement, je regarde autour de moi. La route est à quelques centaines de mètres, peut-être plus. Derrière moi, la nature a repris ses droits, et ses branches souples s'entremêlent, dissimulant le champ qui se trouve derrière. Je suis où, là? Je n'en sais rien. Une peur panique est en train de monter en moi. Je suis Incapable, physiquement incapable de me lever.

     

    Je crois qu'une heure a du passer. Peut-être plus. Je n'ai pas fait le moindre geste. Même le froid ne semble pas m'atteindre.

     

    J'ai cru entendre un moteur, dans le noir, derrière moi, mais j'ai sans doute rêvé.

     

    Ou pas....

     

    "nina...."

     

    Sa voix. Sa voix ! Je me suis relevée si vite que ma tête me tourne. Je respire par petits à coups, épiant le moindre son dans le noir.

     

    "Allez, viens."

     

    Sa silhouette, au travers des branches entremêlées. Des larmes de soulagement inondent mes joues.

     

    "Viens." Sa voix a repris cette chaleur qui est la seule à pouvoir me réchauffer.

     

    J'écarte les branches, je les sens érafler mes avant-bras et mon visage, mais la douleur m'est complètement égale.

    Derrière le rideau de branches, entre Lui et moi, un petit ruisseau d'irrigation, pour les cultures, encaissé très profond, dans le noir. Et une planche. Une planche de Lui à moi.

     

    Je relève les yeux vers Lui, j'ai peur.

     

    "Viens."

     

    La planche craque sous mon poids, mais je m'en moque. Mes pieds sont nus, je n'y avais pas fait attention jusqu'à maintenant. Sur la planche rugueuse qui tremble sous moi, ils avancent à tâtons, dans le noir. Je jette un regard sous moi. Puis relève les yeux devant moi. Et ne vois que Lui.

     

    Au moment où j'ai trébuché, je n'ai vu que Lui, aussi.

    Mes bras se sont rattrapés à la planche, et j'ai caché mon visage contre mon avant-bras, serrant de toutes mes forces mes bras et mes jambes autour de la planche.

     

    Je crois qu'il a eu peur. Je le sais, parce que j'ai senti son cœur se serrer. Je l'ai senti, comme s'il était en moi.

     

    "nina. Regarde-moi....."

     

    Je n'ose pas relever le visage, j'ai trop peur de tomber.

     

    "nina j'ai dit regarde-moi."

     

     Je relève prudemment les yeux vers Lui.

     

    "relève-toi, et viens. tu ne vas pas tomber nina. tu ne vas pas tomber. Viens."

     

    Je sens mon corps s'accrocher de toutes ses forces, et se redresser, la planche tremble aussi fort que mes membres.

     

    Je jette un coup d'œil en bas, le vide m'appelle.....

     

    "nina?"

     

    je me force à quitter le vide des yeux, et à le regarder.

     

    "nina, tu sais pourquoi tu ne vas pas tomber?"

     

     Immobile, je murmure : "non".

     

    "Parce que tu es protégée, nina. tu ne peux pas tomber parce que tu es protégée."

     

    je m'entends chuchoter, presque pour moi-même: "protégée par quoi?" . Ma voix tremble.

     

    Je croise son regard. Il ne me répond pas. Mais je sais. J'ai compris. Il a tant mis dans ses yeux, à ce moment là, que je sais. Je suis protégée, parce qu'Il m'aime.

    A peine la planche a cessé de trembler, je parcours les deux pas et demi qui me séparaient encore de Lui.

    Deux pas et demi, comme deux mots et demi.

    Deux mots et demi, qui effacent deux autres mots et demi, et deux autres mots et demi aussi.

    Deux mots et demi: "Je t'aime."

     

    Je me love contre Lui. Je sanglote sans honte contre Lui tout le mal-être qui m'a bousillée si fort, ce soir.

    Ses bras se serrent autour de moi.

     

    De longues minutes contre Lui. Lorsqu'il me repousse, il fixe un instant mon visage, et il me sourit. J'ai presque du mal à croire que ce petit air malicieux que je chéris si fort, et que je suis persuadée qu'il est le seul, le seul, parmi tous les autres, à avoir, vient de m'être accordé.

    " Avec tout ça, tu n'as pas joui, finalement."

     

    Je ris doucement. Mais ça n'est pas le petit rire nerveux qui m'avait volée à moi-même ce matin. C'est bien mon rire à moi.

     

    Je murmure "Ça n'est pas si grave.", et me serre plus fort contre Lui.

     

    Il me garde longtemps contre Lui, avant de me soulever.

    Sur le siège de la voiture, je lui offre mes toutes dernières forces. Mes gémissements de plaisir et de soulagement accompagnent les cris des geais, suivant presque leur rythme.

    Tous, sauf le tout dernier. Car mon tout dernier gémissement, Lui, est offert à la nuit si longuement qu'il me rend mon souffle, tout d'un coup, et se prolonge dans le noir si longtemps qu'il étonne les geais, et les fait taire, mettant fin à leur balai. Bien après qu'ils se soient tus, il se meurt dans le silence. Et, à mesure qu'il se meurt, mon âme revient en moi, et je Vis.

     
     

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